Scène première
Hippolyte,Aronte
Hippolyte
À cet excès d’amour qu’il me faisaitparaître,
Je me croyais déjà maîtresse de tonmaître ;
Tu m’as fait grand dépit de me désabuser.
Qu’il a l’esprit adroit quand il veutdéguiser !
Et que pour mettre en jour ces complimentsfrivoles,
Il sait bien ajuster ses yeux à sesparoles !
Mais je me promets tant de ta dextérité,
Qu’il tournera bientôt la feinte envérité.
Aronte
Je n’ose l’espérer : sa passion tropforte
Déjà vers son objet malgré moi leremporte ;
Et comme s’il avait reconnu son erreur,
Vos yeux lui sont à charge, et sa feinte enhorreur :
Même il m’a commandé d’aller vers sacruelle
Lui jurer que son cœur n’a brûlé que pourelle,
Attaquer son orgueil par des submissions…
Hippolyte
J’entends assez le but de tes commissions.
Tu vas tâcher pour lui d’amollir soncourage ?
Aronte
J’emploie auprès de vous le temps de cemessage,
Et la ferai parler tantôt à mon retour
D’une façon mal propre à donner del’amour ;
Mais après mon rapport, si son ardeurextrême
Le résout à porter son message lui-même,
Je ne réponds de rien. L’amour qu’ils ont tousdeux
Vaincra notre artifice, et parlera poureux.
Hippolyte
Sa maîtresse éblouie ignore encor maflamme,
Et laisse à mes conseils tout pouvoir sur sonâme.
Ainsi tout est à nous, s’il ne fautqu’empêcher
Qu’un si fidèle amant n’en puisserapprocher.
Aronte
Qui pourrait toutefois en détournerLysandre,
Ce serait le plus sûr.
Hippolyte
N’oses-tu l’entreprendre ?
Aronte
Donnez-moi les moyens de le rendre jaloux,
Et vous verrez après frapper d’étrangescoups.
Hippolyte
L’autre jour Dorimant toucha fort marivale,
Jusque-là qu’entre eux deux son âme étaitégale ;
Mais Lysandre depuis, endurant sa rigueur,
Lui montra tant d’amour qu’il regagna soncœur.
Aronte
Donc à voir Célidée et Dorimant ensemble,
Quelque dieu qui vous aime aujourd’hui lesassemble.
Hippolyte
Fais-les voir à ton maître, et ne perds pointce temps,
Puisque de là dépend le bonheur quej’attends.