Le Magasin d’antiquités – Tome I

Chapitre 25

 

Après une bonne nuit passée dans cettechaumière, où le sacristain avait habité pendant plusieurs années,mais qu’il avait dernièrement quittée pour se marier et prendre sonménage, Nelly se leva dès l’aurore et descendit à la chambre oùelle avait soupé la veille. Déjà le maître d’école était sorti.Elle s’empressa de bien nettoyer la pièce, et elle venait de finirses rangements, quand l’excellent homme rentra.

Il la remercia à plusieurs reprises, et luidit que la vieille femme qui était chargée ordinairement de cessoins veillait en ce moment comme garde-malade auprès de l’enfantdont il avait parlé la veille.

« Comment va-t-il ? demanda Kelly.J’espère qu’il va mieux ?

– Non, répondit le maître d’école secouant latête avec mélancolie ; il ne va pas mieux. On dit même qu’ilva plus mal.

– Cela me fait bien de la peine,monsieur. »

Le pauvre maître d’école parut reconnaissantde cette marque de sympathie, mais il n’en fut pas moins triste,car il se hâta d’ajouter, pour s’étourdir, qu’il y a souvent desgens qui s’inquiètent mal à propos et font le mal plus grand qu’iln’est.

« Pour ma part, dit-il avec son ton douxet patient, j’espère qu’il n’en est rien. Je ne crois pas quel’enfant soit plus mal. »

Nelly lui offrit de préparer le déjeuner,qu’ils prirent tous trois ensemble quand le vieillard fut descendu.En ce moment, le maître d’école remarqua que son hôte paraissaitextrêmement fatigué et devait avoir besoin de repos.

« Si le voyage que vous avez à faire estlong, dit-il, et si vous n’êtes pas trop pressé, vous pourrez toutà votre aise passer ici une autre nuit ; cela me feraitplaisir, mon ami. »

Il vit que le vieillard consultait Nelly duregard, ignorant s’il devait accepter ou refuser l’offre.

« Je serais bien aise, ajouta-t-il,d’avoir auprès de moi un jour encore votre petite compagne. Si vouspouvez faire cette charité à un homme qui est seul et en même tempsprendre vous-même un peu de repos, faites-la. S’il vous fautabsolument continuer votre route, je vous souhaite un bon voyage,et je vous accompagnerai un bout de chemin avant l’ouverture de laclasse.

– Que faut-il faire, Nell ? demanda levieillard d’un ton d’irrésolution ; dis, qu’est-ce qu’il fautfaire, ma chère Nell ? »

Il n’était pas besoin de beaucoup d’instancespour déterminer Nelly à répondre qu’il valait mieux accepterl’invitation et rester. Elle était heureuse, d’ailleurs, de prouversa gratitude au bon maître d’école en s’acquittant avec zèle detous les soins domestiques nécessaires au modeste cottage. Cettetâche étant achevée, Nelly tira de son panier un ouvraged’aiguille, et s’assit sur un tabouret, près du treillage, où lechèvrefeuille de jardin et le chèvrefeuille sauvage croisaientleurs rameaux flexibles et se glissaient ensemble jusque dans lasalle pour y répandre leur parfum exquis. Son grand-père sechauffait en dehors aux rayons du soleil, respirant la senteur desfleurs, et suivant d’un regard nonchalant la marche des nuages, quepoussait le léger souffle du vent.

En voyant le maître d’école mettre en placeles deux bancs, poser sa chaise dans la chaire et faire quelquesautres dispositions pour la classe, Nelly craignit de le gêner etoffrit de se retirer dans sa petite chambre à coucher. Mais il nevoulut pas y consentir ; et, comme il semblait content del’avoir auprès de lui, elle resta, activement occupée de sonouvrage.

« Avez-vous beaucoup d’élèves,monsieur ? » demanda-t-elle.

Le pauvre maître d’école secoua la tête etrépondit :

« À peine de quoi remplir ces deuxbancs.

– Les autres sont-ils bien savants,monsieur ? demanda-t-elle encore, regardant les trophéesattachés à la muraille.

