II
Mais un souffle de feu sur la plaines’élève.
Les arbres dans leurs flancs ont des frissonsde sève,
Car sur leurs fronts troublés le soleil vapasser.
Partout la chaleur monte ainsi qu’unemarée
Et, sur chaque prairie, une foule dorée
De jaunes papillons flotte et sembledanser.
Épanouie au loin la campagne grésille,
C’est un bruit continu qui remplitl’horizon,
Car, affolé dans les profondeurs du gazon,
Le peuple assourdissant des criquetss’égosille.
Une fièvre de vie enflammée a couru,
Et rajeuni, tout blanc dans la chaudelumière,
Ainsi qu’aux premiers jours d’un passédisparu,
Le vieux château reprend son sourire depierre.
Alors les deux vieillards s’animent peu àpeu :
Ils clignotent des yeux et, dans ce bain defeu,
Les membres desséchés lentement sedétendent ;
Leurs poumons refroidis aspirent dusoleil,
Et leurs esprits, confus comme après unréveil,
S’étonnent vaguement des rumeurs qu’ilsentendent.
Ils se dressent, pesant des mains sur leurbâton.
L’homme se tourne un peu vers son antiqueamie,
La regarde un instant et dit : « Ilfait bien bon. »
Elle, levant sa tête encor tout endormie
Et parcourant de l’œil les horizonsconnus,
Lui répond : « Oui, voilà les beauxjours revenus. »
Et leur voix est pareille au bêlement deschèvres.
Des gaietés de printemps rident leurs vieilleslèvres ;
Ils sont troublés, car les senteurs du boisnouveau
Les traversent parfois d’une brusquesecousse,
Ainsi qu’un vin trop fort montant à leurcerveau.
Ils balancent leurs fronts d’une façon trèsdouce
Et retrouvent dans l’air des soufflesd’autrefois.
Lui, tout à coup, avec des sanglots dans lavoix :
« C’était un jour pareil que vous êtesvenue
Au premier rendez-vous, dans la grandeavenue. »
Puis ils n’ont plus rien dit ; mais leurspensers amers
Remontaient aux lointains souvenirs du jeuneâge,
Ainsi que deux vaisseaux, ayant passé lesmers,
S’en retournent toujours par le mêmesillage.
Il reprit : « C’est bien loin, celane revient pas.
Et notre banc de pierre, au fond du parc, –là-bas ? »
La femme fit un saut comme d’un traitblessée :
« Allons le voir », dit-elle, et, lagorge oppressée,
Tous deux se sont levés soudain d’un mêmeeffort !
Coupe prodigieux tant il est grêle etpâle.
Lui, dans un vieil habit de chasse à boutonsd’or,
Elle, sous les dessins étranges d’un vieuxchâle !