PROMENADE À SEIZE ANS
La terre souriait au ciel bleu. L’herbeverte
De gouttes de rosée était encor couverte.
Tout chantait par le monde ainsi que dans moncœur.
Caché dans un buisson, quelque merlemoqueur
Sifflait. Me raillait-il ? Moi, je n’ysongeais guère.
Nos parents querellaient, car ils étaient enguerre
Du matin jusqu’au soir, je ne sais pluspourquoi.
Elle cueillait des fleurs, et marchait près demoi.
Je gravis une pente et m’assis sur lamousse
À ses pieds. Devant nous une collinerousse
Fuyait sous le soleil jusques à l’horizon.
Elle dit : « Voyez donc ce mont, etce gazon
Jauni, cette ravine au voyageurrebelle ! »
Pour moi je ne vis rien, sinon qu’elle étaitbelle.
Alors elle chanta. Combien j’aimais savoix !
Il fallut revenir et traverser le bois.
Un jeune orme tombé barrait toute laroute ;
J’accourus ; je le tins en l’air commeune voûte
Et, le front couronné du dôme verdoyant,
La belle enfant passa sous l’arbre ensouriant.
Émus de nous sentir côte à côte, ettimides,
Nous regardions nos pieds et les herbeshumides.
Les champs autour de nous étaientsilencieux.
Parfois, sans me parler, elle levait lesyeux ;
Alors il me semblait (je me trompepeut-être)
Que dans nos jeunes cœurs nos regardsfaisaient naître
Beaucoup d’autres pensers, et qu’ils causaienttout bas
Bien mieux que nous, disant ce que nousn’osions pas.