Le Petit Chose

Chapitre 7LA ROSE ROUGE ET LES YEUX NOIRS

Après cette première visite à l’anciennemaison Lalouette, je restai quelque temps sans retourner là-bas.Jacques, lui, continuait fidèlement ses pèlerinages du dimanche, etchaque fois il inventait quelque nouveau nœud de cravate rempli deséduction…

C’était tout un poème, la cravate de Jacques,un poème d’amour ardent et contenu, quelque chose comme un sélamd’Orient, un de ces bouquets de fleurs emblématiques que lesBachagas offrent à leurs amoureuses et auxquels ils savent faireexprimer toutes les nuances de la passion.

Si j’avais été femme, la cravate de Jacquesavec ses mille nœuds qu’il variait à l’infini m’aurait plus touchéqu’une déclaration. Mais voulez-vous que je vous dise ! lesfemmes n’y entendent rien… Tous les dimanches, avant de partir, lepauvre amoureux ne manquait pas de me dire : « Je vaislà-bas, Daniel… viens-tu ?» Et moi, je répondaisinvariablement :

« Non ! Jacques ! jetravaille… » Alors il s’en allait bien vite, et je restaisseul, tout seul, penché sur l’établi aux rimes.

C’était de ma part un parti pris, etsérieusement pris, de ne plus aller chez Pierrotte. J’avais peurdes yeux noirs. Je m’étais dit : « Si tu les revois, tues perdu», et je tenais bon pour ne pas les revoir…

C’est qu’ils ne me sortaient plus de la tête,ces grands démons d’yeux noirs. Je les retrouvais partout.

J’y pensais toujours, en travaillant, endormant. Sur tous mes cahiers, vous auriez vu de grands yeuxdessinés à la plume, avec des cils longs comme cela, C’était uneobsession.

Ah ! quand ma mère Jacques, l’œilbrillant de plaisir, partait en gambadant pour le passage duSaumon, avec un nœud de cravate inédit, Dieu sait quelles enviesfolles j’avais de dégringoler l’escalier derrière lui et de luicrier : « Attends-moi !», Mais non ! Quelquechose au fond de moi-même m’avertissait que ce serait mal d’allerlà-bas, et j’avais quand même le courage de rester à monétabli… : « Non ! merci, Jacques ! jetravaille. » Cela dura quelque temps ainsi. À la longue, laMuse aidant, je serais sans doute parvenu à chasser les yeux noirsde ma cervelle. Malheureusement j’eus l’imprudence de les revoirencore une fois. Ce fut fini ! ma tête, mon cœur, tout ypassa. Voici dans quelles circonstances :

Depuis la confidence du bord de l’eau, ma mèreJacques ne m’avait plus parlé de ses amours ; mais je voyaisbien à son air que cela n’allait pas comme il aurait voulu… Ledimanche, quand il revenait de chez Pierrotte, il était toujourstriste. La nuit je l’entendais soupirer, soupirer… Si je luidemandais :

«Qu’est-ce que tu as, Jacques ?» Il merépondait brusquement : « Je n’ai rien. » Mais jecomprenais qu’il avait quelque chose, rien qu’au ton dont il medisait cela. Lui, si bon, si patient, il avait maintenant avec moides mouvements d’humeur. Quelquefois il me regardait comme si nousétions fâchés. Je me doutais bien, vous pensez ! qu’il y avaitlà-dessous quelque gros chagrin d’amour ; mais comme Jacquess’obstinait à ne pas m’en parler, je n’osais pas en parler nonplus. Pourtant, certain dimanche qu’il m’était revenu plus sombrequ’à l’ordinaire, je voulus en avoir le cœur net.

« Voyons ! Jacques, qu’as-tu ?lui dis-je en lui prenant les mains… Cela ne va donc pas,là-bas ?

– Eh bien, non !… cela ne va pas…,répondit le pauvre garçon d’un air découragé.

– Mais enfin, que se passe-t-il ? Est-ceque Pierrotte se serait aperçu de quelque chose ? Voudrait-ilvous empêcher de vous aimer ?…

– Oh ! non ! Daniel, ce n’est pasPierrotte qui nous empêche… C’est elle qui ne m’aime pas, qui nem’aimera jamais.

– Quelle folie, Jacques ! Comment peux-tusavoir qu’elle ne t’aimera jamais… Lui as-tu dit que tu l’aimais,seulement ?… Non, n’est-ce pas ?… Eh bien, alors…

– Celui qu’elle aime n’a pas parlé ; iln’a pas eu besoin de parler pour être aimé…

– Vraiment, Jacques, tu crois que le joueur deflûte ?… » Jacques n’eut pas l’air d’entendre maquestion.

