Le Petit Chose

Chapitre 8UNE LECTURE AU PASSAGE DU SAUMON

Enfin, je le terminai, ce fameux poème. J’envins à bout après quatre mois de travail, et je me souviensqu’arrivé aux derniers vers je ne pouvais plus écrire, tellementles mains me tremblaient de fièvre, d’orgueil, de plaisir,d’impatience.

Dans le clocher de Saint-Germain, ce fut unévénement. Jacques, à cette occasion, redevint pour un jour leJacques d’autrefois, le Jacques du cartonnage et des petits pots decolle. Il me relia un magnifique cahier sur lequel il voulutrecopier mon poème de sa propre main ; et c’étaient à chaquevers des cris d’admiration, des trépignements d’enthousiasme…

Moi, j’avais moins de confiance dans monœuvre.

Jacques m’aimait trop ; je me méfiais delui. J’aurais voulu faire lire mon poème à quelqu’un d’impartial etde sûr. Le diable, c’est que je ne connaissais personne.

Pourtant, à la crémerie, les occasions nem’avaient pas manqué de faire des connaissances. Depuis que nousétions riches, je mangeais à table d’hôte, dans la salle du fond.Il y avait là une vingtaine de jeunes gens, des écrivains, despeintres, des architectes, ou pour mieux dire de la graine de toutcela. – Aujourd’hui la graine a monté ; quelques-uns de cesjeunes gens sont devenus célèbres, et quand je vois leurs noms dansles journaux, cela me crève le cœur, moi qui ne suis rien. – À monarrivée à la table, tout ce jeune monde m’accueillit à brasouverts ; mais comme j’étais trop timide pour me mêler auxdiscussions, on m’oublia vite, et je fus aussi seul au milieu d’euxtous que je l’étais à ma petite table, dans la salle commune.J’écoutais ; je ne parlais pas…

Une fois par semaine, nous avions à dîner avecnous un poète très fameux dont je ne me rappelle plus le nom, maisque ces messieurs appelaient Baghavat, du titre d’un de ses poèmes.Ces jours-là on buvait du bordeaux à dix-huit sous ; puis, ledessert venu, le grand Baghavat récitait un poème indien. C’étaitsa spécialité, les poèmes indiens. Il en avait un intituléLakçamana, un autre Daçaratha, un autre Kalatçala, un autreBhagirathg, et puis Çudra, Cunocépa, Vicvamitra… ; mais leplus beau de tous était encore Baghavat. Ah ! quand le poèterécitait Baghavat, toute la salle du fond croulait. On hurlait, ontrépignait, on montait sur les tables. J’avais à ma droite un petitarchitecte à nez rouge qui sanglotait dès le premier vers et toutle temps s’essuyait les yeux avec ma serviette…

Moi, par entraînement, je criais plus fort quetout le monde : mais, au fond, je n’étais pas fou de Baghavat.En somme, ces poèmes indiens se ressemblaient tous. C’étaittoujours un lotus, un condor, un éléphant et un buffle ;quelquefois, pour changer, les lotus s’appelaient lotos ;mais, à part cette variante, toutes ces rapsodies sevalaient : ni passion, ni vérité, ni fantaisie. Des rimes surdes rimes. Une mystification… Voilà ce qu’en moi-même je pensais dugrand Baghavat ; et je l’aurais peut-être jugé avec moins desévérité si on m’avait à mon tour demandé quelques vers ; maison ne me demandait rien, et cela me rendait impitoyable… Du ruste,je n’étais pas le seul de mon avis sur la poésie hindoue, J’avaismon voisin de gauche qui n’y mordait pas non plus… Un singulierpersonnage, mon voisin de gauche : huileux, râpé, luisant,avec un grand front chauve et une longue barbe où couraienttoujours quelques fils de vermicelle. C’était le plus vieux de latable et de beaucoup aussi le plus intelligent. Comme tous lesgrands esprits, il parlait peu, ne se prodiguait pas. Chacun lerespectait. On disait de lui : « Il est très fort… c’estun penseur. » Moi, de voir la grimace ironique qui tordait sabouche en écoutant les vers du grand Baghavat, j’avais conçu de monvoisin de gauche la plus haute opinion. Je pensais :

