Scène IV
Lysandre,Célidée
Lysandre
Ne suivez pas du moins ce perfide à mavue :
Avez-vous résolu que sa fuite me tue,
Et qu’ayant su braver son plus vaillanteffort,
Par sa retraite infâme il me donne lamort ?
Pour en frapper le coup, vous n’avez qu’à lesuivre.
Célidée
Je tiens des gens sans foi si peu dignes devivre,
Qu’on ne verra jamais que je recule un pas
De crainte de causer un si juste trépas.
Lysandre
Eh bien, voyez-le donc ; ma lame touteprête
N’attendait que vos yeux pour immoler matête.
Vous lirez dans mon sang, à vos piedsrépandu,
Ce que valait l’amant que vous aurezperdu ;
Et sans vous reprocher un si crueloutrage,
Ma main de vos rigueurs achèveral’ouvrage.
Trop heureux mille fois si je plais enmourant
À celle à qui j’ai pu déplaire enl’adorant,
Et si ma prompte mort, secondant sonenvie,
L’assure du pouvoir qu’elle avait sur mavie !
Célidée
Moi, du pouvoir sur vous ! vos yeux sesont mépris ;
Et quelque illusion qui trouble vosesprits
Vous fait imaginer d’être auprèsd’Hippolyte.
Allez, volage, allez où l’amour vousinvite ;
Dans ses doux entretiens recherchez vosplaisirs,
Et ne m’empêchez plus de suivre mesdésirs.
Lysandre
Ce n’est pas sans raison que ma feintepassée
A jeté cette erreur dedans votre pensée.
Il est vrai, devant vous forçant messentiments,
J’ai présenté des vœux, j’ai fait descompliments ;
Mais c’étaient compliments qui partaient d’unesouche ;
Mon cœur, que vous teniez, désavouait mabouche.
Pleirante, qui rompit ces ennuyeuxdiscours,
Sait bien que mon amour n’en changea point decours ;
Contre votre froideur une modeste plainte
Fut tout notre entretien au sortir de lafeinte ;
Et je le priai lors…
Célidée
D’user de son pouvoir ?
Ce n’était pas par là qu’il me fallaitavoir.
Les mauvais traitements ne font qu’aigrir lesâmes.
Lysandre
Confus, désespéré du mépris de mesflammes,
Sans conseil, sans raison, pareil auxmatelots
Qu’un naufrage abandonne à la merci desflots,
Je me suis pris à tout, ne sachant où meprendre.
Ma douleur par mes cris d’abord s’est faitentendre ;
J’ai cru que vous seriez d’un naturel plusdoux,
Pourvu que votre esprit devînt un peujaloux ;
J’ai fait agir pour moi l’autorité d’unpère,
J’ai fait venir aux mains celui qu’on mepréfère ;
Et puisque ces efforts n’ont réussi qu’envain,
J’aurai de vous ma grâce, ou la mort de mamain.
Choisissez, l’une ou l’autre achèvera mespeines ;
Mon sang brûle déjà de sortir de mesveines :
Il faut, pour l’arrêter, me rendre votreamour ;
Je n’ai plus rien sans lui qui me retienne aujour.
Célidée
Volage, fallait-il, pour un peu derudesse,
Vous porter si soudain à changer demaîtresse ?
Que je vous croyais bien d’un jugement plusmeur !
Ne pouviez-vous souffrir de ma mauvaisehumeur ?
Ne pouviez-vous juger que c’était unefeinte
À dessein d’éprouver quelle était votreatteinte ?
Les dieux m’en soient témoins, et ce nouveausujet
Que vos feux inconstants ont choisi pourobjet,
Si jamais j’eus pour vous de dédainvéritable,
Avant que votre amour parût si peudurable !
Qu’Hippolyte vous die avec quelssentiments
Je lui fus raconter vos premiersmouvements,
Avec quelles douceurs je m’étais préparée
À redonner la joie à votre âmeéplorée !
Dieux ! que je fus surprise, et mes senséperdus,
Quand je vis vos devoirs à sa beautérendus !
Votre légèreté fut soudain imitée :
Non pas que Dorimant m’en eûtsollicitée ;
Au contraire, il me fuit, et l’ingrat ne veutpas
Que sa franchise cède au peu que j’aid’appas ;
Mais, hélas ! plus il fuit, plus sonportrait s’efface.
Je vous sens, malgré moi, reprendre votreplace.
L’aveu de votre erreur désarme moncourroux ;
Ne redoutez plus rien, l’amour combat pourvous.
Si nous avons failli de feindre l’un etl’autre,
Pardonnez à ma feinte, et j’oublierai lavôtre.
Moi-même je l’avoue à ma confusion,
Mon imprudence a fait notre division.
Tu ne méritais pas de si rudesalarmes :
Accepte un repentir accompagné delarmes ;
Et souffre que le tien nous fasse tour àtour
Par ce petit divorce augmenter notreamour.
Lysandre
Que vous me surprenez ! Ô ciel !est-il possible
Que je vous trouve encore à mes désirssensible ?
Que j’aime ces dédains qui finissentainsi !
Célidée
Et pour l’amour de toi, que je les aimeaussi !
Lysandre
Que ce soit toutefois sans qu’il vous prenneenvie
De les plus essayer au péril de ma vie.
Célidée
J’aime trop désormais ton repos et lemien ;
Tous mes soins n’iront plus qu’à notre communbien.
Voudrais-je, après ma faute, une plus douceamende
Que l’effet d’un hymen qu’un père mecommande ?
Je t’accusais en vain d’uneinfidélité :
Il agissait pour toi de pleine autorité,
Me traitait de parjure et de fillerebelle ;
Mais allons lui porter cette heureusenouvelle ;
Ce que pour mes froideurs il témoigned’horreur
Mérite bien qu’en hâte on le tired’erreur.
Lysandre
Vous craignez qu’à vos yeux cette belleHippolyte
N’ait encor de ma bouche un hommagehypocrite ?
Célidée
Non, je fuis Dorimant qu’ensemblej’aperçoi ;
Je ne veux plus le voir, puisque je suis àtoi.