Fernande

Chapitre 9

 

À partir du lendemain, tout changea dans lavie intérieure et extérieure de Fernande. Le bruit, le mouvement,les concerts, les spectacles ne suffisaient plus au besoin qu’elleéprouvait de s’étourdir ; elle voulut de nouveau être adorée,elle se refit l’âme de cette vie frivole qu’on appelle à Paris lavie élégante ; son salon redevint le rendez-vous des lions lesplus renommés, une succursale du Jockey-Club. Plus delectures, plus de travaux, plus d’études, une agitationperpétuelle, une fatigue physique destinée à donner un peu de reposà l’âme, voilà tout. La vie de courtisane, oubliée un instant,remontait du fond à la surface, et le souvenir de Maurice étaitrefoulé dans les abîmes les plus profonds et les plus secrets de cecœur qui, pendant tout un hiver, lui avait voué le culte du pluspur amour.

Le comte de Montgiroux, dont la présence avaitamené chez Fernande tout ce changement, devenait de jour en jourplus amoureux de sa maîtresse, mais, en même temps, plus jaloux.Fernande avait calculé ce qu’elle faisait en recevant chez elleM. de Montgiroux : c’était la réserve de sa libertétout entière qu’elle avait stipulée. Plus heureuse que ne le sontles femmes mariées, qui ne peuvent aimer un autre homme sans trahirleur mari, Fernande n’avait jamais trompé un amant ; mais elleavait toujours exigé qu’une indépendance absolue lui fûtaccordée : il fallait se fier à sa parole ou la perdre. Ellevoulait avoir la liberté d’admettre chez elle qui lui plaisait, depromener dans sa voiture qui lui paraissait agréable, de faire leshonneurs de sa loge à qui bon lui semblait. Cette condition tacitequ’elle avait mise au marché qu’elle avait fait avecM. de Montgiroux, désespérait le pauvre pair de France,qui, tiraillé d’un côté par les craintes que lui inspirait toujoursen pareil cas sa vieille liaison avec madame de Barthèle, retenu del’autre par une pudeur sociale, ne pouvait suivre Fernande danstous ses plaisirs, et, se rendant justice en comparant lesvingt-deux ans de celle-ci, à ses soixante années, à lui, étaitsans cesse poursuivi de l’idée qu’elle le trompait. Sa vie sepassait donc en appréhensions continuelles, en craintes toujoursrenaissantes ; la tranquillité morale, qui fait ce calme sinécessaire à la vieillesse, était détruite. À chaque heure du jour,il arrivait chez Fernande, et, chaque fois, il la trouvaitsouriante ; car Fernande était reconnaissante des attentionsque M. de Montgiroux avait pour elle, et elle, qui étaitsi jalouse, elle avait pitié de sa jalousie. Il en résultait que,tant que la comte était là, tenant la main de Fernande dans lasienne, il était confiant, il était heureux ; mais, dès qu’ill’avait quittée, l’idée de Fernande au milieu de ces beaux jeunesgens, pour lesquels elle devait avoir toutes les sympathies d’unmême âge, lui revenaient à l’esprit, et ses craintes, apaisées uninstant, revenaient plus vives et plus poignantes au fond de soncœur. Et cependant si, doué de la faculté de lire jusqu’au fond del’âme, quelqu’un eût pu comparer la situation du comte à l’état dela femme qui la causait sans le vouloir et sans le savoir, il l’eûtcertes enviée.

En effet, Fernande, comme nous l’avons dit,n’avait adopté cette vie de bruit et d’agitation que pour échapperà elle-même, et, tant qu’elle volait emportée par deux vigoureuxchevaux, tant qu’elle se laissait aller à l’enivrement de la voixde Duprez ou de Rubini, tant qu’elle souriait du délicieux sourirede mademoiselle Mars dans l’ancienne comédie, ou qu’elle pleuraitde ses larmes dans le drame moderne ; tant qu’elle étaitadulée, fêtée, soit comme reine de son salon, soit comme l’âme d’unjoyeux repas, elle arrivait encore tant bien que mal au but qu’elles’était proposé ; mais, lorsqu’elle était seule, la réalité,suspendue sur sa tête comme l’épée de Damoclès, brisait le fil quila retenait, et la pauvre femme retombait navrée par sa douleursous le rocher de Sisyphe, qu’elle ne pouvait repousser jusqu’à lacime de l’oubli.

