Destination inconnue d’ AGATHA CHRISTIE

Elle n’eut pas le temps de se demander ce qui lui avait fait dire ça. Il reprenait :

— Olive l’avait-elle vu ?

— Je l’ignore. Elle ne m’a rien dit d’autre… Si, pourtant. Elle m’a dit aussi « qu’elle ne pouvait pas le croire ».

— Pas croire quoi ?

— Je ne sais pas.

Après une brève hésitation, elle ajouta :

— Vous comprenez… elle était en train de mourir.

Il eut un rictus douloureux.

— Oui, bien sûr… Je m’y ferai. Seulement, pour le moment, je ne me rends pas encore bien compte…

Sur un autre ton, il dit :

— Ce qui m’intrigue, c’est comment Boris pourrait être pour moi un danger, alors que je suis ici. J’imagine, puisque Olive a dû le voir, qu’il était à Londres ?

— Il était à Londres.

— Alors, je ne comprends pas !… Et puis, qu’est-ce que ça peut faire ?… Rien n’a plus d’importance, rien !… Nous sommes ici, bloqués dans cette sacrée saleté d’Unité, entourés de robots sans entrailles…

Frappant de son poing fermé sur le banc de pierre, il ajouta :

— Et nous ne pouvons pas ficher le camp !

— Oh ! mais si.

Il la regarda d’un air stupéfait.

— Que voulez-vous dire ?

— Que nous trouverons le moyen de partir.

Il eut un rire amer.

— Ma petite fille, vous n’avez pas la moindre idée de ce que peut être votre prison !

Hilary haussa les épaules. Elle ne se laisserait pas décourager.

— Pendant la guerre, répliqua-t-elle, il y a des prisonniers qui se sont évadés des camps les mieux gardés. Nous creuserons un tunnel ou nous nous arrangerons autrement…

— Comment creuser un tunnel dans le roc ? Et pour aller où ? Autour de nous, c’est le désert !

— Si le tunnel est impossible, nous procéderons autrement, voilà tout !

Elle souriait, affichant une confiance plus feinte que réelle.

— Vous êtes une fille extraordinaire, dit-il. Vous paraissez tellement sûre de vous…

— Je le suis. Sortir d’ici, c’est possible, je le répète ! Ça prendra du temps, il faudra tirer des plans…

Il l’interrompit :

— Du temps !… C’est justement ce que je n’ai pas !

— Pourquoi ?

— C’est difficile à expliquer. À dire le vrai, ici, je ne suis pas moi-même.

Elle fronça le sourcil.

— Ce qui veut dire ?

— Simplement que je n’arrive pas à travailler. Dans la recherche scientifique, la pensée est évidemment un élément essentiel. C’est elle seulement qui est créatrice. Or, depuis mon arrivée ici, je ne puis plus me concentrer. Comme si ça ne m’intéressait plus ! Je fais du travail honnête, bien sûr, mais n’importe qui pourrait le faire à ma place et ce n’est pas pour cela qu’on m’a fait venir ici. De moi, on attend autre chose, et c’est ce que je suis incapable de donner ! Je m’en rends compte, cela m’exaspère et le moment n’est pas loin où je ne serai plus bon à rien. Quand il sera acquis qu’il n’y a rien à tirer de moi, la décision ne traînera pas. On me liquidera !

— Mais non !

— Je sais ce que je dis. Ici, on ne fait pas de sentiment. Ce qui m’a sauvé jusqu’à présent, c’est cette histoire de chirurgie esthétique. On ne peut pas demander un travail sérieux à un type qui va d’opération en opération. Seulement, maintenant, ça, c’est fini !

— Au fait, ces opérations, pourquoi les avez-vous subies ?

— Parce que je tiens à ma peau ! J’étais « recherché ».

— Recherché ?

— Vous ne le saviez pas ? Il est vrai qu’Olive l’ignorait sans doute. En tout cas, c’est comme ça ! J’étais recherché… et je le suis toujours.

— Pour… trahison ? Parce que vous avez vendu des secrets atomiques ?

Son regard fuyant celui de Hilary, il protesta :

— Je n’ai rien vendu du tout ! J’ai apporté ici ce que je savais de certains procédés de fabrication et je l’ai donné sans y être contraint, simplement parce que je voulais le donner. Si l’on veut mettre en commun les connaissances scientifiques du monde entier, il faut le faire ! Vous ne comprenez donc pas ça ?

Elle comprenait fort bien. Elle n’avait aucune peine à imaginer Andy Peters livrant les secrets de son pays. Ericsson, lui aussi, pour servir son idéal, eût trahi avec joie. Mais elle voyait mal Tom Betterton dans ce même rôle. Et elle se rendit compte brusquement que rien ne soulignait mieux la différence existant entre le Betterton qui, quelques mois plus tôt, était arrivé à l’Unité, débordant de zèle et d’enthousiasme, et le Betterton d’aujourd’hui, qui, vaincu, nerveux, anéanti, n’était plus qu’un homme très ordinaire, paralysé par une sorte de peur contre laquelle il ne se défendait même plus.

— Tout le monde est descendu, dit brusquement Betterton. Il vaudrait peut-être mieux…

Elle se leva.

— Si vous voulez ! Mais, que nous nous soyons un peu attardés, la chose n’étonnera personne. Étant donné les circonstances…

— Bien sûr. Vous savez qu’il va falloir que nous continuions à jouer la comédie ? Nous sommes mari et femme…

— Eh ! oui.

— Nous allons partager le même appartement. Rassurez-vous, je ne vous ennuierai pas…

Elle sourit.

— Ne vous tracassez pas pour ça ! L’important, c’est de sortir d’ici, et d’en sortir vivants !

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