DÉSIRS
Le rêve pour les uns serait d’avoir desailes,
De monter dans l’espace en poussant de grandscris,
De prendre entre leurs doigts les soupleshirondelles,
Et de se perdre, au soir, dans les cieuxassombris.
D’autres voudraient pouvoir écraser despoitrines
En refermant dessus leurs deux brasécartés ;
Et, sans ployer des reins, les prenant auxnarines,
Arrêter d’un seul coup les chevauxemportés.
Moi, ce que j’aimerais, c’est la beautécharnelle :
Je voudrais être beau comme les anciensdieux,
Et qu’il restât aux cœurs une flammeéternelle
Au lointain souvenir de mon corps radieux.
Je voudrais que pour moi nulle ne restâtsage,
Choisir l’une aujourd’hui, prendre l’autredemain ;
Car j’aimerais cueillir l’amour sur monpassage,
Comme on cueille des fruits en étendant lamain.
Ils ont, en y mordant, des saveursdifférentes ;
Ces arômes divers nous les rendent plusdoux.
J’aimerais promener mes caresses errantes
Des fronts en cheveux noirs aux fronts encheveux roux.
J’adorerais surtout les rencontres desrues,
Ces ardeurs de la chair que déchaîne unregard,
Les conquêtes d’une heure aussitôtdisparues,
Les baisers échangés au seul gré duhasard.
Je voudrais au matin voir s’éveiller labrune
Qui vous tient étranglé dans l’étau de sesbras ;
Et, le soir, écouter le mot que dit toutbas
La blonde dont le front s’argente au clair delune.
Puis, sans un trouble au cœur, sans un regretmordant,
Partir d’un pied léger vers une autrechimère.
– Il faut dans ces fruits-là ne mettre que ladent :
On trouverait au fond une saveur amère.