Et alors c’était quelque chose d’effrayant quel’abattement de Fernande, et elle-même craignait si fort lasolitude, qu’elle retenait autour d’elle même les plus ennuyeux,même les plus antipathiques de ses adorateurs, pour ne pas sesentir rouler dans les abîmes de sa pensée. Rien n’avait plus deprise sur ce marasme, ni lecture, ni musique, ni peinture ; lapuissance de sa volonté la soutenait-elle parfois, était-ellearrivée, quoique seule, à se distraire de l’éternelle préoccupationqui l’obsédait, sa conscience, plus forte que sa volonté,l’attendait dans le sommeil. Alors c’étaient des rêves ou délirantsde bonheur ou atroces de désespoir ; quand elle ne serrait pasMaurice dans ses bras, elle voyait Maurice serré aux bras d’uneautre. Bientôt elle se réveillait, fiévreuse et glacée à lafois ; elle sautait à bas de son lit, elle quittait cettechambre banale pour se réfugier dans cette petite cellule blanche,toute parfumée de ses plus doux souvenirs. Puis, vêtue d’un simplepeignoir, les pieds nus dans ses mules brodées, elle s’agenouillaitdevant ce lit, que jamais une pensée vénale n’avait souillé. Là,parfois les larmes lui revenaient, et les nuits où elle pouvaitpleurer étaient ses heureuses nuits ; car alors les larmesamenaient l’épuisement, et l’épuisement une espèce de calme.

C’était pendant ces courts instants de calmeque Fernande s’interrogeait sur ce qu’elle avait fait, et sedemandait si elle avait fait ce qu’elle devait faire ; c’étaitalors qu’elle essayait de s’expliquer une conduite que l’instinctseul lui avait suggérée ; c’était alors qu’elle cherchait à serendre compte du passé.

– Pourquoi l’avoir chassé ?disait-elle. Quel était son crime ? De m’aimer, de m’avoircaché qu’il était marié, parce qu’il m’aimait, de me préférer, parconséquent, à sa femme, à celle que l’orgueil et les conventionssociales lui avaient imposée avant qu’il me connût, trois annéesauparavant ! Et à quel moment, folle que je suis, ai-je étérompre avec lui ? Lorsque cet amour était devenu une partie demon âme, une portion de ma propre vie ! Qui ai-je puni ?Moi d’abord, lui ensuite ; car qui dit qu’il m’aimait, luiautant que je l’aime ? qui dit qu’il souffre ce que j’aisouffert ? Oh ! il m’aime comme je l’aime, il est punicomme je suis punie, il souffre comme je souffre, et c’est maconsolation. Oh ! mon Dieu ! qui m’eût dit quej’éprouverais le besoin de le voir souffrir ?

Et Maurice souffrait effectivement, comme ledisait Fernande. Chaque jour, depuis le jour où elle l’avaitconsigné à sa porte, il était revenu à l’heure où il avaitl’habitude de venir. Alors il y avait pour Fernande un moment dedouloureuse satisfaction ; Maurice, pâle et tremblant, venaits’assurer que l’ordre qui le proscrivait subsistait toujours, etchaque jour elle voyait s’éloigner Maurice plus pâle et plustremblant que la veille ; cependant aucune plainte nes’échappait de sa bouche : il remontait en voiture, la voituredisparaissait à l’angle de la rue, et tout était dit. Fernande,cachée derrière un rideau, la main sur son cœur, qui tantôt seresserrait comme s’il avait cessé de battre, tantôt se dilataitcomme s’il allait lui briser la poitrine, ne perdait pas un de sesmouvements, et, s’approchant de la porte de l’antichambre, aspiraitle son de sa voix. Puis, lui parti, la voiture disparue, elletombait sur un fauteuil, l’appelant du fond de son cœur, etcependant ne cédant pas. Pourquoi ? Parce que la vue deMaurice avait fait naître un autre ordre d’idées dans son esprit,en y éveillant les mystères les plus secrets de la jalousie. Eneffet, si, avec la connaissance du mariage de Maurice, Fernanden’avait pas cessé de le voir, ce bonheur qu’elle regrettaitn’eût-il pas été plus terrible que la souffrance même ? Leplus léger retard au moment de son arrivée, son départ dix minutesavant l’heure accoutumée, l’altération de ses traits, un souriremoins doux, une préoccupation involontaire, un de ces mille riensimprévus auxquels, dans un autre temps, elle n’eût pas même songé,eussent altéré à chaque instant cette sécurité sur laquelle elleappuyait nonchalamment son existence. Entre la femme d’en haut etla femme d’en bas, sa conscience n’eût pas supporté le parallèle.Cette terreur soudaine, cette répulsion invincible que le secretrévélé avait fait naître en elle, c’était donc une sainteinspiration que le ciel lui avait envoyée et qu’elle devait suivre.Toute vérité vient de Dieu, quelle que soit la cause qui la met aujour et l’effet qu’elle produit. Si elle eût continué à voirMaurice, Maurice n’eût pas été malheureux, Maurice n’eût passouffert, et il fallait que Maurice fût malheureux et souffrît,c’était la consolation des nuits sans sommeil de Fernande, c’étaitla compensation de ses jours voués au rire. Un dernier lienexistait encore entre elle et Maurice, celui d’une tristesympathie : tout n’était pas détruit entre eux, une douleurcommune leur restait.