«Voilà un homme de goût… Si je lui disais monpoème ! » Un soir – comme on se levait de table – je fisapporter un flacon d’eau-de-vie, et j’offris au penseur de prendreun petit verre avec moi. Il accepta, je connaissais son vice. Touten buvant, j’amenai la conversation sur le grand Baghavat, et jecommençai par dire beaucoup de mal des lotus, des condors, deséléphants et des buffles. – C’était de l’audace, les éléphants sontsi rancuniers ! – Pendant que je parlais, le penseur seversait de l’eau-de-vie sans rien dire. De temps en temps, ilsouriait et remuait approbativement la tête en faisant :« Oua… oua… » Enhardi par ce premier succès, je luiavouai que moi aussi j’avais composé un grand poème et que jedésirais le lui soumettre. « Oua… oua… », fit encore lepenseur sans sourciller. En voyant mon homme si bien disposé, je medis : « C’est le moment !» et je tirai mon poème dema poche. Le penseur, sans s’émouvoir, se versa un cinquième petitverre, me regarda tranquillement dérouler mon manuscrit ;mais, au moment suprême il posa sa main de vieil ivrogne sur mamanche : « Un mot, jeune homme, avant de commencer… Quelest votre critérium ? »

Je le regardai avec inquiétude.

« Votre critérium !… fit le terriblepenseur en haussant la voix. Quel est votre critérium ? »Hélas ! mon critérium !… je n’en avais pas, je n’avaisjamais songé à en avoir un ; et cela se voyait du reste, à monœil étonné, à ma rougeur, à ma confusion.

Le penseur se leva indigné :« Comment ! malheureux jeune homme, vous n’avez pas decritérium !…

Inutile alors de me lire votre poème… je saisd’avance ce qu’il vaut. » Là-dessus, il se versa coup sur coupdeux ou trois petits verres qui restaient encore au fond de labouteille, prit son chapeau et sortit en roulant des yeuxfuribonds ! Le soir, quand je contai mon aventure à l’amiJacques, il entra dans une belle colère. « Ton penseur est unimbécile, me dit-il… Qu’est-ce que cela fait d’avoir uncritérium ?… Les Bengalis en ont-ils un ?…

Un critérium ! qu’est-ce que c’est queça ?… Où ça se fabrique-t-il ? A-t-on jamais vu ?…Marchand de critérium, va !… » Mon brave Jacques !il en avait les larmes aux yeux, de l’affront que mon chef-d’œuvreet moi nous venions de subir. «Écoute, Daniel ! reprit-il aubout d’un moment, j’ai une idée… Puisque tu veux lire ton poème situ le lisais chez Pierrotte, un dimanche ?…

– Chez Pierrotte ?… Oh !Jacques ! – Pourquoi pas ?… Dame ! Pierrotte n’estpas un aigle, mais ce n’est pas une taupe non plus. Il a le senstrès net, très droit… Camille, elle, serait un juge excellent,quoiqu’un peu prévenu… La dame de grand mérite a beaucoup lu… Cevieil oiseau de père Lalouette lui-même n’est pas si fermé qu’il ena l’air…

D’ailleurs Pierrotte connaît à Paris despersonnes très distinguées qu’on pourrait inviter pour cesoir-là ?… Qu’en dis-tu ? Veux-tu que je lui enparle ?… » Cette idée d’aller chercher des juges aupassage du Saumon ne me souriait guère ; pourtant j’avais unetelle démangeaison de lire mes vers, qu’après avoir un brinrechigné, j’acceptai la proposition de Jacques. Dès le lendemain ilparla à Pierrotte. Que le bon Pierrotte eût exactement compris cedont il s’agissait, voilà ce qui est fort douteux ; mais commeil voyait là une occasion d’être agréable aux enfants demademoiselle, le brave homme dit « oui » sans hésiter, ettout de suite on lança des invitations.