– De bons petits enfants, dit-il, de bonspetits enfants, ma chère ; mais aucun ne sera jamais capabled’en faire autant. »

Un petit garçon à la tête blonde et au visagehâlé par le soleil se montra à la porte tandis que le maîtreparlait, et, après s’y être arrêté pour saluer et lui tirer sonpied par derrière, en manière de révérence, entra et prit sa placesur un des deux bancs. Le petit garçon à la tête blonde posa alorssur ses genoux un livre ouvert dont les pages étaient terriblementcornées, et fourrant les mains dans ses poches, commença à compterles billes dont elles étaient pleines, prouvant par l’expression desa physionomie la disposition remarquable qu’il avait pour ne paspenser le moins du monde à l’abécédaire sur lequel ses yeux étaientaxés. Bientôt après, un autre petit blond entra d’un pas traînant,puis un autre à cheveux roux, puis deux autres blondins, puis unautre avec une petite tête de caniche, jusqu’à ce qu’enfin lesbancs fussent occupés par une douzaine environ de jeunes garçonsavec des têtes de toutes couleurs (pas de têtes grises cependant),rangées selon l’âge, de quatre ans à quatorze et plus, car lesjambes du plus jeune, lorsqu’il fut assis, se trouvèrent à unegrande distance du plancher, tandis que le plus âgé, un groslourdaud bien fort mais bien nigaud, avait au moins la moitié de latête de plus que le maître d’école.

À l’extrémité du premier banc, le posted’honneur dans l’école, était vide la place du petit élèvemalade ; et en tête des patères, où les enfants qui venaientavec des chapeaux ou des casquettes avaient l’habitude de lesaccrocher, il y avait aussi une place vide. Aucun enfant n’eût osévioler la sainteté du siège ou de la patère ; mais plus d’unportait son regard des endroits vides au maître d’école, etglissait derrière sa main ses réflexions à son voisinparesseux.

Alors commença le bourdonnement des leçonsrécitées, apprises par cœur, le chuchotement, les jeux dissimulés,tout le bruit, tout le tapage d’une école ; et, au milieu duvacarme, le pauvre maître, la douceur et la simplicité en personne,s’efforçait vainement de fixer son esprit sur les devoirs du jouret d’oublier son petit ami. L’ennui de son état ne lui rendait queplus présent encore le souvenir de l’écolier studieux, et sa penséen’était pas avec ses élèves, on le voyait bien.

Cette disposition d’esprit n’échappa point auxplus paresseux ; s’enhardissant par l’impunité, ils devinrentplus bruyants et plus effrontés, jouant à pair ou non sous les yeuxdu maître, mangeant des pommes sans peur et sans reproche, sepinçant les uns les autres pour s’amuser ou par méchanceté, sans secacher le moins du monde, et gravant leurs autographes au bas mêmede la chaire. L’idiot, qui était venu réciter sa leçon, ne s’amusapas à regarder plus longtemps au plafond pour y chercher les motsoubliés ; il se rapprocha tout bonnement du siège du maître etplongea effrontément ses yeux sur la page ; le lustig de lapetite troupe se mit à loucher, et à faire des grimaces,naturellement au plus jeune, sans se cacher derrière un livre, etl’assemblée émerveillée ne connut plus de bornes à sa gaieté. S’ilarrivait au maître de se lever et s’il paraissait prêter quelqueattention à ce qui se passait, le bruit cessait un moment et tousles regards redevenaient studieux et soumis. Mais aussitôt que lavigilance du maître se relâchait, le bruit éclatait de nouveau dixfois plus fort qu’auparavant.