Mais bientôt un tourment plus affreuxattendait Fernande. Un matin, à l’heure où Maurice avait l’habitudede venir s’assurer que son malheur était toujours le même, Mauricene parut pas. Alors une jalousie inouïe, inconnue, dévorante,s’empara de Fernande. Maurice pouvait se consoler, Maurice pouvaitoublier ; elle pouvait revoir Maurice un jour, calme,spirituel, comme elle l’avait vu souvent, sans qu’à son aspect ilpâlit et tremblât ; c’était une chose à laquelle elle n’avaitjamais songé, parce qu’elle lui avait paru impossible.

Alors ce fut au tour de Fernande, sous un longchâle, sous un voile épais, d’aller errer autour de l’hôtel de larue de Varennes, dans l’espérance d’apercevoir Maurice. Une portecochère à demi entr’ouverte, une cour sans mouvement, un perronsans valets, une maison sans habitants, muette le jour, sombre lanuit, voilà ce qui répondit, chaque fois qu’elle l’interrogea duregard, à son impatiente curiosité, lorsqu’elle venait comme uneombre passer devant ce tombeau !

Et cependant Fernande continuait la mêmeexistence ; les mêmes plaisirs apparents revenaient aux heuresqui leur étaient consacrées ; par une réaction terrible surelle-même, Fernande avait la force de vivre au milieu de sesfrivoles adorateurs ; elle souriait courageusement àM. de Montgiroux, sa toilette dénonçait les mêmes soins.Le soir, on voyait ses chevaux gris piaffer à la porte desthéâtres ; le jour, on voyait sa voiture traverser rapidementles allées du Bois. À l’Opéra, elle semblait attentive à la voixdes chanteurs ; au Théâtre-Français elle continuaitd’applaudir Célimène ou Hortense ; l’encens de la flatterieformait un nuage vaporeux autour de sa tête resplendissante dejeunesse, étincelante de diamants ; elle vivait enfin dans uneatmosphère où la beauté, promptement étiolée, laisse un corps sanscharme, une âme froide, un cœur vide, un esprit épuisé, et, pour lapremière fois, comprenant l’importance de la richesse, elle yattachait du prix. Fernande avait de fréquentes entrevues avec sonnotaire ; elle achetait des terres.

