IV
Le banc les attendait, moussu, vieilli commeeux.
« C’est lui ! » dit-il.« C’est lui ! » reprit-elle. Ils s’assirent,
Et sous les chauds reflets des souvenirsheureux
Les profondes noirceurs des arbress’éclaircirent.
Mais voilà que dans l’herbe ils virents’approcher
Un crapaud centenaire aux formes empâtées.
Il imitait, avec ses pattes écartées,
Des mouvements d’enfant qui ne sait pasmarcher.
Un sanglot convulsif fit râler leurshaleines ;
Lui ! le premier témoin de leurs amourslointaines
Qui venait chaque soir écouter leursserments !
Et seul il reconnut ces reliques d’amants,
Car hâtant sa démarche épaisse etpatiente,
Gonflant son ventre, avec des yeux rondsattendris,
Contre les pieds tremblants des amoureuxflétris
Il traîna lentement sa grosseur confiante.
Ils pleuraient. – Mais soudain un petit chantd’oiseau
Partit des profondeurs du bois. C’était lemême
Qu’ils avaient entendu quatre-vingts ans plustôt !
Et dans l’effarement d’un délire suprême,
Du fond des jours finis devant euxaccourus,
Par bonds, comme un torrent qui va, sans cesseaccru,
Toute leur vie, avec ses bonheurs, sesivresses,
Et ses nuits sans repos de fougueusescaresses,
Et ses réveils à deux si doux, las etbrisés,
Et puis, le soir, courant sous les ombresflottantes,
Les senteurs des forêts aux sèvesexcitantes
Qui prolongent sans fin la lenteur desbaisers !…
Mais comme ils s’imprégnaient de tendresse,l’allée
S’ouvrit, laissant passer une briseaffolée ;
Et, parfumé, frappant leur cœur, commeautrefois,
Ce souffle, qui portait la jeunesse desbois,
Réveilla dans leur sang le frisson mort desgermes.
Ils ont senti, brûlés de chaleursd’épidermes,
Tout leur corps tressaillir et leurs mains sepresser,
Et se sont regardés comme pours’embrasser !
Mais au lieu des fronts clairs et des jeunesvisages
Apparus à travers l’éloignement des âges
Et qui les emplissaient de ces désirséteints,
L’une tout contre l’autre, étaient deuxvieilles faces
Se souriant avec de hideusesgrimaces !
Ils fermèrent les yeux, tout défaillants,étreints
D’une terreur rapide et formidable comme
L’angoisse de la mort !…
« Allons-nous-en ! » ditl’homme.
Mais ils ne purent pas se lever ;incrustés
Dans la rigidité du banc, épouvantés
D’être si loin, étant si vieux et sidébiles.
Et leurs corps demeuraient tellementimmobiles
Qu’ils semblaient devenus des gens de pierre.Et puis
Tous deux, soudain, d’un grand élan, se sontenfuis.
Ils geignaient de détresse, et sur leur dos lavoûte
Versait comme une pluie un froid lourd goutteà goutte ;
Ils suffoquaient, frappés par des soufflesglacés,
Des courants d’air de cave et des odeursmoisies
Qui germaient là-dessous depuis cent anspassés.
Et sur leurs cœurs, fardeau pesant, leurspoésies
Mortes alourdissaient leurs effortsconvulsifs,
Et faisaient trébucher leurs pas lents etpoussifs.