Ah ! parmi ces petits paresseux, combiensouhaitaient d’être dehors ! Ils contemplaient la porteouverte et la fenêtre comme s’ils avaient dessein de sortir deforce, de courir dans les bois pour y mener une vie d’enfantssauvages. Que de pensées de révolte faisaient naître la fraîcherivière et les bons endroits bien ombragés où il est si agréable dese baigner sous les saules dont les branches descendent jusque dansl’eau ! surtout chez ce gaillard, que je vois d’ici, avec soncol de chemise déboutonné et rabattu sur son dos, éventant sa facerubiconde avec un abécédaire, et souhaitant d’être baleine oucachalot, chauve-souris ou moucheron, tout ce qu’on voudra, plutôtque de rester à l’école par une chaleur torride. Ouf !Demandez à cet autre garçon qui, assis le plus près de la porte, apu mettre à profit cette circonstance pour se glisser dans lejardin et entraîner ses camarades par le mauvais exemple enplongeant son visage dans le seau du puits et se roulant ensuitesur le gazon ; demandez-lui s’il y eut jamais un jour commecelui-là, même quand les abeilles s’enfonçaient dans la corolle desfleurs et s’y tenaient immobiles comme si elles avaient résolu dese retirer des affaires et de fermer leur fabrique de miel. C’étaitun jour de sainte paresse, un jour fait pour s’étendre sur le dosau beau milieu de l’herbe, à regarder le ciel jusqu’à ce que sonéclat forçât les yeux de se fermer, et demandez-moi un peu si cetemps-là était bien choisi pour forcer de braves garçons à se pâmersur des livres moisis dans une chambre sombre où le soleil lui-mêmene daignait pas pénétrer ! C’est une abomination.

Nelly était assise auprès de la fenêtre,occupée de son ouvrage, mais prêtant attention à ce qui se passait,bien qu’intimidée quelquefois par ces petits volcans. Quand lesleçons furent récitées, on commença l’exercice d’écriture. Comme iln’y avait qu’un pupitre, celui du maître, chaque enfant vint s’yasseoir à son tour et y griffonner une page toute tordue, tandisque le maître se promenait de long en large. La classe était moinsbruyante. Le maître s’approchait pour regarder par-dessus l’épaulede celui qui écrivait, en lui disant avec douceur de remarquercomme les lettres étaient formées sur les modèles placardés le longdu mur. Il lui en faisait admirer les pleins et les déliés, en luirecommandant de chercher à les imiter. Il interrompait ensuite laleçon pour leur répéter ce que l’enfant malade avait dit la nuitprécédente et combien il regrettait de n’être pas encore avec eux.Il y avait dans le ton et les paroles du pauvre maître d’école tantde bonté et de tendresse, que les jeunes garçons parurent éprouverdu remords de l’avoir ainsi tourmenté, et rentrèrent dans l’ordrele plus absolu ; durant deux minutes au moins, on ne mangeaplus de pommes, on n’écrivit plus son nom au couteau, on ne sepinça plus, on ne fit plus de grimaces.

« Je pense, mes amis, dit le maîtred’école quand l’horloge sonna midi, que je vous donneraiaujourd’hui, par extraordinaire, demi-congé. »

À cette nouvelle, les écoliers, le grandgarçon en tête, poussèrent des clameurs d’enthousiasme au milieudesquelles on vit le maître remuer les lèvres, mais sans parvenir àse faire entendre. Cependant, comme il agitait la main pourréclamer le silence, les élèves eurent assez de docilité pour setaire, aussitôt que les poumons les plus vigoureux de la troupen’en purent plus à force de crier.

« Promettez-moi d’abord, dit le maître,de n’être pas trop bruyants, ou bien, si vous voulez faire dubruit, de vous en aller bien loin, hors du village s’entend. Jesuis sûr que vous ne voudriez pas casser la tête à votre ancien etfidèle camarade. »

Ici s’éleva un murmure général, sans doutetrès-sincère, car ce n’étaient encore que des enfants, pourprotester contre toute idée de troubler le repos du camarade. Legrand garçon, probablement avec autant de sincérité naïve que tousles autres, prit ses voisins à témoin que, s’il avait crié, ilavait crié tout bas.

« N’oubliez donc pas mes recommandations,dit le maître ; mes chers amis, c’est une faveur que je vousdemande personnellement. Amusez-vous autant que vous pourrez, maissouvenez-vous que tout le monde n’a pas le bonheur d’être aussibien portant que vous. Allons ! adieu.

– Merci, monsieur, – adieu, monsieur, »ces mots furent prononcés une foule de fois sur tous les tons, etles enfants sortirent lentement et sans bruit. Mais le soleilbrillait, et les oiseaux chantaient, comme le soleil ne brille etcomme les oiseaux ne chantent qu’aux jours de congé ou dedemi-congé ; et puis les arbres penchaient leurs branchescomme pour inviter les écoliers échappés à grimper et à se nicherdans leurs branches feuillues ; le foin les suppliait de venirs’ébattre et se coucher sur son tapis au grand air ; le blévert, par ses ondulations agaçantes, les appelait vers le bois etla rivière ; le pré, rendu plus doux encore par un mélange delumière et d’ombre, les conviait à sauter, à gambader, à sepromener Dieu sait où. C’était plus de joie qu’il n’en faut à unenfant pour le rendre heureux, et ce fut avec de vives acclamationsque toute la troupe prit ses jambes à son cou et s’éparpilla encriant et riant sur son passage.

