Scène VI
Hippolyte,Lysandre
Hippolyte
Quoi ? sans la retenir, vous la laissezrentrer ?
Allez, Lysandre, allez ; c’est assez decontraintes ;
J’ai pitié du tourment que vous donnent cesfeintes.
Suivez ce bel objet dont les charmespuissants
Sont et seront toujours absolus sur vossens.
Quoi qu’après ses dédains un peu d’orgueilpublie,
Son mérite est trop grand pour souffrir qu’onl’oublie ;
Elle a des qualités, et de corps, etd’esprit,
Dont pas un cœur donné jamais ne sereprit.
Lysandre
Mon change fera voir l’avantage desvôtres,
Qu’en la comparaison des unes et desautres
Les siennes désormais n’ont qu’un éclatterni,
Que son mérite est grand, et le vôtreinfini.
Hippolyte
Que j’emporte sur elle aucunepréférence !
Vous tenez des discours qui sont horsd’apparence ;
Elle me passe en tout ; et dans cechangement,
Chacun vous blâmerait de peu de jugement.
Lysandre
M’en blâmer en ce cas, c’est en manquersoi-même,
Et choquer la raison, qui veut que je vousaime.
Nous sommes hors du temps de cette vieilleerreur
Qui faisait de l’amour une aveugle fureur,
Et l’ayant aveuglé, lui donnait pourconduite
Le mouvement d’une âme et surprise etséduite.
Ceux qui l’ont peint sans yeux ne leconnaissaient pas ;
C’est par les yeux qu’il entre, et nous ditvos appas ;
Lors notre esprit en juge ; et suivant lemérite,
Il fait croître une ardeur que cette vueexcite.
Si la mienne pour vous se relâche unmoment,
C’est lors que je croirai manquer dejugement ;
Et la même raison qui vous rend admirable
Doit rendre comme vous ma flammeincomparable.
Hippolyte
Épargnez avec moi ces propos affétés.
Encore hier Célidée avait cesqualités ;
Encore hier en mérite elle était sanspareille.
Si je suis aujourd’hui cette uniquemerveille,
Demain quelque autre objet, dont vous suivrezla loi,
Gagnera votre cœur et ce titre sur moi.
Un esprit inconstant a toujours cetteadresse.