Destination inconnue d’ AGATHA CHRISTIE

Mrs. Calvin Baker se tourna vers Hilary :

— On dirait que nous atterrissons.

La contrée était désertique. Après quelques cercles encore, l’avion se posa. Les roues touchèrent le sol assez brutalement, l’appareil fit deux ou trois bonds, tout en roulant, puis s’immobilisa. Avarie ? Panne d’essence ? Hilary se le demandait quand le pilote, un jeune homme brun qui devait être un Français, sortit de la cabine avant.

En français, il invita les passagers à sortir de l’avion. Ils se retrouvèrent dehors, un petit groupe frissonnant au vent froid soufflant des montagnes qu’on apercevait au loin. Le pilote les rejoignit.

— Tout le monde est là ? Parfait ! Je crois qu’il faudra que nous attendions un peu. Vous ne m’en voudrez pas. Mais non ! Voilà le camion…

Son doigt montrait, à l’horizon, un petit point noir, qui grandissait.

— Mais pourquoi avons-nous atterri ? demanda Hilary. Que se passe-t-il et allons-nous rester ici longtemps ?

— Si je comprends bien, lui dit le voyageur français, ce qui arrive là-bas, c’est un camion et c’est lui que nous prendrons.

— Nous avons eu une panne de moteur ?

La question de Hilary fit sourire Andy Peters.

— J’en doute, répondit-il. Si j’en crois mes oreilles, il tournait rond. Ce qui ne signifie pas qu’on ne parlera pas de panne de moteur…

Elle le regarda, sans comprendre.

— Il fait frisquet, murmura Mrs. Calvin Baker. C’est ce que ce climat a d’ennuyeux. Dès que le soleil est sur le point de se coucher, la température devient glaciale !

Le pilote sacrait entre ses dents et Hilary crut l’entendre pester contre « des retards insupportables ».

Le camion, cependant, arrivait à toute allure. Il s’arrêta près du groupe, dans un grincement de freins. Le conducteur, un Berbère, sauta à terre et entama immédiatement avec le pilote une conversation fort animée. À la grande surprise de Hilary, Mrs. Baker, parlant en français, intervint dans le débat.

— Inutile de perdre du temps ! déclara-t-elle avec autorité. À quoi bon discuter ? Nous ne tenons pas à nous éterniser ici !

Le conducteur haussa les épaules et, retournant à son camion, abattit le panneau arrière. À l’intérieur, il y avait une grande caisse, qu’il amena à terre, avec l’aide du pilote, de Peters et d’Ericsson. À en juger par leurs efforts, elle était lourde. Comme le Berbère se préparait à faire sauter le couvercle, Mrs. Calvin Baker glissa son bras sous celui de Hilary.

— À votre place, ma chérie, je ne regarderais pas. Ce n’est jamais beau à voir !

Elle entraîna Hilary un peu à l’écart, de l’autre côté du camion. Le Français et Peters les accompagnèrent.

— En fin de compte, demanda le Français, que se passe-t-il au juste ?

— Vous êtes le docteur Barron ? s’enquit Mrs. Baker.

Le Français en convint d’un mouvement de tête.

— Charmée de vous connaître, dit l’Américaine, lui prenant la main.

On eût dit une maîtresse de maison accueillant un de ses invités à une garden-party. Hilary regardait la scène, stupéfaite.

— Mais qu’y a-t-il dans cette caisse et pourquoi vaut-il mieux ne pas regarder ?

Elle posait la question à Andy Peters. L’homme lui était sympathique. Il y avait de la franchise dans son regard.

— Le pilote m’a renseigné, répondit-il. La cargaison est assez macabre, mais l’on n’y peut rien.

D’une voix paisible, il ajouta :

— Dans cette caisse, il y a des cadavres.

— Des cadavres !

Hilary pouvait à peine parler.

— Oh ! rassurez-vous ! reprit-il. Il ne s’agit pas de gens qu’on aurait assassinés ! Ces corps ont été obtenus de la façon la plus régulière. Ils ont été livrés à des médecins qui en avaient besoin pour leurs travaux… Des travaux de dissection…

— Je ne comprends pas, murmura Hilary.

— Réfléchissez ! reprit Andy Peters. C’est ici que s’achève le voyage…

— Le voyage ?

— J’entends celui de l’avion. Les corps seront installés dans l’appareil et le reste concerne le pilote, qui fera le nécessaire, tandis que nous nous éloignerons. De loin, nous ne verrons que les lueurs de l’incendie. Vous saisissez ? Un avion s’est abattu en flammes et il n’y a aucun survivant.

— Mais c’est fantastique !

— Enfin, chère madame, j’imagine que vous savez où nous nous rendons ?

C’était le docteur Barron qui avait parlé.

— Mais bien sûr qu’elle le sait ! s’écria Mrs. Calvin Baker avec bonne humeur. Seulement, les événements la surprennent un peu. Elle ne se croyait pas si près du but !

Hilary se tourna vers l’Américaine :

— Vous voulez dire que… tous…

Elle promena autour d’elle un regard circulaire.

— Mais oui, dit doucement Andy Peters, nous sommes compagnons de route, jusqu’au bout !

En écho, d’une voix que l’enthousiasme faisait vibrer, Ericsson répéta :

— Oui, compagnons de route jusqu’au bout !

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