Jamais le petit salon jonquille ne s’étaittrouvé à pareille fête. Pierrotte, pour me faire honneur, avaitinvité ce qu’il y a de mieux dans le monde de la porcelaine. Lesoir de la lecture, nous avions là, en dehors du personnelaccoutumé, M. et Mme Passajon, avec leur fils levétérinaire, un des plus brillants élèves de l’Ecoled’Alfort ; Ferrouillat cadet, franc-maçon, beau parleur, quivenait d’avoir un succès de tous les diables à la loge duGrand-Orient ; puis les Fougeroux, avec leurs six demoisellesrangées en tuyaux d’orgue, et enfin Ferrouillat l’aîné, un membredu Caveau, l’homme de la soirée. Quand je me vis en face de cetimportant aréopage, vous pensez si je fus ému. Comme on leur avaitdit qu’ils étaient là pour juger un ouvrage de poésie, tous cesbraves gens avaient cru devoir prendre des physionomies decirconstance, froides, éteintes, sans sourires.

Ils parlaient entre eux à voix basse etgravement, en remuant la tête comme des magistrats. Pierrotte, quin’y mettait pas tant de mystère, les regardait tous d’un airétonné… Quand tout le monde fut arrivé, on se plaça. J’étais assis,le dos au piano ; l’auditoire en demi-cercle autour de moi, àl’exception du vieux Lalouette, qui grignotait son sucre à la placehabituelle. Après un moment de tumulte, le silence se fit, et d’unevoix émue je commençai mon poème…

C’était un poème dramatique, pompeusementintitulé La Comédie pastorale. Dans les premiers jours desa captivité au collège de Sarlande, le petit Chose s’amusait àraconter à ses élèves des historiettes fantastiques, pleines degrillons, de papillons et autres bestioles. C’est avec trois de cespetits contes, dialogués et mis en vers, que j’avais fait LaComédie pastorale. Mon poème était divisé en trois parties ;mais ce soir-là, chez Pierrotte, je ne leur lus que la premièrepartie. Je demande la permission de transcrire ici ce fragmentchoisi de littérature, mais seulement comme pièces justificatives àjoindre à l’Histoire du petit Chose. Figurez-vous pour un moment,mes chers lecteurs, que vous êtes assis en rond dans le petit salonjonquille, et que Daniel Eyssette tout tremblant récite devantvous.

LES AVENTURES D’UN PAPILLON BLEU !

Le théâtre représente la campagne. Il est sixheures du soir ; le soleil s’en va. Au lever du rideau, unPapillon bleu et une jeune Bête à bon Dieu, du sexe mâle, causent àcheval sur un brin de fougère. Ils se sont rencontrés le matin, etont passé la journée ensemble. Comme il est tard, la Bête à bonDieu fait mine de se retirer.

LE PAPILLON

Quoi !… tu t’en vas déjà ?…

LA BETE À BON DIEU

Dame ! il faut que je rentre ; Ilest tard, songez donc !

LE PAPILLON

Attends un peu, que, diantre ! Il n’estjamais trop tard pour retourner chez soi…

Moi d’abord, je m’ennuie à ma maison ; ettoi ?

C’est si bête une porte, un mur, une croisée,Quand au-dehors on a le soleil, la rosée. Et les coquelicots, et legrand air, et tout.

Si les coquelicots ne sont pas de ton goût, Ilfaut le dire…

LA BETE À BON DIEU

Hélas ! monsieur, je les adore.

LE PAPILLON

Eh bien ! alors, nigaud, ne t’en va pasencore ; Reste avec moi. Tu vois ! il fait bon ;l’air est doux.

LA BETE À BON DIEU

Oui, mais…

LE PAPILLON, la poussant dans l’herbe.

Hé ! roule-toi dans l’herbe ; elleest à nous.

LA BETE À BON DIEU, se débattant.

Non ! laissez-moi ; parole ! ilfaut que je m’en aille.

LE PAPILLON

Chut ! Entends-tu ?

