Des vers

I

Un jour de grand soleil, sur une grèveimmense,

Un pêcheur qui suivait, la hotte sur ledos,

Cette ligne d’écume où l’Océan commence,

Entendit à ses pieds quelques frêlessanglots.

Une petite enfant gisait, abandonnée,

Toute nue, et jetée en proie au flot amer,

Au flot qui monte et noie ; à moinsqu’elle fût née

De l’éternel baiser du sable et de la mer.

 

Il essuya son corps et la mit dans sahotte,

Couchée en ses filets l’emportatriomphant,

Et, comme au bercement d’une barque quiflotte,

Le roulis de son dos fit s’endormirl’enfant.

Bientôt il ne fut plus qu’un pointinsaisissable,

Et le vaste horizon se referma sur lui,

Tandis que se déroule au bord de l’eau quiluit

Le chapelet sans fin de ses pas sur lesable.

 

Tout le pays aima l’enfant trouvéeainsi ;

Et personne n’avait de plus grave souci

Que de baiser son corps mignon, rose devie,

Et son ventre à fossette, et ses petits brasnus.

Elle tendait les mains, par les baisersravie,

Et sa joie éclatait en rires continus.

 

Quand elle put enfin s’en aller par lesrues,

Posant l’un devant l’autre, avec de grandsefforts,

Ses pieds sur qui roulait et chancelait soncorps,

Les femmes l’acclamaient, pour la voiraccourues.

Plus tard, vêtue à peine avec de courtshaillons,

Montrant sa jambe fine en ses élans dechèvre,

À travers l’herbe haute au niveau de salèvre

Elle courut la plaine après les papillons,

Et sa joue attirait tous les baisers desbouches,

Comme une fleur séduit le peuple ailé desmouches.

Quand ils la rencontraient dans les champs,les garçons

L’embrassaient follement de la tête auxchevilles,

Avec la même ardeur et les mêmes frissons

Qu’en caressant le col charnu des grandesfilles.

Les vieillards la faisaient danser sur leursgenoux ;

Ils enfermaient sa taille en leurs mainsamaigries,

Et pleins des souvenirs de l’ancien temps sidoux,

Effleuraient ses cheveux de leurs lèvresflétries.

 

Bientôt, quand elle alla rôder par leschemins,

Elle eut à ses côtés un troupeau de gamins

Qui fuyaient le logis ou désertaient laclasse.

D’un signe elle domptait les petits et lesgrands,

Et du matin au soir, sans être jamaislasse,

Elle traîna partout ces amoureux errants.

Leurs cœurs, pour la séduire, inventaientmainte fraude.

Les uns, la nuit venue, allaient à lamaraude,

Sautant les murs, volant des fruits dans lesjardins,

Et ne redoutant rien, gardes, chiens ougourdins ;

D’autres, pour lui trouver de mignonnesfauvettes,

Des merles au bec jaune, ou deschardonnerets,

Grimpaient de branche en branche au sommet desforêts.

 

Quelquefois on allait à la pêche auxcrevettes.

Elle, la jambe nue et poussant son filet,

Cueillait la bête alerte avec un couprapide ;

Eux regardaient trembler, à travers l’eaulimpide,

Les contours incertains de son petitmollet.

Puis, lorsqu’on retournait, le soir, vers levillage,

Ils s’arrêtaient parfois au milieu de laplage,

Et se pressant contre elle, émus, tremblantbeaucoup,

La mangeaient de baisers en lui serrant lecou,

Tandis que grave et fière, et sans trouble, etsans crainte,

Muette, elle tendait la joue à leurétreinte.

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