« C’est bien naturel, mon Dieu ! ditle pauvre maître d’école, les suivant de l’œil. Je suis biencontent qu’ils ne fassent pas attention à ma peine. »

Il est difficile cependant de satisfaire toutle monde ; c’est ce que nous savons presque tous parexpérience, sans parler de la fable d’où je tire cette maxime. Dansl’après-midi plusieurs mères et tantes d’élèves crurent devoirexprimer leur mécontentement de la conduite du maître d’école.Quelques-unes se bornèrent à des allusions, par exemple endemandant avec politesse si c’est que c’était un jour marqué enlettres rouges sur le calendrier, ou le nom du saint dont onchômait la fête ; d’autres, les fortes têtes politiques duvillage, déclarèrent que c’était traiter un peu lestement lesdroits de la souveraine et faire un affront à l’Église et àl’État ; elles crurent subodorer dans ce coup d’État desprincipes révolutionnaires. Accorder un demi-congé pour unecirconstance moins importante que l’anniversaire de la reine !c’était être bien hardi : mais la majorité n’alla pas parquatre chemins pour exprimer son déplaisir personnel en termesénergiques : selon elle, mettre les élèves à la demi-ration dela science dont on leur devait part entière, ce n’était rien moinsqu’un acte manifeste de fraude et de vol effronté. Une vieillefemme même, voyant qu’elle ne pouvait réussir à enflammer ou àirriter le paisible maître d’école en lui disant des impertinences,fit grand tapage hors de sa maison, et trouva moyen de lui adresserune mercuriale indirecte durant une demi-heure, en se tenant prèsde la fenêtre de l’école à dire à une autre vieille dame que lemaître devrait nécessairement déduire ce demi-congé du payement dela semaine, ou qu’il pouvait bien s’attendre à recevoir uneopposition par huissier ; on n’avait déjà pas tant besoin deparesseux dans le pays. Ici la vieille dame éleva la voix. Lesindividus trop paresseux même pour être maîtres d’école, pourraientbien, avant peu, voir d’autres individus leur passer sur lecasaquin ; pour sa part, elle ne manquerait pas de donner auxpostulants de bons avis, pour qu’ils se tinssent prêts au besoin.Mais tous ces reproches, toutes ces scènes de violence n’aboutirentpas à tirer une parole du bon maître d’école qui restait assis,ayant Nelly à ses côtés : seulement il en était un peu plusabattu peut-être, mais toujours silencieux et n’ouvrant pas labouche, pas même pour se plaindre.

Vers la nuit, une vieille femme traversa lejardin en se traînant de son mieux : et ayant rencontré à saporte le maître d’école, elle l’avertit de se rendre immédiatementchez la dame West, et de partir devant elle au plus vite. Le maîtreet Nelly étaient au moment d’aller faire un tour ensemble ;et, sans quitter la main de l’enfant, il se précipita dehors,laissant la messagère le suivre comme elle pourrait.

Ils s’arrêtèrent à la porte d’unechaumière : le maître frappa doucement avec la main. La portefut ouverte aussitôt. Ils entrèrent dans une chambre où un petitgroupe de femmes en entourait une plus âgée que les autres, quipleurait amèrement ; se tordait les mains et s’abandonnait àdes mouvements convulsifs.

« Chère dame, dit le maître d’écoleprenant une chaise auprès d’elle, eh quoi ! est-il donc simal ?

– Il s’en va grand train, s’écria la vieillefemme ; mon petit-fils se meurt ! Et tout cela par votrefaute. Je ne vous laisserais certainement pas en ce momentapprocher de lui, n’était le vif désir qu’il a de vous voir. Voilàoù vous l’avez réduit avec votre belle instruction. O monDieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! que faire ?…

– Ne dites pas qu’il y ait de ma faute,répondit le bon maître d’école. Je ne vous en veux pas, ma chèredame. Non, non ! vous êtes accablée, et vous ne pensez pas ceque vous dites. Je suis sûr que vous ne le pensez pas.

