Scène VIII
Lysandre,Célidée
Célidée
Quoi ? j’aurai donc de vous encore unevisite !
Vraiment pour aujourd’hui je m’en estimaisquitte.
Lysandre
Une par jour suffit, si tu veux endurer
Qu’autant comme le jour je la fasse durer.
Célidée
Pour douce que nous soit l’ardeur qui nousconsume,
Tant d’importunité n’est point sansamertume.
Lysandre
Au lieu de me donner ces appréhensions,
Apprends ce que j’ai fait sur tescommissions.
Célidée
Je ne vous en chargeai qu’afin de medéfaire
D’un entretien chargeant, et qui m’allaitdéplaire.
Lysandre
Depuis quand donnez-vous ces qualités auxmiens ?
Célidée
Depuis que mon esprit n’est plus dans vosliens.
Lysandre
Est-ce donc par gageure, ou pargalanterie ?
Célidée
Ne vous flattez point tant que ce soitraillerie.
Ce que j’ai dans l’esprit je ne le puisceler,
Et ne suis pas d’humeur à rien dissimuler.
Lysandre
Quoi ! que vous ai-je fait ? d’oùprovient ma disgrâce ?
Quel sujet avez-vous d’être pour moi deglace ?
Ai-je manqué de soins ? ai-je manqué defeux ?
Vous ai-je dérobé le moindre de mesvœux ?
Ai-je trop peu cherché l’heur de votreprésence ?
Ai-je eu pour d’autres yeux la moindrecomplaisance ?
Célidée
Tout cela n’est qu’autant de propossuperflus.
Je voulus vous aimer, et je ne le veuxplus ;
Mon feu fut sans raison, ma glace l’est demême ;
Si l’un eut quelque excès, je rendrai l’autreextrême.
Lysandre
Par cette extrémité vous avancez ma mort.
Célidée
Il m’importe fort peu quel sera votresort.
Lysandre
Quelle nouvelle amour, ou plutôt quelcaprice
Vous porte à me traiter avec cetteinjustice,
Vous de qui le serment m’a reçu pourépoux ?
Célidée
J’en perds le souvenir aussi bien que devous.
Lysandre
Évitez-en la honte et fuyez-en le blâme.
Célidée
Je les veux accepter pour peines de maflamme.
Lysandre
Un reproche éternel suit ce tourinconstant.
Célidée
Si vous me voulez plaire, il en faut faireautant.
Lysandre
Est-ce là donc le prix de vous avoirservie ?
Ah ! cessez vos mépris, ou me privez devie.
Célidée
Eh bien ! soit, un adieu les va fairecesser :
Aussi bien ce discours ne fait que melasser.
Lysandre
Ah ! redouble plutôt ce dédain qui metue,
Et laisse-moi le bien d’expirer à tavue ;
Que j’adore tes yeux, tout cruels qu’ils mesont ;
Qu’ils reçoivent mes vœux pour le mal qu’ilsme font.
Invente à me gêner quelque rigueurnouvelle ;
Traite, si tu le veux, mon âme encriminelle :
Dis que je suis ingrat, appelle-moiléger ;
Impute à mes amours la honte dechanger ;
Dedans mon désespoir fais éclater tajoie ;
Et tout me sera doux, pourvu que je tevoie.
Tu verras tes mépris n’ébranler point mafoi,
Et mes derniers soupirs ne voler qu’aprèstoi.
Ne crains point de ma part de reproche oud’injure,
Je ne t’appellerai ni lâche, ni parjure.
Mon feu supprimera ces titresodieux ;
Mes douleurs céderont au pouvoir de tesyeux ;
Et mon fidèle amour, malgré leur vieatteinte,
Pour t’adorer encore étouffera ma plainte.
Célidée
Adieu. Quelques encens que tu veuillesm’offrir,
Je ne me saurais plus résoudre à lessouffrir.