Les plus ardents adorateurs de Fernandeétaient Fabien de Rieulle et Léon de Vaux : seulement, Fabien,qui connaissait Fernande depuis trois ou quatre ans, affectait avecelle les airs d’un ancien amant, tandis que Léon prenait à tâched’avoir pour elle ces mille petites prévenances qui indiquent qu’oncherche à obtenir ce que Fabien laissait croire qu’il avait obtenu.Fernande riait de tous deux ; Fabien, avec sa corruptionfroide, avec sa séduction calculée, était pour elle une étude,tandis que Léon de Vaux, avec sa fatuité naïve, sa convictiond’élégance, son affectation de bonnes manières, n’était pour ellequ’un jouet. Elle avait bien eu l’idée que la lettre anonymequ’elle avait reçue partait de l’un ou de l’autre, et peut-êtremême de tous les deux ; mais rien dans leur conduite n’avaitpu lui donner sur ce point la moindre certitude. En tout cas, si lalettre était de Léon de Vaux, elle n’avait en rien atteint le butqu’il se proposait. Fernande, aux yeux de tous, était restéelibre ; son cœur conservait trop d’amour, son âme avait acquistrop de douleurs, pour qu’elle cherchât même à attacher un senssérieux aux paroles de galanterie dont on étourdissait sesoreilles ; souvent elles les laissait passer comme si elle neles avait pas même entendues, souvent elle y répondait par dessarcasmes ; son caractère, autrefois doux et bienveillant,devenait mordant et âcre ; cette haine misanthropique qu’elleavait sentie naître pour l’humanité, depuis que l’humanité lafaisait souffrir, devenait chaque jour plus ardente ; ses yeuxdésenchantés n’apercevaient plus que le côté honteux de touteschoses, elle dénaturait jusqu’aux bonnes intentions ; lavérité la menait à l’injustice, parce qu’un peu de bonheurn’établissait pas l’équilibre par une indulgence indispensableici-bas.

– Mais, cher ange, lui disait un matinmadame d’Aulnay, que vous est-il donc arrivé qui vous change ainsile caractère ? Vous devenez véritablement insupportable, etl’on ne vous reconnaît plus.

– Eh ! madame, dit Fernande, quidonc m’a jamais connue ?

– Vous vous faites des ennemis, je vousen préviens, chère petite.

– Qu’est-ce que cela prouve ? C’estque je veux enfin savoir la vérité…

– Triste avantage ! On vousdélaissera, si cela continue.

– Oh ! pas tout à fait. Vous parliezdes ennemis que je me fais ; ceux-là me resteront, jel’espère.

– Votre esprit est amer,Fernande !

– Comme les plantes qui purifient,madame.

– Oh ! vous avez réponse à tout, jele sais bien ; mais prenez garde, personne n’est sansreproches.

– Aussi, croyez-le, je suis si sévèrelorsque je me juge, que je ne me raccommode avec moi-même quelorsque je me compare.

– Tout cela est excellent pour larepartie ; mais on vit dans ce monde.

– Comme vous ; ou hors du monde,comme moi.

– Mais, avec un peu d’adresse, vous yeussiez été reçue, dans ce monde.

– Et même, en ajoutant à un peu d’adressebeaucoup d’hypocrisie, j’aurais pu y être considérée, n’est-cepas ?

– Mais non. Voyez-moi, par exemple ;eh bien, entre nous, chère petite, tout le monde sait que lemarquis de *** est mon amant.

– Oui ; mais tout le monde saitaussi que M. d’Aulnay est votre mari ; et puis je ne suispas femme de lettres, moi ; on me juge d’après mes œuvres.

– Et moi, d’après quoi mejuge-t-on ?

– D’après vos ouvrages. N’avez-vous pasvu une de vos confrères avoir trois ans de suite le prix de vertu,parce que M. de L…, chef de bureau au ministère, n’étaitpas assez riche pour l’entretenir ?

– Ainsi nous verrons Fernandemisanthrope ?

– Je n’ai pas, comme vous, assez debonheur, de calme et de considération pour jouer le rôle dePhilinte.

– Croyez-moi, ma chère, le rôle quiconvient à toute jeune et jolie femme est celui de Célimène.

– Prenez garde ; il n’y a pas deCélimène qui, avec le temps, ne devienne une Arsinoé.

– Méchante ! on ne fera jamais riende vous ?

– Je suis ce que vous m’avez faite,madame ; et vous appelez cela rien ? Vous êtesdifficile.

– Je vous conseille de vousplaindre ; vous avez un luxe effréné, un hôtel, deschevaux.

– C’est pour arriver plus vite aubut.

– Ambitieuse ! on vous fera unchemin de fer.

– Ne m’en parlez pas, je les déteste.

– Pourquoi cela ?

– Sans doute : bientôt, grâce auxchemins de fer, on ne sera plus loin de personne.

