III
Ils guettèrent, ayant grand’peur d’êtreaperçus ;
Et puis, voûtés, avec le dos rond desbossus,
Humbles d’être si vieux quand tout semblaitrevivre,
Ainsi que des enfants ils se prirent lamain
Et partirent, barrant la largeur duchemin.
Car chacun oscillant un peu, comme un hommeivre,
Heurtait l’autre d’un coup d’épaulequelquefois,
Et des zigzags guidaient leur douteuxéquilibre.
Leurs bâtons supportant chaque bras restélibre
Trottaient à leurs côtés comme deux pieds debois.
Mais, d’arrêts en arrêts dans leur courseessoufflée,
Ils gagnèrent le parc et puis la grandeallée.
Leur passé se levait et marchait devanteux,
Et sur la terre humide ils croyaient voir, parplaces,
L’empreinte fraîche encor de leurs piedsamoureux ;
Comme si les chemins avaient gardé leurstraces,
Attendant chaque jour le couple habituel.
Ils allaient, tout chétifs, près des arbresénormes,
Perdus sous la hauteur des chênes et desormes
Qui versaient autour d’eux un soirperpétuel.
Et comme un livre ancien dont on tourne lapage :
« C’est ici », disait l’un. L’autredisait : « C’est là :
La place où je baisai vos doigts ? – Oui,la voilà.
– Vos lèvres ? – Oui ! c’estelle ! » Et leur pèlerinage,
De baisers en baisers sur la bouche ou lesdoigts,
Continuait ainsi qu’un chemin de la croix.
Ils débordaient tous deux d’allégressespassées,
Élans que prend le cœur vers les bonheursfinis,
En songeant que jadis, les taillesenlacées,
Les yeux parlant au fond des yeux, les doigtsunis,
Muets, le sein troublé de fièvresinconnues,
Ils avaient parcouru ces mêmesavenues !