Des vers

IV

Un jour que le patron dormait devant laporte,

Vers midi, le lavoir se trouva dépeuplé.

Le sol brûlant fumait comme un bœufessoufflé

Qui peine en plein soleil ; mais jetrouvais moins forte

Cette chaleur du ciel que celle de messens.

Aucun bruit ne venait que des lambeaux dechants

Et des rires d’ivrogne, au loin, sortant desbouges,

Puis la chute parfois de quelque goutted’eau

Tombant on ne sait d’où, sueur du vieuxbateau.

Or ses lèvres brillaient comme des charbonsrouges

D’où jaillirent soudain des crises debaisers,

Ainsi que d’un brasier partent desétincelles,

Jusqu’à l’affaissement de nos deux corpsbrisés.

On n’entendait plus rien hormis lessauterelles,

Ce peuple du soleil aux éternels cris-cris

Crépitant comme un feu parmi les présflétris.

Et nous nous regardions, étonnés,immobiles,

Si pâles tous les deux que nous nous faisionspeur ;

Lisant aux traits creusés, noirs, sous nosyeux fébriles,

Que nous étions frappés de l’amour dont onmeurt,

Et que par tous nos sens s’écoulait notrevie.

 

Nous nous sommes quittés en nous disant toutbas

Qu’au bord de l’eau, le soir, nous neviendrions pas.

 

Mais, à l’heure ordinaire, une invincibleenvie

Me prit d’aller tout seul à l’arbreaccoutumé

Rêver aux voluptés de ce corps tant aimé,

Promener mon esprit par toutes noscaresses,

Me coucher sur cette herbe et sur sonsouvenir.

 

Quand j’approchai, grisé des anciennesivresses,

Elle était là, debout, me regardant venir.

 

Depuis lors, envahis par une fièvreétrange,

Nous hâtons sans répit cet amour qui nousmange

Bien que la mort nous gagne, un besoin pluspuissant

Nous travaille et nous force à mêler notresang.

Nos ardeurs ne sont point prudentes nipeureuses ;

L’effroi ne trouble pas nos regardsembrasés ;

Nous mourons l’un par l’autre, et nospoitrines creuses

Changent nos jours futurs comme autant debaisers.

Nous ne parlons jamais. Auprès de cettefemme

Il n’est qu’un cri d’amour, celui du cerf quibrame.

Ma peau garde sans fin le frisson de sapeau

Qui m’emplit d’un désir toujours âpre etnouveau,

Et si ma bouche a soif, ce n’est que de sabouche !

Mon ardeur s’exaspère et ma force s’abat

Dans cet accouplement mortel comme uncombat.

Le gazon est brûlé qui nous servait decouche,

Et désignant l’endroit du retour continu,

La marque de nos corps est entrée au solnu.

 

Quelque matin, sous l’arbre où nous nousrencontrâmes,

On nous ramassera tous deux au bord del’eau.

Nous serons rapportés au fond d’un lourdbateau,

Nous embrassant encore aux secousses desrames.

Puis, on nous jettera dans quelque troucaché,

Comme on fait aux gens morts en état depéché.

 

Mais alors, s’il est vrai que les ombresreviennent,

Nous reviendrons, le soir, sous les hautspeupliers,

Et les gens du pays, qui longtemps sesouviennent,

En nous voyant passer, l’un à l’autreliés,

Diront, en se signant, et l’esprit enprière :

« Voilà le mort d’amour avec salavandière. »

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