Destination inconnue d’ AGATHA CHRISTIE

— Oui, répondit-elle. Il m’a écrit.

— Quand ?

— Hier. C’est un cousin de la première femme de mon mari. Il vient d’arriver en Angleterre et la disparition de Tom l’inquiète énormément. Il m’a écrit pour me demander si j’avais des nouvelles… et pour m’assurer de sa profonde sympathie.

— Il ne vous avait jamais écrit auparavant ?

— Non.

— Votre mari ne vous avait jamais parlé de lui ?

— Jamais.

— De sorte qu’il pourrait fort bien ne pas être le moins du monde son cousin ?

— L’idée ne m’était pas venue, mais c’est possible.

Après un court instant de réflexion, elle ajouta :

— La première femme de Tom, la fille du professeur Mannheim, n’était pas Anglaise. D’après sa lettre, cet homme a l’air de savoir tout d’elle et de Tom. Son style est correct, avec des tournures qui sont bien d’une langue étrangère. Bref, c’est une lettre qui « fait » authentique. Mais, en admettant qu’elle ne le soit pas, qu’est-ce que cela prouverait ?

Jessop eut un vague sourire.

— Cette question-là, ici, on n’arrête pas de se la poser et c’est bien pour cela que nous finissons par accorder au moindre détail une importance excessive !

— Ça se comprend ! C’est comme votre bureau, perdu au milieu d’un labyrinthe de couloirs. J’ai eu la même impression dans des rêves. Celle de me trouver dans un endroit dont je ne pourrais plus jamais sortir.

— Il n’en faut pas plus pour devenir claustrophobe, dit Jessop en riant.

Olive Betterton se passa la main sur le front.

— Je n’en puis plus ! reprit-elle d’une voix lasse. À force d’être là, à attendre, sans rien faire, j’éprouve comme un besoin de m’en aller, n’importe où, à l’étranger de préférence, en tout cas quelque part où les reporters ne me téléphoneront pas et où je ne serai pas regardée par les gens comme une bête curieuse !

Après s’être tue un instant, elle poursuivit :

— J’ai l’impression que je vais m’effondrer. J’ai essayé d’être brave, mais l’épreuve est au-dessus de mes forces. Je suis à bout. Mon médecin le croit, lui aussi, et il me conseille de m’éloigner pour quelques semaines. Il me l’a écrit. Je vais vous montrer sa lettre.

Elle fouilla dans son sac à main, pour en extraire une enveloppe qu’elle tendit à Jessop par-dessus le bureau.

— Lisez !

Jessop prit connaissance de la lettre contenue dans l’enveloppe.

— Je vois…

— Ainsi, demanda-t-elle d’une voix anxieuse, vous croyez que je ferais bien de partir ?

— Mais certainement ! Pourquoi pas ?

Il semblait très surpris de la question.

— Je pensais, répondit-elle, que vous pourriez vous opposer à mon départ ?

— M’y opposer ? Mais pourquoi ? Cette chose-là ne regarde que vous. Naturellement, vous vous arrangerez pour qu’il me soit possible de vous joindre dans le cas où j’aurais du nouveau.

— Bien entendu.

— Où pensez-vous aller ?

— Quelque part où je trouverai du soleil et où il n’y aura pas trop d’Anglais. En Espagne ou au Maroc.

— De beaux pays ! Le voyage vous fera du bien, j’en suis convaincu.

— Merci !

Elle se leva, ravie, mais, manifestement, toujours nerveuse. Jessop alla à elle, lui serra la main, puis appuya sur un bouton d’appel, afin de faire reconduire sa visiteuse. Quand elle fut sortie, il regagna son fauteuil et réfléchit durant quelques instants. À la fin, un sourire détendit ses traits. Il décrocha le téléphone et donna l’ordre d’introduire ce major Glydr.

CHAPITRE II

— Le major Glydr ?

Jessop avait hésité sur le nom.

— Difficile, n’est-ce pas ? dit le visiteur avec humour. Pendant la guerre, vos compatriotes m’appelaient Glider. Aux États-Unis, où je vis maintenant, mon nom va être changé en Glyn. C’est encore mieux !

— Vous venez des États-Unis ?

— Je suis arrivé la semaine dernière. Vous êtes bien, pardonnez-moi la question, monsieur Jessop ?

— Aucun doute, je suis bien Jessop.

Le major regarda Jessop comme s’il l’examinait des pieds à la tête.

— J’ai entendu parler de vous.

— Ah ? Par qui ?

Le major sourit.

— Peut-être allons-nous trop vite ! dit-il. Avant que vous ne m’autorisiez à vous poser quelques questions, j’aimerais vous remettre cette lettre de l’ambassade des États-Unis.

Cérémonieusement, le buste penché, il tendait une enveloppe à Jessop. Celui-ci la prit, lut la lettre qu’elle contenait, quelques lignes d’introduction d’une courtoisie très officielle, puis, posant la feuille de papier sur son bureau, il regarda son visiteur. C’était un homme d’une trentaine d’années, d’allure un peu gourmée, aux cheveux coupés très court, « à la prussienne ». Il s’exprimait avec une certaine lenteur précautionneuse, mais son anglais était d’une parfaite correction grammaticale, si son accent était notoirement celui d’un étranger. Son attitude ne trahissait pas la moindre nervosité. Son visage, impassible, était celui de quelqu’un qui sait ce qu’il veut, et pourquoi il le veut. Le personnage, Jessop le comprit tout de suite, n’était pas de ceux que l’on manœuvre aisément et à qui l’on en fait dire plus qu’ils ne veulent.

— Et que puis-je pour vous ? s’enquit Jessop.

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