LA BETE À BON DIEU, effrayée.

Quoi donc ?

LE PAPILLON

Cette petite caille, Qui chante en se grisantdans la vigne à côté…

Hein ! la bonne chanson pour ce beau soird’été, Et comme c’est joli, de la place où nous sommes !…

LA BETE À BON DIEU

Sans doute, mais…

LE PAPILLON

Tais-toi.

LA BETE À BON DIEU

Quoi donc ?

LE PAPILLON

Voilà des hommes.

(Passent des hommes.)

LA BETE À BON DIEU, bas, après un silence.

L’homme, c’est très méchant, n’est-cepas ?

LE PAPILLON

Très méchant.

LA BETE À BON DIEU

J’ai toujours peur qu’un d’eux m’aplatisse enmarchant, Ils ont de si gros pieds, et moi des reins si frêles…

Vous, vous n’êtes pas grand, mais vous avezdes ailes C’est énorme ! ;

LE PAPILLON

Parbleu ! mon cher, si ces lourdauds depaysans te font peur, grimpe-moi sur le dos ; Je suis trèsfort des reins, moi ! je n’ai pas des ailes. En pelured’oignon comme les demoiselles.

Et je veux te porter où tu voudras, aussiLongtemps que tu voudras.

LA BETE À BON DIEU

Je n’oserai jamais… !

Oh ! non, monsieur, merci !

LE PAPILLON

De grimper là ?

C’est donc bien difficile

LA BETE À BON DIEU

Non, mais…

LE PAPILLON

Grimpe donc, imbécile !

LA BETE À BON DIEU

Vous me ramènerez chez moi, bienentendu ; Car, sans cela…

LE PAPILLON

Sitôt parti, sitôt rendu.

LA BETE À BON DIEU, grimpant sur soncamarade.

C’est que le soir, chez nous, nous faisons laprière.

Vous comprenez ?

LE PAPILLON

Sans doute… Un peu plus en arrière.

Là… Maintenant, silence à bord ! je lâchetout.

(Prri ! Ils s’envolent ; le dialoguecontinue en l’air.) Mon cher, c’est merveilleux ; tu n’es paslourd du tout.

LA BETE À BON DIEU, effrayée.

Ah !… monsieur…

LE PAPILLON

Eh bien ! quoi ?

LA BETE À BON DIEU

Je n’y vois plus… la tête Me tourne ; jevoudrais bien descendre…

LE PAPILLON

Es-tu bête ! Si la tête te tourne, ilfaut fermer les yeux. Les as-tu fermés ?

LA BETE À BON DIEU, fermant les yeux.

Oui…

LE PAPILLON

Ça va mieux ?

LA BETE À BON DIEU, avec effort.

Un peu mieux.

LE PAPILLON, riant sous cape.

Décidément on est mauvais aéronaute dans tafamille…

LA BETE À BON DIEU

Oh ! oui…

LE PAPILLON

Ce n’est pas votre faute Si le guide-ballonn’est pas encore trouvé.

LA BETE À BON DIEU

Oh ! non…

LE PAPILLON

Çà, monseigneur, vous êtes arrivé.

(Il se pose sur un Muguet.)

LA BETE À BON DIEU, ouvrant les yeux.

Pardon ! mais… ce n’est pas ici que jedemeure.

LE PAPILLON

Je sais ; mais comme il est encore detrès bonne heure Je t’ai mené chez un Muguet de mes amis.

On va se rafraîchir le bec ; – c’est bienpermis…

LA BETE À BON DIEU

Oh ! je n’ai pas le temps…

LE PAPILLON

Bah ! rien qu’une seconde…

LA BETE À BON DIEU

Et puis, je ne suis pas reçu, moi, dans lemonde…

LE PAPILLON

Viens donc ! je te ferai passer pour monbâtard ; Tu seras bien reçu, va !…

LA BETE À BON DIEU

Puis, c’est qu’il est tard.

LE PAPILLON

Eh ! non ! il n’est pas tard ;écoute la cigale…

LA BETE À BON DIEU, à voix basse.

