La divine comédie – Tome 3 – Le Paradis

CHANT XXIV

 

« Ô compagnie élue à cette grandecène

de l’Agneau sacro-saint qui vous nourrit sibien

que tous vos appétits se voient toujourscomblés !

 

Si la grâce de Dieu veut que cet hommegoûte

les miettes qui pourront tomber de votretable,

avant que la mort mette à son âge une fin,

 

voyez l’immense amour qui le pousse !Offrez-lui,

vous qui buvez toujours à la sourceelle-même,

d’où vient ce qu’il attend, la goutte derosée ! »

 

Ainsi dit Béatrice ; et ces âmesheureuses

tournaient comme le globe autour des pôlesfixes,

brillant d’un feu plus vif que ne font lescomètes.

 

Comme une horloge marche au moyen desrouages

qui tournent de façon que, lorsqu’on lesregarde,

l’une semble au repos, l’autre paraîtvoler,

 

ces caroles, dansant chacune à sa manière,

laissaient voir le degré de leur proprerichesse,

selon que leur allure était plus vive oulente.

 

De celle où je crus voir les plus grandesbeautés

se détacha soudain un feu si bienheureux,

que nul ne laissait voir un éclat aussivif.

 

Il tourna par trois fois autour deBéatrice,

au rythme de son chant, qui semblait sidivin,

nue mon esprit n’a pas le moyen de ledire ;

 

ma plume saute donc, sans rien vouloirécrire,

puisque la langue et même l’imagination,

pour rendre de tels plis, sont des couleurstrop crues.

 

« Ô ma très sainte sœur, qui sidévotement

me le viens demander, l’ardeur de tonamour

me fait me détacher de ma belleguirlande. »

 

Cette flamme bénite, après s’être arrêtée,

dirigea du côté de ma dame l’haleine

qui prononçait les mots que je viens deciter.

 

« Ô lumière sans fin, dit-elle, du grandhomme

à qui notre Seigneur a confié les clefs

du suprême bonheur qu’il offrit à laterre[334],

 

examine à ton gré celui-ci, sur des points

simples ou délicats, concernant cette foi

qui te faisait marcher sur la face deseaux !

 

S’il aime bien, s’il croit et s’il espèrebien[335],

tu ne l’ignores pas, car ton regard sepose

au point où tout objet se trouve figuré.

 

Mais comme ce royaume acquiert sescitoyens

par la foi véritable, il convient qu’on luidonne

ici l’occasion de parler à sagloire. »

 

Comme un bachelier se prépare en silence,

attendant que le maître termine l’exposé,

sinon pour le trancher, pour discuter sestermes[336],

 

tel je me munissais de toutes les raisons,

pendant qu’elle parlait, pour soutenir aumieux

une pareille thèse, et devant un telmaître.

 

« Parle donc, bon chrétien, dis-moi ceque tu sais :

qu’est-ce donc que la foi ? » Moi,je levai la tête,

pour mieux voir la clarté qui me soufflait cesmots.

 

Puis je me retournai vers Béatrice ; etelle

fit signe promptement de laissers’épancher

vers le dehors le flot des sources dudedans.

 

« La grâce qu’on me fait, dis-je alors,de pouvoir

ainsi me confesser au plus grandprimipile[337],

m’incite à formuler clairement mapensée. »

 

Je poursuivis : « Mon père, ainsiqu’avait écrit

le stylet qui dit vrai du frère bien-aimé

qui mit Rome, avec toi, sur le chemin dubien[338],

 

la foi, c’est l’argument des chosesinvisibles

et la substance aussi des chosesespérées :

si je l’ai bien compris, c’est là saquiddité. »[339]

 

Alors je l’entendis : « Ce que tudis est vrai,

si tu sais dire aussi, pourquoi l’a-t-ilplacée

parmi les arguments et parmi lessubstances. »

 

Je repris aussitôt : « Les mystèresprofonds

qui me montrent ici leur face véritable

restent si bien cachés aux regards delà-bas,

 

que leur seule existence est la foi qu’on ena

et dans laquelle on met notre suprêmeespoir :

et c’est par là qu’elle a l’aspect d’unesubstance.

