Scène VI
Hippolyte,Célidée
Hippolyte, frappant à laporte de Célidée.
Célidée, es-tu là ?
Célidée
Que me veut Hippolyte ?
Hippolyte
Délasser mon esprit une heure en tavisite.
Que j’ai depuis un jour un importunamant !
Et que, pour mon malheur, je plais àDorimant !
Célidée
Ma sœur, que me dis-tu ? Dorimantt’importune !
Quoi ! j’enviais déjà ton heureusefortune,
Et déjà dans l’esprit je sentais quelqueennui
D’avoir connu Lysandre auparavant que lui.
Hippolyte
Ah ! ne me raille point. Lysandre, quit’engage,
Est le plus accompli des hommes de sonâge.
Célidée
Je te jure, à mes yeux l’autre l’est bienautant.
Mon cœur a de la peine à demeurerconstant ;
Et pour te découvrir jusqu’au fond de monâme,
Ce n’est plus que ma foi qui conserve maflamme :
Lysandre me déplaît de me vouloir du bien.
Plût aux dieux que son change autorisât lemien,
Ou qu’il usât vers moi de tant denégligence,
Que ma légèreté se pût nommervengeance !
Si j’avais un prétexte à me mécontenter,
Tu me verrais bientôt résoudre à lequitter.
Hippolyte
Simple, présumes-tu qu’il devienne volage
Tant qu’il verra l’amour régner sur tonvisage ?
Ta flamme trop visible entretient sesferveurs,
Et ses feux dureront autant que tesfaveurs.
Célidée
Il semble, à t’écouter, que rien ne leretienne
Que parce que sa flamme a l’aveu de lamienne.
Hippolyte
Que sais-je ? Il n’a jamais éprouvé tesrigueurs ;
L’amour en même temps sut embraser voscœurs ;
Et même j’ose dire, après beaucoup demonde,
Que sa flamme vers toi ne fut que laseconde.
Il se vit accepter avant que des’offrir ;
Il ne vit rien à craindre, il n’eut rien àsouffrir ;
Il vit sa récompense acquise avant lapeine,
Et devant le combat sa victoire certaine.
Un homme est bien cruel quand il ne donnepas
Un cœur qu’on lui demande avecque tantd’appas.
Qu’à ce prix la constance est une choseaisée,
Et qu’autrefois par là je me visabusée !
Alcidor, que mes yeux avaient si fortépris,
Courut au changement dès le premiermépris.
La force de l’amour paraît dans lasouffrance.
Je le tiens fort douteux, s’il a tantd’assurance.
Qu’on en voit s’affaiblir pour un peu delongueur !
Et qu’on en voit céder à la moindrerigueur !
Célidée
Je connais mon Lysandre, et sa flamme est tropforte
Pour tomber en soupçon qu’il m’aime de lasorte.
Toutefois un dédain éprouvera ses feux.
Ainsi, quoi qu’il en soit, j’aurai ce que jeveux ;
Il me rendra constante, ou me feravolage :
S’il m’aime, il me retient ; s’il change,il me dégage.
Suivant ce qu’il aura d’amour ou defroideur,
Je suivrai ma nouvelle ou ma premièreardeur.
Hippolyte
En vain tu t’y résous : ton âme un peucontrainte,
Au travers de tes yeux lui trahira tafeinte.
L’un d’eux dédira l’autre, et toujours unsouris
Lui fera voir assez combien tu le chéris.
Célidée
Ce n’est qu’un faux soupçon qui te lepersuade ;
J’armerai de rigueurs jusqu’à la moindreœillade,
Et réglerai si bien toutes mes actions,
Qu’il ne pourra juger de mes intentions.
Pour le moins aussitôt que par cetteconduite
Tu seras de son cœur suffisammentinstruite,
S’il demeure constant, l’amour et lapitié,
Avant que dire adieu, renoueront l’amitié.
Célidée
Il va bientôt venir. Va-t’en, et soiscertaine
De ne voir d’aujourd’hui Lysandre hors depeine.
Hippolyte
Et demain ?
Célidée
Je t’irai conter ses mouvements
Et touchant l’avenir prendre tessentiments.
Ô dieux ! si je pouvais changer sansinfamie !
Hippolyte
Adieu. N’épargne en rien ta plus fidèleamie.