Destination inconnue d’ AGATHA CHRISTIE

CHAPITRE XXI

Hilary s’étira.

— J’ai l’impression de m’éveiller d’un cauchemar.

Elle était à Tanger, sur la terrasse de l’hôtel, avec Tom Betterton.

— Est-ce que tout ça est vraiment arrivé ? reprit-elle. Quelquefois, je me le demande !

— Moi aussi, dit Tom. C’était bel et bien un cauchemar ! N’y pensons plus ! Le principal, c’est que nous en sommes sortis…

Jessop vint s’asseoir près d’eux.

— Andy Peters n’est pas avec vous ? s’enquit Hilary.

— Il va venir. Un petit travail à terminer…

— Vous savez que je n’en reviens pas ? reprit-elle. Je n’ai pas soupçonné une seconde qu’il était un de vos agents, réalisant des merveilles avec du phosphore ou avec cet étui à cigarettes en plomb qui lui permet de détecter les masses radioactives !

— Je vous rendrai cette justice, à tous les deux, dit Jessop, que vous avez su vous montrer discrets. J’ajoute que Peters n’est pas, à proprement parler, un de mes agents. Il travaille pour les États-Unis.

— C’est à lui que vous songiez quand vous me disiez que, si je réussissais à rejoindre Tom, vous espériez que quelqu’un serait là pour me protéger ?

Jessop répondit d’un mouvement de tête.

— J’espère, dit-il d’un ton bourru, que vous ne m’en voulez pas de n’avoir pas tout à fait tenu mes promesses. L’aventure n’a pas fini comme vous le souhaitiez.

Elle le regarda, étonnée.

— Comment cela ?

— Est-ce que je ne vous l’avais pas proposée comme un mode de suicide original et utile ?

Elle sourit.

— Je ne m’en souvenais plus. Encore une chose dont j’ai du mal à croire qu’elle a réellement existé ! Je suis Olive Betterton depuis si longtemps que je m’habitue difficilement à être de nouveau Hilary Craven.

— Ah ! voici notre ami Leblanc. Excusez-moi, j’ai deux mots à lui dire !

Jessop se leva pour aller retrouver le Français à l’autre bout de la terrasse.

— Olive, dit Tom, voulez-vous me rendre un service ? Ça ne vous gêne pas que je continue à vous appeler Olive ?

— Du tout. De quoi s’agit-il ?

— Vous allez faire avec moi quelques pas sur la terrasse, puis vous reviendrez vous asseoir et si on vous demande où je suis, vous direz que je suis allé m’étendre un peu dans ma chambre.

— Et… qu’allez-vous faire ?

— M’en aller, pendant que la voie est encore libre.

— Mais où irez-vous ?

— N’importe où !

— Mais pourquoi partir ?

— Raisonnez, ma chère enfant ! Ce qu’il peut m’arriver ici, je l’ignore, parce que Tanger est une ville internationale, au statut très particulier. Seulement, je sais ce qu’il se passera si je reste avec vous jusqu’à Gibraltar. Je n’aurai pas mis le pied sur le sol que je serai coffré !

Les traits de Hilary prirent une expression attristée. Dans la joie de sa liberté retrouvée, elle avait oublié les ennuis personnels de Tom.

— Mais, Tom, dit-elle, où irez-vous ?

— Je vous l’ai dit : n’importe où !

— Vous avez de l’argent ?

Il ricana :

— Oui. Il est en sûreté, déposé quelque part où je n’aurai aucune difficulté pour le retirer, même quand j’aurai changé de nom.

— Ainsi, vous avez effectivement touché de l’argent ?

— Naturellement !

— Mais la police vous retrouvera !

— Pas si facilement que vous croyez. Elle a mon signalement, mais il ne correspond plus à mon nouveau visage. La chirurgie esthétique a du bon. Grâce à elle et à l’argent que j’ai de côté, je suis tranquille jusqu’à la fin de mes jours, à condition de ne jamais rentrer en Angleterre.

Hilary restait sceptique.

