Des vers

II

Elle grandit, toujours plus belle, et sabeauté

Avait l’odeur d’un fruit en sa maturité.

Ses cheveux étaient blonds, presque roux. Sursa face

Le dur soleil des champs avait marqué satrace :

Des petits grains de feu, charmant etclairsemés.

Le doux effort des seins en sa robeenfermés

Gonflait l’étoffe, usant aux sommets soncorsage.

Tout vêtement semblait taillé pour sonusage,

Tant on la sentait souple et superbededans.

Sa bouche était fendue et montrait bien sesdents,

Et ses yeux bleus avaient une profondeurclaire.

Les hommes du pays seraient morts pour luiplaire ;

En la voyant venir ils couraientau-devant.

Elle riait, sentant l’ardeur de leursprunelles,

Puis passait son chemin, tranquille, etsoulevant,

Au vent de ses jupons, les passionscharnelles.

Sa grâce enguenillée avait l’air d’undéfi,

Et ses gestes étaient si simples et sijustes,

Que mettant sa noblesse en tout, quoi qu’ellefît,

Ses besognes les plus humbles semblaientaugustes.

 

Et l’on disait au loin, qu’après avoirtouché

Sa main, on lui restait pour la vieattaché.

 

Pendant les durs hivers, quand l’âpre froidpénètre

Les murs de la chaumière et les gens dansleurs lits,

Lorsque les chemins creux sont par la neigeemplis,

Des ombres s’approchaient, la nuit, de safenêtre,

Et, tachant la pâleur morne de l’horizon,

Rôdaient comme des loups autour de samaison.

 

Puis, dans les clairs étés, lorsque lesmoissons mûres

Font venir les faucheurs aux bras noirs dansles blés,

Lorsque les lins en fleur, au moindre venttroublés,

Ondulent comme un flot, avec de longsmurmures,

Elle allait ramassant la gerbe quitombait.

Le soleil dans un ciel presque jauneflambait,

Versant une chaleur meurtrière à laplaine ;

Les travailleurs courbés se taisaient, horsd’haleine.

Seules les larges faux, abattant les épis,

Traînaient leur bruit rythmé par les champsassoupis ;

Mais elle, en jupon rouge, et la poitrine àl’aise

Dans sa chemise large et nouée à son col,

Ne semblait point sentir ces ardeurs defournaise

Qui faisaient se faner les herbes sur lesol.

Elle marchait alerte et portait à l’épaule

La gerbe de froment ou la botte de foin.

Les hommes se dressaient en la voyant deloin,

Frissonnant comme on fait quand un désir vousfrôle,

Et semblaient aspirer avec des soufflesforts

La troublante senteur qui venait de soncorps,

Le grand parfum d’amour de cette fleurhumaine !

 

Puis, voilà qu’au déclin d’un long jour demoisson,

Quand l’Astre rouge allait plonger àl’horizon,

On vit soudain, dressés au sommet de laplaine

Comme deux géants noirs, deux moissonneursrivaux,

Debout dans le soleil, se battre à coups defaux !

 

Et l’ombre ensevelit la campagne apaisée.

L’herbe rase sua des gouttes derosée ;

Le couchant s’éteignit, tandis qu’àl’orient

Une étoile mettait au ciel un pointbrillant.

Les derniers bruits, lointains et confus, secalmèrent :

Le jappement d’un chien, le grelot destroupeaux ;

La terre s’endormit sous un pesant repos,

Et dans le ciel tout noir les astress’allumèrent.

 

Elle prit un chemin s’enfonçant dans unbois,

Et se mit à danser en courant, affolée

Par la puissante odeur des feuilles, etparfois

Regardant, à travers les arbres del’allée,

Le clair miroitement du ciel poudré defeu.

Sur sa tête planait comme un silence bleu,

Quelque chose de doux, ainsi qu’unecaresse

De la nuit, la subtile et si mollelangueur

De l’ombre tiède qui fait défaillir lecœur,

Et qui vous met à l’âme une vague détresse

D’être seul. – Mais des pas voilés, des bondscraintifs,

Ces bruits légers et sourds que font lesmarches douces

Des bêtes de la nuit sur le tapis desmousses,

Emplirent les taillis de frôlementsfurtifs.

D’invisibles oiseaux heurtaient leur vol auxbranches.

 

Elle s’assit, sentant un engourdissement

Qui, du bout de ses pieds, lui montaitjusqu’aux hanches,

Un besoin de jeter au loin son vêtement,

De se coucher dans l’herbe odorante, etd’attendre

Ce baiser inconnu qui flottait dans l’airtendre.

Et parfois elle avait de rapides frissons,

Une chaleur courant de la peau jusqu’auxmoelles.

 

Les points de feu des vers luisants dans lesbuissons

Mettaient à ses côtés comme un troupeaud’étoiles.

 

Mais un corps tout à coup s’abattit sur soncorps ;

Des lèvres qui brûlaient tombèrent sur sabouche,

Et dans l’épais gazon, moelleux comme unecouche,

Deux bras d’homme crispés lièrent sesefforts.

Puis soudain un nouveau choc étendit cethomme

Tout du long sur le sol, comme un bœuf qu’onassomme ;

Un autre le tenait couché sous son genou

Et le faisait râler en lui serrant le cou.

Mais lui-même roula, la face martelée

Par un poing furieux. – À travers leshalliers

On entendait venir des pas multipliés. –

Alors ce fut, dans l’ombre, une opaquemêlée,

Un tas d’hommes en rut luttant, comme descerfs

Lorsque la blonde biche a fait bramer lesmâles.

C’étaient des hurlements de colère, desrâles,

Des poitrines craquant sous l’étreinte desnerfs,

Des poings tombant avec des lourdeurs demassue,

Tandis qu’assise au pied d’un vieux arbreécarté,

Et suivant le combat d’un œil plein defierté,

De la lutte féroce elle attendait l’issue.

Or quand il n’en resta qu’un seul, le pluspuissant,

Il s’élança vers elle, ivre et couvert desang ;

Et sous l’arbre touffu qui leur servaitd’alcôve

Elle reçut sans peur ses caresses defauve !

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