La divine comédie – Tome 3 – Le Paradis

CHANT XXV

 

Si le destin permet que ce poème saint

auquel ont mis la main et le ciel et laterre

et qui m’a fait maigrir pendant bien desannées,

 

triomphe des haineux qui m’ont fermé laporte

de ce joli bercail où je dormais agneau,

mais ennemi des loups qui lui faisaient laguerre,

 

j’y rentrerai poète, avec une autre voix,

avec d’autres cheveux, recevoir lacouronne,

au-dessus des fonts mêmes où je fusbaptisé[344] ;

 

car c’est à cet endroit que j’entrai dans lafoi

qui désigne les cœurs au ciel, et pourlaquelle

Pierre ceignit mon corps comme je viens dedire.

 

Ensuite une clarté se mit en mouvement

vers nous, de ce bouquet d’où sortitl’éclaireur

qu’avait laissé le Christ, de ses futursvicaires.

 

Et ma dame me dit, resplendissant dejoie :

« Regarde bien, regarde ! Il est là,le saint homme

qui vous fait visiter la lointaineGalice ! »[345]

 

De même que parfois la colombe se pose

auprès de sa compagne, et l’une à l’autremontre,

tournant et roucoulant, son amourréciproque,

 

de même j’ai vu là se faire un bon accueil

ces princes glorieux l’un à l’autre, enlouant

le céleste aliment qui les nourritlà-haut.

 

Ces démonstrations une fois terminées,

chacun d’eux, sans parler, s’arrêta coramme[346],

si fulgurants tous deux, qu’ils m’avaientébloui.

 

Béatrice lui dit, souriant debonheur :

« Ô magnifique esprit, qui décrivisjadis

la magnanimité de notre basilique[347],

 

fais que dans ces hauteurs on parled’espérance :

tu peux le faire bien, toi qui lareprésentes,

lorsque Jésus aux trois montre sapréférence. »[348]

 

« Lève donc le regard et prends deI’as6urance,

car ce qui vient ici du monde des mortels

doit mûrir tout d’abord au feu de nosrayons ! »

 

Cet encouragement me vint du secondfeu :

ce qui me fit lever mon regard vers cescimes

dont le poids excessif me l’avait faitbaisser.

 

« Puisque notre Empereur, par sa grâce,t’octroie

de pouvoir rencontrer, avant que tu nemeures,

dans son salon secret, chacun de sesministres,

 

afin qu’ayant connu l’éclat de cette cour,

tu puisses ranimer, en toi-même et dansd’autres,

l’espérance qui fait, là-bas, aimer lebien,

 

dis-moi donc ce qu’elle est, et comment tonesprit

s’en arme ; et dis aussi d’où tu l’asobtenue ! »

Ainsi continuait la seconde clarté.

 

Mais la dame pieuse, elle, qui dirigea

pour un aussi haut vol les plumes de monaile,

devança ma réponse en parlant commesuit :

 

« Elle n’a pas de fils plus riche enespérance,

l’Église militante, ainsi qu’il est écrit

au soleil qui vêt d’or toute la saintetroupe[349] ;

aussi l’a-t-on laissé venir depuis Égypte

jusqu’à Jérusalem[350], pourtout voir et connaître,

avant que soit prescrit le temps de samilice.

 

Quant aux deux autres points, qu’on ne demandepas

pour apprendre de lui, mais afin qu’ilrapporte

combien cette vertu te produit de plaisir,

 

je le laisse parler : il n’a point àcombattre

ni chercher à briller : c’est à lui derépondre ;

que la grâce de Dieu l’assiste en cemoment ! »

 

Le meilleur écolier répond à son docteur,

aussi rapidement sur ce qu’il sait trèsbien,

afin que son savoir brille plus aisément,

 

que je dis : « L’espérance estl’attente certaine

de la gloire future, et se produit en nous

par la grâce divine et le mérite ancien.

