Scène VII
Lysandre,Dorimant, leLibraire, leMercier
Lysandre
Je te prends sur le livre.
Dorimant
Eh bien, qu’en veux-tu dire ?
Tant d’excellents esprits, qui se mêlentd’écrire,
Valent bien qu’on leur donne une heure deloisir.
Lysandre
Y trouves-tu toujours une heure deplaisir ?
Beaucoup font bien des vers, et peu lacomédie.
Dorimant
Ton goût, je m’en assure, est pour laNormandie.
Lysandre
Sans rien spécifier, peu méritent devoir ;
Souvent leur entreprise excède leurpouvoir :
Et tel parle d’amour sans aucune pratique.
Dorimant
On n’y sait guère alors que la vieillerubrique :
Faute de le connaître, on l’habille enfureur
Et loin d’en faire envie, on nous en faithorreur.
Lui seul de ses effets a droit de nousinstruire ;
Notre plume à lui seul doit se laisserconduire :
Pour en bien discourir, il faut l’avoir bienfait ;
Un bon poète ne vient que d’un amantparfait.
Lysandre
Il n’en faut point douter, l’amour a destendresses
Que nous n’apprenons point qu’auprès de nosmaîtresses.
Tant de sorte d’appas, de douxsaisissements,
D’agréables langueurs et de ravissements,
Jusques où d’un bel œil peut s’étendrel’empire,
Et mille autres secrets que l’on ne sauraitdire
(Quoi que tous nos rimeurs en mettent parécrit),
Ne se surent jamais par un effortd’esprit ;
Et je n’ai jamais vu de cervelles bienfaites
Qui traitassent l’amour à la façon despoètes :
C’est tout un autre jeu. Le style d’unsonnet
Est fort extravagant dedans uncabinet ;
Il y faut bien louer la beauté qu’onadore,
Sans mépriser Vénus, sans médire de Flore,
Sans que l’éclat des lis, des roses, d’un beaujour,
Ait rien à démêler avecque notre amour.
Ô pauvre comédie, objet de tant de veines,
Si tu n’es qu’un portrait des actionshumaines,
On te tire souvent sur un original
À qui, pour dire vrai, tu ressembles fortmal !
Dorimant
Laissons la muse en paix, de grâce à lapareille.
Chacun fait ce qu’il peut, et ce n’est pasmerveille
Si, comme avec bon droit on perd bien unprocès,
Souvent un bon ouvrage a de faiblessuccès.
Le jugement de l’homme, ou plutôt soncaprice,
Pour quantité d’esprits n’a que del’injustice :
J’en admire beaucoup dont on fait peud’état ;
Leurs fautes, tout au pis, ne sont pas coupsd’État,
La plus grande est toujours de peu deconséquence.
Le Libraire
Vous plairait-il de voir des piècesd’éloquence ?
Lysandre
(Ayant regardé le titre d’un livreque le libraire lui présente.)
J’en lus hier la moitié ; mais son volest si haut,
Que presque à tous moments je me trouve endéfaut.
Dorimant
Voici quelques auteurs dont j’aimel’industrie.
Mettez ces trois à part, mon maître, je vousprie ;
Tantôt un de mes gens vous les viendrapayer.
Lysandre, se retirantd’auprès les boutiques.
Le reste du matin où veux-tul’employer ?
Le Mercier
Voyez deçà, messieurs ; vous plaît-ilrien du nôtre ?
Voyez, je vous ferai meilleur marché qu’unautre,
Des gants, des baudriers, des rubans, descastors.