 

Comme il faut, d’autre part, syllogiser surelle

nS qu’on puisse produire une preuve àl’appui,

s, je acquiert de ce fait un aspectd’argument. »

 

j’entendis qu’il disait : « Si toutce qu’on apprend

l’école, sur terre, était ainsi compris,

verrait sans emploi tout l’esprit dessophistes. »

 

Ce furent là les mots de cet espritardent ;

ensuite il ajouta : « Nous avonsdéjà vu

le poids de la monnaie, ainsi que sonaloi ;

 

mais dis-moi maintenant si tu l’as dans tabourse. »

Je dis : « Oui, je l’ai bien, sironde et si brillante,

que son coin ne fait pas le moindre objet dedoute. »

 

La profonde splendeur qui brillait devantmoi

dit ensuite ces mots : « Ce joyauprécieux,

qui fait le fondement de toutes lesvertus.

 

comment t’est-il venu ? » Jedis : « Du Saint-Esprit

la copieuse ondée, autrefois épanchée

au-dessus des nouveaux et des vieuxparchemins[340],

 

est le seul syllogisme où je l’ai vuprouver,

mais si pertinemment, que, par rapport àlui,

les démonstrations me paraîtraientobtuses. »

 

Puis j’entendis : « Le texte ancienet le nouveau

qui t’ont fait arriver à ces conclusions,

pourquoi donc les tiens-tu pour paroledivine ? »

 

« La preuve, dis-je alors, qui m’a faitvoir le vrai

est la suite des faits, pour lesquels lanature

n>a pas chauffé le fer ni frappé surl’enclume. »[341]

 

 

Il me fut demandé : « Mais dis-moi,qui t’assure

que ces faits ont eu lieu ? Car ce quiles confirme,

n’est-ce pas justement ce qu’il faudraitprouver ? »

 

« Si tout le monde vint, dis-je, auchristianisme

sans miracle, ce fait en est un enlui-même,

et tel que tout le reste est moins que lecentième[342]  ;

 

car toi-même, tu vins bien pauvre etaffamé

au champ, quand tu voulus semer la bonneplante

qui, vigne en d’autres temps, est roncemaintenant. »

 

Après ces mots derniers, l’illustre et saintecour

fit retentir la sphère en chantant :« Louons Dieu ! »

avec les doux accords qu’on ne sait quelà-haut.

 

Ce saint homme pourtant, qui m’avaitentraîné

avec son examen, sautant de branche enbranche,

au point de m’approcher des feuilles les plushautes,

 

reprit presque aussitôt : « La grâcequi se plaît

à meubler ton esprit t’a fait ouvrir labouche

de la seule façon qui convient, jusqu’ici,

 

et je suis bien d’accord avec ce qu’il ensort ;

mais il faut maintenant dire ce que tucrois,

et d’où cette croyance arriva jusqu’àtoi. »

 

« Ô mon saint père, esprit qui peux voirmaintenant

ce que tu crus jadis si fort, que tuvainquis,

courant vers le tombeau, des pieds beaucoupplus jeunes,

 

commençai-je, tu veux que je te manifeste,

ici même, le fond de ma propre croyance,

et demandes aussi quelle en fut la raison.

 

Vois ce que je réponds : Je crois en unseul Dieu,

seul, éternel, qui met les cieux enmouvement,

par l’amour et l’espoir, sans être mûlui-même.

 

À la preuve physique et la métaphysique

de cette foi[343]j’ajoute aussi les arguments

puisés dans tout le vrai qui coule à flotsd’ici,

 

par la voix de Moïse et celle desprophètes,

les Psaumes, l’Évangile et par vous,écrivains

que le feu de l’Esprit avait alimentés.

 

Je crois à la Personne éternelle ettriplée ;

je crois que son essence est une et triple, ensorte

qu’on peut dire qu’elle est et sont en mêmetemps.

 

Le mystère divin de sa condition

que je commente ici, le texte évangélique

l’a mis dans mon esprit à plus d’unereprise.

 

Telle fut l’étincelle et tel fut leprincipe

qui s’est épanoui dans une vive flamme

et qui scintille en moi comme une étoile auciel. »

 

Comme le maître écoute un rapport qui luiplaît

et, quand le serviteur s’est tu, vientl’embrasser,

montrant qu’il est content de la bonnenouvelle,

 

ainsi, me bénissant au milieu de sonchant,

trois fois vint m’entourer la flammeapostolique

qui m’avait fait parler, sitôt que je metus,

 

tant il eut de plaisir à m’avoir entendu.

 

 

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