La Faneuse d’amour

Chapitre 16

 

Si Clara s’était fait illusion sur l’effetapaisant du mariage, elle se méprit encore davantage sur lacampagne.

Elle n’avait appris de la vie aux champs quece qu’en révélaient quelques livres fades de la bibliothèque de lapension : les pastorales de Mme Deshouillères, de Racanet le Télémaque.

Ce qu’elle en savait de plus tangibles’embrouillait dans les souvenirs de son berceau de Niel avec lesexhalaisons de salpêtre et de chlore, les végétations et lescultures corrodées autour des fours à briques. Encore, ne seremémorait-elle pas la campagne proprement dite en se rappelant lesrives industrielles et quasi-faubouriennes du Rupel.

Depuis leur installation à la ville, commec’est généralement le cas chez les transfuges du village, sesparents avaient rompu pour jamais avec la banlieue, nourrissantmême un mépris féroce à l’endroit des blouses, des hautescasquettes, des coiffes et des cottes villageoises, de l’éternelvert et bleu de la campagne ; et une des seules objections dupère Mortsel au mariage de sa fille avec le comte d’Adembrode avaitété cet exil à perpétuité dans une crétine bourgade – c’était sonmot – de la Campine.

Clara boudait la campagne pour d’autresmotifs. Elle se la représentait retentissant de bêlementsd’agnelets à faveurs roses, pullulant de bergers classiques etmélomanes, d’Estelles et de Némorins, tapissée de myosotis, saturéede poésie laiteuse et édulcorée ; et parce qu’une campagneainsi imaginée l’ennuierait à mort, elle en avait attendu une sorted’apaisement.

Or, voilà que cette atrophie de ses sens, leschamps la lui refusaient. Elle ne dut pas séjourner longtemps àSanthoven pour revenir de son illusion et ranger la prétenduesimplicité de mœurs du paysan et l’idyllique innocence des hameauxparmi les ingénieuses fictions destinées aux sentimentalistes etaux observateurs passagers.

Habituée dès l’enfance à tout pénétrer, à nepas se fier aux apparences, Clara découvrit bientôt lesoscillations et les courants sous la surface impassible.

Comme elle, la Nature n’était qu’unehypocrite, luttant en sourdine, secouée par des spasmes intérieurs.Les convulsions printanières, l’ascension des sèves, les rivalitésdes racines pompant aux mêmes sources, les papillonnements dupollen n’altéraient pas l’apparence majestueuse de la grandeMatrice.

Une torpeur lascive s’emparait de la chairbrune et veloutée de la glèbe aussi bien que de l’argile épaisse deses laboureurs. Les pubertés accumulaient leurs trésors jusqu’aumoment de les répandre copieusement. Continence spéculative !Car plus la constriction est longue et taquine, plus, au jour de larencontre d’appétences réciproques exaspérées par l’attente, lacollision sera formidable et paroxyste la jouissance.

Oui, ce sont les passions latentes, les amoursajournées, les ruts tenus en bride, les humeurs accumulées quioppressent les détenteurs perversement chastes, et donnent auxêtres et aux choses de la campagne une apparence rassise etémoussée.

Plus tard seulement, on découvre sous cetteprétendue apathie la rage et la révolte. Ce n’est pas del’impuissance mais de la pléthore.

Cybèle secrète trop de forces. De là sonaccablement et sa torpeur. Ces réplétions exigeraient des débondesprolifiques : on n’offre à la déesse que des soulagementsdérisoires.

C’est surtout vers le Nord et en pays flamandqu’elle revêt des formes déroutantes pour le profane, maisprestigieuses pour ses vrais adorateurs.

Aussi la comtesse d’Adembrode, prédestinée,s’éprit de ces cieux plombés et pesants, de ces horizons presquetoujours guillochés d’averses sous lesquels même les scènes dubonheur provoquent de l’angoisse et comme une appréhension demirage.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer