Scène III
Lysandre
Quoi ! Dorimant, ce mot t’a rendu toutconfus !
Dorimant
Ce mot à mes désirs laisse peud’espérance.
Lysandre
Tu ne la vois encor qu’avecindifférence ?
Dorimant
Comme toi Célidée.
Lysandre
Elle eut donc chez Daphnis,
Hier dans son entretien des charmesinfinis ?
Je te l’avais bien dit que ton âme à savue
Demeurerait, ou prise, ou puissammentémue ;
Mais tu n’as pas sitôt oublié la beauté
Qui fit naître au Palais tacuriosité ?
Du moins ces deux objets balancent toncourage ?
Dorimant
Sais-tu bien que c’est là justement monvisage,
Celui que j’avais vu le matin auPalais ?
Lysandre
À ce compte…
Dorimant
J’en tiens, ou l’on n’en tint jamais.
Lysandre
C’est consentir bientôt à perdre tafranchise.
Dorimant
C’est rendre un prompt hommage aux yeux qui mel’ont prise.
Lysandre
Puisque tu les connais, je ne plains plus tonmal.
Dorimant
Leur coup, pour les connaître, en est-il moinsfatal ?
Lysandre
Non, mais du moins ton cœur n’est plus à latorture
De voir tes vœux forcés d’aller àl’aventure ;
Et cette belle humeur de l’objet qui t’apris…
Dorimant
Sous un accueil riant cache un subtilmépris.
Ah, que tu ne sais pas de quel air on metraite !
Lysandre
Je t’en avais jugé l’âme fortsatisfaite :
Et cette gaie humeur, qui brillait dans sesyeux,
M’en promettait pour toi quelque chose demieux.
Dorimant
Cette belle, de vrai, quoique toute deglace,
Mêle dans ses froideurs je ne sais quellegrâce,
Par où tout de nouveau je me laissegagner,
Et consens, peu s’en faut, à m’en voirdédaigner.
Loin de s’en affaiblir, mon amour s’enaugmente ;
Je demeure charmé de ce qui me tourmente.
Je pourrais de toute autre être lepossesseur,
Que sa possession aurait moins de douceur.
Je ne suis plus à moi quand je voisHippolyte
Rejeter ma louange et vanter son mérite,
Négliger mon amour ensemble etl’approuver,
Me remplir tout d’un temps d’espoir et m’enpriver,
Me refuser son cœur en acceptant mon âme,
Faire état de mon choix en méprisant maflamme.
Hélas ! en voilà trop : le moindrede ces traits
A pour me retenir de trop puissantsattraits ;
Trop heureux d’avoir vu sa froideurenjouée
Ne se point offenser d’une ardeuravouée !
Lysandre
Son adieu toutefois te défend d’y songer,
Et ce commandement t’en devrait dégager.
Dorimant
Qu’un plus capricieux d’un tel adieus’offense ;
Il me donne un conseil plutôt qu’unedéfense,
Et par ce mot d’avis, son cœur sans amitié
Du temps que j’y perdrai montre quelquepitié.
Lysandre
Soit défense ou conseil, de rien nedésespère ;
Je te réponds déjà de l’esprit de sa mère.
Pleirante son voisin lui parlera pourtoi ;
Il peut beaucoup sur elle, et fera tout pourmoi.
Tu sais qu’il m’a donné sa fille pourmaîtresse.
Tâche à vaincre Hippolyte avec un peud’adresse,
Et n’appréhende pas qu’il en faillebeaucoup :
Tu verras sa froideur se perdre tout d’uncoup.
Elle ne se contraint à cette indifférence
Que pour rendre une entière et pleinedéférence,
Et cherche, en déguisant son propresentiment,
La gloire de n’aimer que par commandement.
Dorimant
Tu me flattes, ami, d’une attente frivole.
Lysandre
L’effet suivra de près.
Dorimant
Mon cœur, sur ta parole,
Ne se résout qu’à peine à vivre pluscontent.
Lysandre
Il se peut assurer du bonheur qu’ilprétend ;
J’y donnerai bon ordre. Adieu : le tempsme presse,
Et je viens de sortir d’auprès de mamaîtresse ;
Quelques commissions dont elle m’a chargé
M’obligent maintenant à prendre ce congé.