— J’ai idée que vous commettez une erreur et que vous feriez mieux de regagner Londres, avec toutes les conséquences que cela peut impliquer. Après tout, nous ne sommes plus en temps de guerre ! Vous écoperiez peut-être d’une courte peine de prison ? Et après ? Vous préférez être un homme traqué pour tout le reste de votre vie ?

— Vous ne comprenez pas. Venez ! Il n’y a plus de temps à perdre.

— Comment pensez-vous sortir de Tanger ?

— Je m’arrangerai. Ne vous en faites pas !

Elle se leva, ne sachant plus que dire. Ce service que Tom lui demandait, elle le lui rendrait. Pourtant, et bien qu’elle eût vécu à côté de lui durant des semaines, il était resté pour elle comme un étranger. Elle n’avait pour lui ni amitié, ni sympathie véritable.

Ils s’arrêtèrent au bout de la terrasse, près d’une petite porte ouvrant sur un sentier qui, serpentant au flanc de la colline, descendait vers le port.

— Je vais filer par là, dit Betterton. Merci… et au revoir !

— Bonne chance !

Il ouvrit la porte et, vivement, recula de deux pas. Trois hommes étaient de l’autre côté, qui lui barraient le passage. Deux d’entre eux entrèrent sur la terrasse.

— Thomas Betterton, dit le premier, d’un ton très officiel, j’ai sur moi un mandat d’arrêt vous concernant. J’ai mission de vous garder à vue jusqu’à ce que soient terminées les formalités relatives à votre extradition.

Le premier moment de surprise passé, Tom s’était ressaisi.

— Il n’y a qu’un malheur ! s’écria-t-il. C’est que je ne suis pas Tom Betterton.

Le troisième homme vint rejoindre les deux autres. Tom, à ce moment-là seulement, reconnut Andrew Peters.

Tom éclata de rire.

— Expliquons-nous ! Parce que vous m’avez connu vivant sous le nom de Thomas Betterton, vous vous figurez que je suis Thomas Betterton. Or, je le répète, je ne suis pas Tom Betterton. J’ai rencontré Betterton à Paris et j’ai pris sa place. Si vous ne me croyez pas, demandez à cette dame ! Elle est venue me rejoindre, en se donnant pour ma femme, et je l’ai effectivement reconnue comme telle. Est-ce exact ?

La question s’adressait à Hilary, qui répondit d’un signe de tête.

— Et, si j’ai dit qu’elle était ma femme, c’est justement parce que, n’étant pas Thomas Betterton, je ne connaissais pas Mrs. Betterton ! J’ai cru très sincèrement qu’elle était Mrs. Betterton. Naturellement, quand elle m’a interrogé, je lui ai raconté tout autre chose. Mais ce que je vous dis, c’est la pure vérité !

Riant de nouveau, il conclut :

— Je ne suis pas Tom Betterton. Prenez n’importe quelle photo de Betterton et regardez-moi ! Vous serez fixés.

Andrew Peters vint près de lui.

— J’ai vu des photos de Betterton, dit-il d’un ton tranchant, et je conviens que vous ne leur ressemblez plus, mais vous n’en êtes pas moins Tom Betterton. Et je le prouve ! Si vous êtes Betterton, vous avez sur l’avant-bras droit une cicatrice en forme de Z !

En quelques gestes rapides, il avait dépouillé Betterton de son veston. Vivement, il retroussa la manche de la chemise.

— Voilà la cicatrice ! s’écria-t-il. Il y a, aux États-Unis, deux assistants de laboratoire qui la reconnaîtront. Pour moi, je tenais le renseignement d’Elsa.

Tom Betterton avait pâli.

— Elsa ? Qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans ?

— Vous désirez savoir de quoi vous êtes accusé ? On va vous le dire !

Andy se tourna vers les policiers qui l’accompagnaient.

— Tom Betterton, dit l’un d’eux, vous êtes accusé du meurtre avec préméditation d’Elsa Betterton, votre épouse.

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