Puis.., je… n’ai pas d’argent…

LE PAPILLON, l’entraînant.

Viens ! le Muguet régale.

(Ils entrent chez le Muguet.) – La toiletombe.

Au second acte, quand le rideau se lève, ilfait presque nuit…

On voit les deux camarades sortir de chez leMuguet… La Bête à bon Dieu est légèrement ivre.

LE PAPILLON, tendant le dos.

Et maintenant, en route !

LA BETE À BON DIEU, grimpant bravement.

En route !

LE PAPILLON

Trouves-tu mon Muguet ?

Eh bien ! comment

LA BETE À BON DIEU

Mon cher, il est charmant ; Il vous livresa cave et tout sans vous connaître…

LE PAPILLON, regardant le ciel.

Oh ! oh ! Phœbé qui met le nez à safenêtre ; Il faut nous dépêcher…

LA BETE À BON DIEU

Nous dépêcher, pourquoi ?

LE PAPILLON

Tu n’es donc plus pressé de retourner cheztoi ?…

LA BETE À BON DIEU

Oh ! pourvu que j’arrive à temps pour laprière…

D’ailleurs, ce n’est pas loin, chez nous…c’est là. derrière.

LE PAPILLON

Si tu n’es pas pressé, je ne le suis pas,moi.

LA BETE À BON DIEU, avec effusion.

Quel bon enfant tu fais !… Je ne sais paspourquoi Tout le monde n’est pas ton ami sur la terre.

On dit de toi : « C’est unbohème ; un réfractaire !

Un poète ! un sauteur !… »

LE PAPILLON

Tiens ! tiens ; et qui ditça ?

LA BETE À BON DIEU

Mon Dieu ! le Scarabée…

LE PAPILLON

Ah ! oui, ce gros poussah.

Il m’appelle sauteur, parce qu’il a duventre.

LA BETE À BON DIEU

C’est qu’il n’est pas le seul qui tedéteste…

LE PAPILLON

Ah ! dis.

LA BETE À BON DIEU

Ainsi, les Escargots ne sont pas tesamis ; Va ! ni les Scorpions, pas même les Fourmis.

LE PAPILLON

Vraiment ?

LA BETE À BON DIEU, confidentielle.

Ne fais jamais la cour à l’Araignée !Elle te trouve affreux.

LE PAPILLON

On l’a mal renseignée.

LA BETE À BON DIEU

Hé ! les Chenilles sont un peu de sonavis…

LE PAPILLON

Je crois bien !… Mais, dis-moi !dans le monde où tu vis, Car enfin tu n’es pas du monde desChenilles, Suis-je aussi mal vu ?…

LA BETE À BON DIEU

Dame ! c’est selon les familles, Lajeunesse est pour toi les vieux, en général, Trouvent que tu n’aspas assez de sens moral.

LE PAPILLON, tristement.

Je vois que je n’ai pas beaucoup desympathies.

En somme….

LA BETE À BON DIEU

Ma foi ! non, mon pauvre ! LesOrties t’en veulent. Le Crapaud te hait ; jusqu’au Grillon,Quand il parle de toi, qui dit : « Ce p… p…Papillon ! »

LE PAPILLON

Est-ce que tu me hais, toi, comme tous cesdrôles ?

LA BETE À BON DIEU

Moi… Je t’adore ; on est si bien. sur tesépaules ! Et puis, tu me conduis toujours chez lesMuguets.

C’est amusant !… Dis donc, si je tefatiguais, Nous pourrions faire encore une petite pause Quelquepart… Tu n’es pas fatigué, je suppose ?

LE PAPILLON

Je te trouve un peu lourd, ce n’est pasl’embarras.

LA BETE À BON DIEU, montrant des Muguets.

Alors, entrons ici, tu te reposeras.

LE PAPILLON

Ah ! merci !… des Muguets, toujoursla même chose J’aime bien mieux à côté…

LA BETE À BON DIEU, toute rouge.

