La Faneuse d’amour

Chapitre 7

 

Après trois ans de labeur, et en vivant deménage, les Mortsel possédaient un millier de francs placés en lotsde ville. Une de leurs obligations sortit avec une prime devingt-cinq mille francs. Pour des gens de leur trempe, pleins debonne volonté et d’adresse, c’était l’avenir assuré. Rikka, la plusambitieuse des deux, engagea son homme à s’établir. D’abord, il eutpeur. Excellent maçon, outil de choix, il redoutait les côtésthéoriques du métier, les calculs, les écritures. La partie luisemblait risquée. Mais l’industrieuse élève des Bonnes-Sœurs seraitlà pour lui servir de comptable. Il finit par entendre raison.

En gens prudents ils avaient eu le soin detaire leur aubaine. Leur établissement fut diplomatique : ilsexprimèrent des craintes, feignirent des hésitations, invoquèrentles risques et aux plus discrets ils donnaient seulement à devinerqu’un capitaliste leur avançait juste les premiers fonds pourattaquer l’entreprise.

Ils réussirent au delà des espérances deRikka.

C’était l’époque des grandes constructions,des assainissements, du luxe extérieur, de la toilette et del’apparat des rues. Les patriciens agrandissaient leurs hôtels, lesnouveaux riches se faisaient construire des demeures plussomptueuses encore ; les pignons et les jardins du négocianten denrées coloniales empêchaient le moindre épicier de dormir.Rikka, douée d’un flair israéliste, doublait, quadruplait,décuplait leur avoir. Des spéculations en terrains portaient leurfortune à un demi-million.

Nikkel, gros bourgeois, président du Conseilde prud’hommes, s’était bâti une prétentieuse maison sur une desavenues couvrant les anciens fossés de la forteresse. La façade, oùs’enchevêtraient les styles renaissance, gothique, jésuite etrococo, superposait deux étages à quatre fenêtres encorbellées,garnies de balustres. Les poignées de cuivre de la porte de chênesculpté sortaient de la bouche de mascarons joufflus. À l’angle desdeux façades, celui du boulevard et d’une rue nouvellement tracée,une rotonde s’élevait, à quelques mètres au-dessus du toit, en unetourelle à poivrière surmontée de l’immanquable girouette dorée. Ily avait aux fenêtres des rideaux rouges et sur les consoles descache-pots plantés de jacinthes et de tulipes : une despassions de Rikka.

Au fond de l’allée cochère s’ouvrait uneéchappée spacieuse bornée à droite par les écuries et les remises,à gauche par les ateliers et les magasins. Derrière verdoyaient,encloses de quatre murs chaperonnés de tuiles rouges, les pelousesd’un jardin anglais qu’une grille à claire-voie protégeait contreles incursions des ouvriers.

L’intérieur accumulait la dose de faste et deconfort qu’un millionnaire s’improvise. Plafonds, et lambris,portaient la signature d’un décorateur venu de Bruxelles. Lespoufs, les causeuses, les cabinets de laque, les guéridons deBoule, les chinoiseries, les bronzes, les tapis et les tenturesd’Orient, les glaces biseautées, les dressoirs chargés d’émaux etde nielles, de cristaux et de vaisselle aveuglante : aucun desaccessoires obligés d’un mobilier de nabab ne manquait à ces salonssans cachet et sans plus d’intimité que les cabines de premièreclasse des grands steamers.

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