Destination inconnue d’ AGATHA CHRISTIE

Haussant le ton, Olive Betterton poursuivit :

— Eh bien ! non. Walter Griffiths est attaché au cabinet de je ne sais quel district attorney, il est à fond pour le gouvernement et, quand Tom lui a dit que la « chasse aux sorcières » lui faisait hausser les épaules, il a répondu que nous ne pouvions pas comprendre et que, de l’autre côté de l’Atlantique, elle n’était pas seulement légitime, mais nécessaire. Ce qui vous prouve qu’il n’est pas communiste !

— Ne vous emballez pas, madame ! À quoi bon ?

— Je ne m’emballe pas, mais vous tenez absolument à ce que Tom ait été communiste. Je me tue à vous dire que non et vous ne voulez pas me croire.

— Je vous crois, mais c’est une question qui se pose et je suis bien forcé d’en tenir compte ! Venons-en à notre second « contact », le docteur Mark Lucas. Vous l’avez rencontré à Londres, au Dorset ?

— Oui. Nous avions passé la soirée au théâtre et nous soupions au Dorset quand ce Mr. Luke ou Lucas est venu à notre table, pour saluer Tom. Il est chimiste et il avait rencontré mon mari aux États-Unis. C’est un réfugié allemand, naturalisé Américain. Mais vous savez tout cela mieux que moi !

— Nous le savons, mais ça ne fait rien ! Votre mari a été surpris de le voir ?

— Oui, très surpris.

— Et content ?

— Oui… Enfin, je le crois !

— Vous n’en êtes pas sûre ?

— C’est-à-dire que Tom m’a confié, par la suite, que le personnage ne l’intéressait guère.

— Leur rencontre était donc fortuite ?

— Sans aucun doute.

— Le troisième « contact », c’est une femme : Mrs. Carol Speeder, qui, elle aussi, arrivait des États-Unis. À quel propos l’a-t-elle rencontré ?

— Il s’agissait, je crois, d’une question concernant l’O. N. U. Ayant connu Tom aux États-Unis, elle lui avait téléphoné de Londres pour lui dire qu’elle était en Angleterre et lui demander si nous pourrions venir, un jour, déjeuner avec elle.

— Et vous y êtes allés ?

— Non.

— Vous pas, mais lui, il y est allé !

— Qu’est-ce que vous dites ?

Elle paraissait stupéfaite.

— Vous ne le saviez pas ?

— Non.

Elle avait l’air atterrée. Jessop avait un peu pitié d’elle, mais, pour la première fois depuis qu’il l’interrogeait, il avait l’impression qu’il n’était pas loin de découvrir quelque chose.

— Je ne comprends pas, dit-elle d’une voix mal assurée. Je trouve bizarre qu’il ne m’ait pas parlé de ça.

— Ils ont déjeuné ensemble au Dorset, où Mrs. Speeder était descendue. C’était le mercredi 12 août.

— Le 12 août ?

— Oui.

— Il est bien allé à Londres ce jour-là. Il ne m’a jamais dit que…

Laissant sa phrase inachevée, brusquement elle demanda :

— Comment est-elle, cette Mrs. Speeder ?

Il s’empressa de la rassurer.

— Elle n’a rien de la « vamp », croyez-moi ! C’est une femme d’une trentaine d’années, pas particulièrement jolie. Il n’était certainement pas question de flirt entre elle et votre mari. Il est seulement étrange qu’il ne vous ait pas parlé de ce déjeuner.

— Je comprends fort bien !

— Maintenant, madame, rappelez vos souvenirs ! N’avez-vous pas, vers cette époque-là, observé un certain changement dans le comportement de votre mari ? C’était vers le milieu du mois d’août, une semaine environ avant l’ouverture de la conférence.

— Non, je n’ai rien remarqué. Vraiment rien.

Jessop soupira. Sur son bureau, le vibreur du téléphone appela discrètement son attention. Il décrocha le récepteur.

— J’écoute.

À l’autre bout du fil, une voix dit :

— Il y a ici quelqu’un, monsieur, qui désire être reçu par une personne s’occupant de l’affaire Betterton.

— Son nom ?

Une toux légère précéda la réponse.

— À vrai dire, monsieur, je ne suis pas très sûr de la prononciation. Voulez-vous que je vous l’épelle ?

— Allez-y !

Jessop écrivit le nom sur son bloc-notes, lettre par lettre, puis demanda :

— Un Polonais ?

— Il ne l’a pas dit, monsieur. Il parle bien l’anglais, avec un peu d’accent.

— Faites-le attendre !

— Bien, monsieur.

Jessop remit le téléphone en place, puis ramena son regard sur Olive Betterton. Elle n’avait pas bougé. Il arracha du bloc la feuille de papier sur laquelle il avait noté le nom du visiteur et la présenta à la jeune femme.

— Ce nom vous dit-il quelque chose ?

Une expression de surprise, peut-être mêlée de peur, passa dans les yeux d’Olive Betterton.

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