Oh ! non, jamais…

Chez la Rose ?…

LE PAPILLON, l’entraînant.

Viens donc ! on ne nous verra pas.

(Ils entrent discrètement chez la Rose.) – Latoile tombe.

Au troisième acte…

Mais je ne voudrais pas, mes chers lecteurs,abuser plus longtemps de votre patience. Les vers, par le temps quicourt, n’ont pas le don de plaire, je le sais. Aussi j’arrête làmes citations, et je vais me contenter de raconter sommairement lereste de mon poème.

Au troisième acte, il est nuit tout à fait…Les deux camarades sortent ensemble de chez la Rose… Le Papillonveut ramener la Bête à bon Dieu chez ses parents ; maiscelle-ci s’y refuse ; elle est complètement ivre, fait descabrioles sur l’herbe et pousse des cris séditieux… Le Papillon estobligé de l’emporter chez elle. On se sépare sur la porte, en sepromettant de se revoir bientôt… Et alors le Papillon s’en va toutseul, dans la nuit. Il est un peu ivre, lui aussi ; mais sonivresse est triste : il se rappelle les confidences de la Bêteà bon Dieu, et se demande amèrement pourquoi tant de monde ledéteste, lui qui jamais n’a fait de mal à personne… Ciel sans lune,le vent souffle, la campagne est toute noire… Le Papillon a peur,il a froid ; mais il se console en songeant que son camaradeest en sûreté, au fond d’une couchette bien chaude… Cependant, onentrevoit dans l’ombre de gros oiseaux de nuit qui traversent lascène d’un vol silencieux. L’éclair brille. Des bêtes méchantesembusquées sous des pierres, ricanent en se montrant le Papillon.«Nous le tenons !» disent-elles. Et tandis que l’infortunitéva de droite et de gauche, plein d’effroi, un Chardon au passage lelarde d’un grand coup d’épée, un Scorpion l’éventre avec sespinces, une grosse Araignée velue lui arrache un pan de son manteaude satin bleu, et, pour finir, une Chauve-Souris lui casse lesreins d’un coup d’aile. Le Papillon tombe, blessé à mort… Tandisqu’il râle sur l’herbe, les Orties se réjouissent, et les Crapaudsdisent : « C’est bien fait ! » À l’aube, lesFourmis, qui vont au travail avec leurs jaquettes et leurs gourdes,trouvent le cadavre au bord du chemin. Elles le regardent à peineet s’éloignent sans vouloir l’enterrer. Les Fourmis ne travaillentpas pour rien… Heureusement une confrérie de Nécrophores vient àpasser par là. Ce sont, comme vous savez, de petites bêtes noiresqui ont fait vœu d’ensevelir les morts… Pieusement, elless’attellent au Papillon défunt et le traînent vers lecimetière…

Une foule curieuse se presse sur leur passage,et chacun fait des réflexions à haute voix.., Les petits Grillonsbruns, assis au soleil devant leurs portes, disent gravement :« Il aimait trop les fleurs ! – Il courait trop lanuit ! » ajoutent les Escargots, et les Scarabées à grosventre se dandinent dans leurs habits d’or en grommelant :«Trop bohème ! trop bohème !» Parmi toute cette foule,pas un mot de regret pour le pauvre mort ; seulement, dans lesplaines d’aleptour, les grands lis ont fermé et les cigales nechantent pas.

La dernière scène se passe dans le cimetièredes Papillons. Après que les Nécrophores ont fait leur œuvre, unHanneton solennel, qui a suivi le convoi, s’approche de la fosse,et, se mettant sur le dos, commence l’éloge du défunt,Malheureusement la mémoire lui manque ; il reste là les pattesen l’air, gesticulant pendant une heure et s’entortillant dans sespériodes… Quand l’orateur a fini, chacun se retire, et alors dansle cimetière désert, on voit la Bête à bon Dieu des premièresscènes sortir de derrière une tombe. Tout en larmes, elles’agenouille sur la terre fraîche de la fosse et dit une prièretouchante pour son pauvre petit camarade qui est là.

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