– Oui ; mais, quand un payss’épuise, on pourrait aller dans un autre, et ce serait un profittout clair pour certaines industries que de pouvoir être àSaint-Pétersbourg, par exemple, du jour au lendemain.

À ces mots, la femme de lettres s’était levée,et, avec une révérence ironique, elle avait quitté le salon.

Dix minutes après, Fabien de Rieulle et Léonde Vaux étaient entrés ; ils venaient proposer à Fernande unepromenade à Fontenay-aux-Roses, où, selon eux, une charmante villaétait à vendre. Cette promenade, qui distrayait Fernande du Bois,était une chose nouvelle, et, par conséquent, présentait une sorted’attrait ; la promenade fut acceptée, et fixée au lendemainmatin.

Nous avons vu ce qui s’était passé àFontenay-aux-Roses, avant et depuis l’arrivée de Fernande ;comment, par son ton et par ses manières, elle avait su se faireune position à part dans l’esprit de la baronne ; commentM. de Montgiroux et Fernande s’étaient reconnus :enfin comment, au nom de Maurice, prononcé devant elle, et enapprenant qu’elle était entre la mère et la femme de son ancienamant, Fernande s’était évanouie. Nous avons dit aussi comment, enrevenant à elle, Fernande s’était retrouvée à l’instant maîtressed’elle-même, et comment son esprit juste et ferme lui avait permisde dominer la situation étrange dans laquelle elle se trouvait.

Les résolutions fortes, les mouvementsgénéreux sont pour l’âme une sorte de feu céleste qui la soutienténergique et libre. Fernande, depuis sa bruyante solitude, dans letourbillon de son isolement, avait formé tant de projets, prévutant de circonstances, qu’il lui devenait facile d’agir et deparler. Cependant, jamais elle n’avait supposé, même dans les rêvesles plus impossibles de son imagination, qu’elle reverrait un jourMaurice dans la maison qu’il habitait, qu’elle y serait reçue parsa mère et sa femme, et qu’elle lui serait conduite par elles. MaisMaurice se mourait de douleur de l’avoir perdue, quand elle avait,elle, le courage de vivre au milieu de ce qu’on appelle lesplaisirs : et, cette pensée ranimant tout à coup ses facultésabattues, elle put lier l’avenir au passé, elle put reprendre sadignité dans l’œuvre de dévouement qu’on la suppliaitd’accomplir : devant deux femmes respectées, elle sentitelle-même le besoin d’être digne de respect. Aussi, en rouvrant lesyeux, elle ne fut intimidée ni par la présence du comte deMontgiroux, ni par celle des deux jeunes gens qui l’avaient attiréedans le piège où elle était tombée ; un éclair du ciel venaitde lui montrer dans l’avenir une vengeance selon son cœur. Fernandeavait surpris entre Clotilde et Fabien un de ces regards quiexpliquent aux femmes toute une situation, regard audacieux etplein d’espoir de la part de Fabien, regard pudique et presquedouloureux de la part de Clotilde. En une seconde, sa mémoireréunit les faits, sa pensée les groupa ; elle comprit commentFabien, tout en laissant la responsabilité à Léon de Vaux, l’avaitconduite, elle Fernande, en face de la femme de Maurice. Tous lescalculs qu’avait pu former sur cette rencontre l’esprit intrigantde Fabien lui furent révélés : le dépit de la jeune femmecontre son mari, la jalousie de Clotilde contre Fernande, toutdevait être mis à profit par celui qui avait mené cette intrigue.Elle sentit ce que doit sentir, au milieu d’une bataille acharnée,un général qui devine le plan de l’ennemi, et qui comprend qu’enl’attaquant d’une certaine façon, il est sûr de la victoire. Ellecomprit que c’était, non pas le désir aveugle des hommes, mais lamain intelligente de Dieu qui avait conduit tout cela, et elle eutcette conviction soudaine qu’elle était, elle pauvre fille sansnom, elle pauvre courtisane méprisée, appelée à rendre la paix à lanoble famille dans laquelle elle était admise, en sauvantnon-seulement la vie à Maurice, mais encore l’honneur à safemme.

Ce fut la tête inclinée par cette hautepensée, le cœur affermi par cette sainte espérance, que Fernandemonta, entre madame de Barthèle et Clotilde, l’escalier quiconduisait à la chambre de Maurice.

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