La Faneuse d’amour

Chapitre 17

 

Les d’Adembrode défrichaient depuis plusieurssiècles arpent sur arpent des sablons campinois et étaientparvenus, tout en arrondissant leur domaine, à doter le communald’une centaine d’hectares d’excellente terre, en plein rapport,digne de rivaliser avec les alluvions des Polders. Mais ces prés etces cultures se noyaient dans l’immensité des garigues et des boisd’alentour.

Clara Mortsel était arrivée à Santhoven, enaoût, lorsque les bruyères fleuries roulent à perte de vue lesvagues d’une mer rose. De distance en distance des sapinières etdes chênaies tranchent par leur feuillage sombre et velouté surcette floraison adorable, et l’arome de ces arbres à essence fortese combine avec les parfums sauvages des brandes.

Quand approche l’automne, en septembre, par untemps pluvieux, lorsque le soleil s’efforce péniblement de sourireà la nature et que ses baisers la mouillent de larmes au moment deleur séparation, cette atmosphère vous grise et vous remue. Plustard, vers le soir, des monceaux d’essarts, torchères pâles etfumeuses, cassolettes d’un farouche encens s’allument dans leslandes aux mains hiératiques des bergers et ces brûlis auxquels ilsréchauffent leurs doigts gourds, glacent, là-bas, le cœur du rarepassant.

L’habitant de ces régions correspond aucaractère grave du décor. La sève circule sous l’écorce des rouvreset affleure à la pulpe des hommes.

Ce peuple d’un terroir qui passe à juste titrepour celui où le sang anversois se sélectionne, impressionna plusprofondément la comtesse, par ses mystérieux dessous et son feuintérieur, que l’ouvrier urbain par son débraillé et son vicebravache.

Ces Campinois sont aussi plus robustes, dechair mieux tassée, mieux pétrie, moins veules que les balourds desPolders riverains de l’Escaut.

Elle se complut à les observer de près, commeelle épiait autrefois les maçons et frôlait les lazzaroni du portd’Anvers :

Les soirs d’été, principalement les lundis, labesogne terminée, les gars de la paroisse se réunissent aucarrefour près du cimetière.

Accroupis en rond, quelques-uns couchés àplat-ventre, d’autres adossés au mur, c’est à qui racontera sesaventures du dimanche, ses libations et ses amours. Ils s’exprimentavec gravité, d’une voix cuivrée et traînarde. Empêtrés dans leurrécit, ils suppléent à leur élocution pâteuse par des gestescoloriés et lents, illustrent leurs dires de postures évocativesjusqu’à la licence ; des postures qui griffaient pour des moisla rétine de Clara.

À mesure que la nuit tombe, leurs accès derire brefs et saccadés comme des hennissements de poulains, se fontrares. Par-dessus la clôture du champ des morts, les croixdeviennent moins distinctes et, pour cette raison même, plusinquiétantes. Elles tracent un geste impératif. Le narrateur lanceen pure perte ses dernières saillies.

Graduellement s’éteignent les pipes, seclairsème l’assemblée.

Au dernier coup de neuf heures il n’y a plusun vivant près de l’église. Le calme règne complet.

Obéies, les croix sont rentrées dans lesténèbres.

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