La Faneuse d’amour

Chapitre 19

 

Les labeurs des champs et des fermes larequirent avec plus de séduction qu’anciennement les manœuvres desmaçons. Pendant ses courses, à l’approche de l’hiver, elles’attardait à l’intérieur des chaumes, feignait de s’intéresser auxconfidences monotones et dolentes des femmes affenant le bétail outirant les vaches accroupies dans la litière. Clara s’extasiaitdevant les bêtes, faisait causer les vachères, mais était pluspréoccupée de l’aire voisine que le rythme des fléaux mettait entrépidation.

La fermière lui offrait de se rendre de cecôté. Les larges mouvements des batteurs, la gymnastique desvanneurs à moitié nus, l’auraient tenue, haletante, sur place,durant des heures. Dans cette grange où des activités musculairesse dépensaient depuis le chant du coq, où une transpirationacharnée imbibait le sol de ses gouttelettes, dans cette grangetoute imprégnée des effluves de la force, il sortait fumante, despoitrines charnues, des pieds déchaux, de tout ce cuir trempé desueur, une fauve et excitante odeur de mâle.

Les travailleurs, un peu confus d’êtreobservés, interrompaient leur corvée, saluaient, s’épongeaient enriant rouge, et cet embarras enfantin était exquis chez ces hommesrâblés.

L’air de Clara, cet air affable n’ayant riende protecteur, les modulations tendres de sa parole flamande, sapréoccupation de leur bien-être, son souci de leur personne et deleur famille, apprivoisaient et séduisaient ces tâcherons. Sansjamais soupçonner la violence de son penchant, à la longue ils sesavaient bien voulus. Sa présence, sa voix, ses regards répandaientautour d’eux une atmosphère à la fois douce et capiteuse. Telle,une de ces tièdes et longues pluies de printemps, que tamisent leslilas en fleur et dont les larges gouttes apportent aux fronts lesplus rudes la sensation d’invisibles lèvres.

Souvent au milieu du jour, par un soleiltorride, sous l’air pesant de juin, elle surprenait le travail desbotteleurs. En arrêt, elle dévisageait un instant, avec unejalousie péniblement dissimulée, les femmes rieuses râtelant lesbrindilles d’herbe laissées à leurs pieds par les garçons. Touteson attention appartenait à la besogne compliquée de ceux-ci. Elleles voyait près des meules, étreignant de leurs genoux et de leursbras la masse de foin qu’ils liaient en botte avec cet accentnerveux et volontaire inséparable d’un pareil labeur.

Un de ces ouvriers portait beau, plus que lesautres :

C’était un grand brun de vingt-trois ans,membru, large d’épaules, ferme des reins, solide sur ses jarrets.Il avait la face ronde et pleine, le teint vif ; sous lessourcils droits et épais et les cils soyeux, des prunelles brunespassant de la limpidité des hépatites aux luisants sombres dubronze ; le nez droit, les ailes dégagées, de larges narinesvibrantes ; la bouche bien meublée et bien fendue légèrementinfléchie aux commissures ; la moustache naissante ; lamâchoire accusée ; le menton imberbe presque carré ; lecou large aux attaches charnues ; les oreilles moyennes, biendessinées, un peu écartées de la tête ; un front énergiquesous un cabasset de cheveux noirs et frisés, comme de l’astrakan,plantés drus et droits, taillés assez courts. Il travaillait enchantonnant et Clara se rapprochait assez pour entendre craquer àses mouvements de jeune taureau ses bragues de coutil et sa chemiseouverte sur la poitrine.

Elle fixa pour jamais dans sa pensée lasaison, l’heure et le décor, avec, au premier plan, le personnageprincipal.

Autour de ces botteleurs en action, lacampagne s’étendait mornement belle et apaisée, comme elle l’est àcette époque des foins où les herbes des prés se décolorent, sefanent et montrent leurs têtes gonflées de gramen. Par intervallesle cri de la caille piquait à coups de bec la trame du lourdsilence et, plus rare encore que le bruit, un souffle d’air mêlaitau poivre persistant des foins le bouquet plus suave, plus calmedes sureaux.

La comtesse, qui connaissait les habitants deSanthoven et des clochers voisins, voyait cette fière graine depaysan pour la première fois. Elle regrettait de ne pas avoirabordé le jeune travailleur pour s’informer de son nom et de sontoit. Cette action et ce discours eussent semblé normaux aumoissonneur et à ses compagnons ; mais l’impression produiteavait été tellement forte que la comtesse redouta de trahir sontrouble non par ses paroles, mais par leur son.

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