Des vers

III

Pendant cinq mois entiers, chaque soir, sur larive,

Plein d’un emportement qui jamais nefaiblit,

J’ai caressé sur l’herbe ainsi que dans unlit

Cette fille superbe, ignorante et lascive.

Et le matin, mordus encor du souvenir,

Quoique tout alanguis des baisers de laveille,

Dès l’heure où, dans la plaine, un chantd’oiseau s’éveille,

Nous trouvions que la nuit tardait bien àvenir.

 

Quelquefois, oubliant que le jour dûtéclore,

Nous nous laissions surprendre embrassés, parl’aurore.

Vite, nous revenions le long des clairschemins,

Mes deux yeux dans ses yeux, ses deux mainsdans mes mains.

Je voyais s’allumer des lueurs dans leshaies,

Des troncs d’arbre soudain rougir comme desplaies,

Sans songer qu’un soleil se levait quelquepart,

Et je croyais, sentant mon front baigné deflammes,

Que toutes ces clartés tombaient de sonregard.

Elle allait au lavoir avec les autresfemmes ;

Je la suivais, rempli d’attente et dedésir.

La regarder sans fin était mon seulplaisir,

Et je restais debout dans la même posture,

Muré dans mon amour comme en une prison.

Les lignes de son corps fermaient monhorizon ;

Mon espoir se bornait aux nœuds de saceinture.

Je demeurais près d’elle, épiant le moment

Où quelque autre attirait la gaieté toujoursprête ;

Je me penchais bien vite, elle tournait latête,

Nos bouches se touchaient, puis fuyaientbrusquement.

Parfois elle sortait en m’appelant d’unsigne ;

J’allais la retrouver dans quelque champ devigne

Ou sous quelque buisson qui nous cachait auxyeux.

Nous regardions s’aimer les bêtesaccouplées,

Quatre ailes qui portaient deux papillonsjoyeux,

Un double insecte noir qui passait lesallées.

Grave, elle ramassait ces petits amoureux

Et les baisait. Souvent des oiseaux sur nostêtes

Se becquetaient sans peur, et les couples desbêtes

Ne nous redoutaient point, car nous faisionscomme eux.

 

Puis le cœur tout plein d’elle, à cette heuretardive

Où j’attendais, guettant les détours de larive,

Quand elle apparaissait sous les hautspeupliers,

Le désir allumé dans sa prunelle brune,

Sa jupe balayant tous les rayons de Lune

Couchés entre chaque arbre au travers dessentiers,

Je songeais à l’amour de ces fillesbibliques,

Si belles qu’en ces temps lointains on a puvoir,

Éperdus et suivant leurs formesimpudiques,

Des anges qui passaient dans les ombres dusoir.

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