– Que si, répliqua la vieille femme, je lepense tout à fait. S’il ne s’était pas consumé sur ses livres,parce qu’il avait peur de vous, il serait maintenant gai et bienportant ! Je le sais bien, allez ! »

Le maître d’école regarda les autres femmescomme pour obtenir qu’une d’entre elles prononçât en sa faveur uneparole bienveillante ; mais elles secouèrent la tête, et sedirent mutuellement à l’oreille qu’elles n’avaient jamais pensé quel’instruction fût bonne à grand’chose, et que cet exemple leprouvait bien. Sans répliquer par un seul mot, par un seul regardde reproche, le maître suivit la vieille garde-malade qui étaitvenue le chercher et qui arrivait à l’instant, dans une autrechambre où l’enfant chéri du maître se trouvait à demi habillé etétendu sur un lit.

C’était un très-jeune garçon, presque un petitenfant. Ses cheveux encore bouclés ombrageaient son front, et sesyeux étaient extrêmement brillants ; mais leur éclat tenaitplus du ciel que de la terre. Le maître d’école s’assit près delui, et, se penchant vers l’oreiller, lui murmura son nom. L’enfanttressaillit, lui caressa le visage avec sa main, lui enlaça le coude ses bras amaigris, en s’écriant que c’était son cher bonami.

« Oui, je le suis, je l’ai toujours été,Dieu le sait ! dit le pauvre maître d’école.

– Quelle est cette jeune fille ? demandal’enfant, à la vue de Nelly. Je n’ose l’embrasser, de peur de luidonner mon mal. Priez-la de me serrer la main. »

Nelly s’approcha en sanglotant et prit dansses mains la petite main languissante que l’enfant malade retira aubout de quelques moments, en se laissant retomber doucement.

« Vous souvenez-vous du jardin, Harry,dit à demi-voix le maître d’école pour le tenir éveillé, car ilsemblait s’appesantir ; vous souvenez-vous comme vous letrouviez agréable le soir ? Il faut vous dépêcher de revenirle visiter encore, car je crois que toutes les fleurs vousregrettent. Je les trouve moins brillantes qu’auparavant. Vous yviendrez bientôt, mon cher petit, le plus tôt possible, n’est-cepas ? »

L’enfant sourit doucement, tout doucement, etposa sa main sur la tête grise de son ami. Il remua aussi leslèvres, mais sans voix ; il n’en sortit pas un son, pas unseul.

Au milieu du silence qui suivit ces paroles,le bruit de voix éloignées, porté par la brise du soir, arriva àtravers la fenêtre ouverte.

« Qu’est-ce que cela ? dit l’enfantouvrant ses yeux.

– Vos camarades qui jouent sur lapelouse. »

L’enfant prit un mouchoir sous son oreiller etessaya de l’agiter au-dessus de sa tête. Mais son bras retomba sansforce.

« Voulez-vous que je le fasse pourvous ? dit le maître d’école.

– Oui, s’il vous plaît, agitez-le à lafenêtre. Attachez-le au treillage. Quelques-uns de mes camarades leverront sans doute ; peut-être penseront-ils à moi etregarderont-ils de mon côté. »

Il souleva sa tête, et son regard alla dusignal flottant à l’inutile raquette qui était posée sur une tabledans la chambre, à côté de l’ardoise, d’un livre et autres objetsautrefois à son usage. Une fois encore il se laissa retomberdoucement et demanda si la jeune fille était là, parce qu’ilvoulait la voir.

Elle s’avança et pressa sa main inerte quipendait sur le couvre-pied. Les deux vieux amis, les deuxcamarades, car ils l’étaient, bien que l’un fût un homme et l’autreun enfant, s’unirent dans un long embrassement ; puis le petitécolier se retourna du côté de la muraille et s’endormit.

Le pauvre maître d’école resta assis à la mêmeplace, tenant dans ses mains la froide main pour laréchauffer ; mais ce n’était plus que la main d’un enfantmort. Il le sentait, et cependant il continuait de la réchaufferencore sans pouvoir se résoudre à la quitter.

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