Scène III
Dorimant,Célidée
Célidée
Après cette retraite et ce morne silence,
Pouvez-vous bien encor demeurer enbalance ?
Dorimant
Je n’en ai que trop vu, mes yeux m’en ont tropdit :
Aronte, en me parlant, était toutinterdit,
Et sa confusion portait sur son visage
Assez et trop de jour pour lire sonmessage.
Traître, traître Lysandre, est-ce là donc lefruit
Qu’en faveur de mes feux ton amitiéproduit ?
Célidée
Connaissez tout à fait l’humeur del’infidèle,
Votre amour seulement la lui fait trouverbelle :
Cet objet, tout aimable et tout parfait qu’ilest,
N’a des charmes pour lui que depuis qu’il vousplaît ;
Et votre affection, de la sienne suivie,
Montre que c’est par là qu’il en a prisenvie,
Qu’il veut moins l’acquérir que vous ledérober.
Dorimant
Voici, dans ce larcin, qui le faitsuccomber.
En ce dessein commun de servir Hippolyte,
Il faut voir seul à seul qui des deux lamérite :
Son sang me répondra de son manque de foi,
Et me fera raison et pour vous et pourmoi.
Notre vieille union ne fait qu’aigrir monâme,
Et mon amitié meurt voyant naître saflamme.
Célidée
Vouloir quelque mesure entre un perfide etvous,
Est-ce faire justice à ce justecourroux ?
Pouvez-vous présumer, après sa tromperie,
Qu’il ait dans les combats moins desupercherie ?
Certes pour le punir c’est trop vousnégliger,
Et chercher à vous perdre au lieu de vousvenger.
Dorimant
Pourriez-vous approuver que je prisseavantage
Pour immoler ce traître à mon peu decourage ?
J’achèterais trop cher la mort dusuborneur,
Si pour avoir sa vie il m’en coûtaitl’honneur,
Et montrerais une âme, et trop basse et tropnoire,
De ménager mon sang aux dépens de magloire.
Célidée
Sans les voir l’un ni l’autre en périlexposés,
Il est pour vous venger des moyens plusaisés.
Pour peu que vous fussiez de monintelligence,
Vous auriez bientôt pris une justevengeance ;
Et vous pourriez sans bruit ôter àl’inconstant…
Dorimant
Quoi ? ce qu’il m’a volé ?
Célidée
Non, mais du moins autant.
Dorimant
La faiblesse du sexe en ce point vousconseille ;
Il se croit trop vengé, quand il rend lapareille :
Mais suivre le chemin que vous vouleztenir,
C’est imiter son crime au lieu de lepunir ;
Au lieu de lui ravir une belle maîtresse,
C’est prendre, à son refus, une beauté qu’illaisse.
(Lysandre vient avec Aronte, qui luifait voir Dorimant avec Célidée.)
C’est lui faire plaisir, au lieu del’affliger,
C’est souffrir un affront, et non pas sevenger.
J’en perds ici le temps. Adieu : je meretire ;
Mais, avant qu’il soit peu, si vous entendezdire
Qu’un coup fatal et juste ait punil’imposteur,
Vous pourrez aisément en deviner l’auteur.
Célidée
De grâce, encore un mot. Hélas ! ilm’abandonne
Aux cuisants déplaisirs que ma douleur medonne.
Rentre, pauvre abusée, et dedans tesmalheurs,
Si tu ne les retiens, cache du moins tespleurs !