 

La lumière m’en vient de nombreusesétoiles ;

mais qui l’a tout d’abord dans mon cœurdistillée,

du suprême Seigneur fut le suprêmechantre[351].

 

Parmi ses chants sacrés, il dit aussi :« Qu’en toi

mettent l’espoir tous ceux qui connaissant tonnom ! »

Et comment l’ignorer, avec la foi quej’ai ?

 

Tu m’abreuvas toi-même, après ce douxbreuvage,

du lait de ton épître[352], ettant que j’en déborde

et je verse à mon tour de votre source auxautres. »

 

Pans le noyau vivant de ce grand incendie,

pendant que je parlais, tremblait uneclarté

qui semblait un éclair intense etfrémissant.

 

Il me dit à la fin : « L’amour dontje m’embrase

pour la sainte vertu qui m’accompagne ici,

jusqu’à gagner la palme et au sortir duchamp[353],

 

exige d’en parler avec toi, qui tantl’aimes :

et c’est avec plaisir que je voudraisentendre

dire ce que promet pour toi cetteespérance. »

 

« Les Écritures, dis-je, anciennes etnouvelles,

nous démontrent le but, qui peut mel’enseigner,

des âmes qui de Dieu deviennent les amies.

 

C’est ainsi qu’Isaïe avait dit que chacune

aurait dans sa patrie un doublevêtement[354] :

et sa seule patrie est cette douce vie.

 

Ton frère, d’autre part, nous a manifesté

plus clairement encor sa révélation,

alors qu’il écrivait au sujet desétoles. »[355]

 

À peine avais-je dit ces dernièresparoles,

lorsque Sperent in te[356] retentit sur nos têtes,

et dans chaque carole il fut repris enchœur.

 

Un éclat s’alluma soudainement entre elles

tel que, si le Cancer possédait ce bijou,

l’hiver serait un mois qui n’aurait qu’un seuljour[357].

 

Comme se lève et va pour entrer dans ladanse,

sans arrière-penser, la vierge souriante,

rien que pour faire honneur à la jeuneépousée,

 

telle je vis alors la splendeur éclatante

se joindre aux autres deux qui tournaient enmusique

ainsi qu’il convenait à leur amour ardent.

 

Elle entra dans le chant ainsi que dans laronde ;

et ma dame sur eux reposait son regard

et semblait une épouse immobile et muette.

 

« Voici venir celui qui coucha sur lesein

de notre Pélican[358] : qui, du haut de la croix,

avait été choisi pour un officeinsigne. »

 

Ainsi parla ma dame ; et cependant sesyeux

restaient toujours rivés avec attention,

avant d’avoir parlé comme après cespropos.

 

Pareil à qui prétend, en fixant le soleil,

regarder une éclipse à l’œil nu, tant soitpeu,

et qui, voulant trop voir, cesse d’êtrevoyant,

 

tel me fit devenir cette dernière flamme,

jusqu’à ce qu’elle dît : « Pourquoidonc t’aveugler

à chercher un objet qui n’a pas lieu cheznous ? [359]

 

Sur la terre, mon corps, avec celui desautres,

est terre et le sera, tant qu’ici notrenombre

n’aura point égalé le décret éternel[360].

 

Seules les deux clartés qui viennent demonter

restent au cloître heureux avec leur doubleétole[361] :

tu peux en apporter la nouvelle à tonmonde. »

 

Au son de cette voix, la guirlandeenflammée

cessa de tournoyer, et la douce harmonie

que formait l’unisson de ces trois voix pritfin,

 

comme, pour éviter le risque ou lafatigue,

les rames qui tantôt venaient frapper lesondes

se posent à la fois, sur un coup desifflet.

 

Et quel trouble soudain s’empara del’esprit,

lorsque, m’étant tourné pour revoirBéatrice,

je ne pus plus la voir, quoique je fussealors

 

toujours aussi près d’elle, au séjour desheureux.

 

 

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