« Celui qu’elle aime n’a pasparlé », dit-il pour la seconde fois.

Et je n’en pus savoir davantage.

Cette nuit-là, on ne dormit guère dans leclocher de Saint-Germain.

Jacques passa presque tout le temps à lafenêtre à regarder les étoiles en soupirant. Moi, jesongeais :

« Si j’allais là-bas, voir les choses deprès… Après tout, Jacques peut se tromper. Mlle Pierrotte n’a sansdoute pas compris tout ce qui tient d’amour dans les plis de cettecravate… Puisque Jacques n’ose pas parler de sa passion, peut-êtreje ferais bien d’en parler pour lui… Oui, c’est cela : j’irai,je parlerai à cette jeune Philistine, et nous verrons. » Lelendemain, sans avertir ma mère Jacques, je mis ce beau projet àexécution. Certes, Dieu m’est témoin qu’en allant là-bas je n’avaisaucune arrière-pensée. J’y allais pour Jacques, rien que pourJacques… Pourtant, quand j’aperçus à l’angle du passage du Saumonl’ancienne maison Lalouette avec ses peintures vertes et lePorcelaines et Cristaux de la devanture, je sentis un légerbattement du cœur qui aurait dû m’avertir… J’entrai. Le magasinétait désert ; dans le fond, l’homme-flûte prenait sanourriture ; même en mangeant il gardait son instrument sur lanappe près de lui. « Que Camille puisse hésiter entre cetteflûte ambulante et ma mère Jacques, voilà qui n’est pas possible…,me disais-je tout en montant. Enfin, nous allons voir… » Jetrouvai Pierrotte à table avec sa fille et la dame de grand mérite.Les yeux noirs n’étaient pas là fort heureusement. Quand j’entrai,il y eut une exclamation de surprise. « Enfin, le voilà !s’écria le bon Pierrotte de sa voix de tonnerre… C’est bien le casde le dire… Il va prendre le café avec nous. » On me fitplace. La dame de grand mérite alla me chercher une belle tasse àfleurs d’or, et je m’assis à côté de Mlle Pierrotte.

Elle était très gentille ce jour-là, MllePierrotte.

Dans ses cheveux, un peu au-dessus del’oreille – ce n’est plus là qu’on les place aujourd’hui – elleavait mis une petite rose rouge, mais si rouge, si rouge…

Entre nous, je crois que cette petite roserouge était fée, tellement elle embellissait la petitePhilistine.

« Ah ! çà, monsieur Daniel, me ditPierrotte avec un bon gros rire affectueux, c’est donc fini, vousne voulez donc plus venir nous voir !» J’essayai de m’excuseret de parler de mes travaux littéraires. « Oui, oui, jeconnais ça, le Quartier latin… », fit le Cévenol.

Et il se mit à rire de plus belle en regardantla dame de grand mérite qui toussotait, hem ! hem ! d’unair entendu et m’envoyait des coups de pied sous la table. Pour cesbraves gens, Quartier latin, cela voulait dire orgies, violons,masques, pétards, pots cassés, nuits folles et le reste. Ah !si je leur avais conté ma vie de cénobite dans le clocher deSaint-Germain, je les aurais fort étonnés. Mais, vous savez !quand on est jeune, on n’est pas fâché de passer pour un mauvaissujet. Devant les accusations de Pierrotte, je prenais un petit airmodeste, et je ne me défendais que faiblement : «Mais non,mais non ! je vous assure… Ce n’est pas ce que vouscroyez. » Jacques aurait bien ri de me voir.

Comme nous achevions de prendre le café, unpetit air de flûte se fit entendre dans la cour. C’était Pierrottequ’on appelait au magasin. À peine eut-il le dos tourné, la dame degrand mérite s’en alla à son tour à l’office faire un cinq centsavec la cuisinière. Entre nous, je crois que son plus grand mérite,à cette dame-là, c’était de tripoter les cartes forthabilement.

Quand je vis qu’on me laissait seul avec lapetite rose rouge, je pensai : «Voilà le moment !» etj’avais déjà le nom de Jacques sur les lèvres ; mais MllePierrotte ne me donna pas le temps de parler.

À voix basse, sans me regarder, elle me dittout à coup : « Est-ce que c’est Mlle Coucou-Blanc quivous empêche de venir chez vos amis ? » D’abord je crusqu’elle riait, mais non ! elle ne riait pas. Elle paraissaitmême très émue, à voir l’incarnat de ses joues et les battementsrapides de sa guimpe. Sans doute on avait parlé de Coucou-Blancdevant elle, et elle s’imaginait confusément des choses quin’étaient pas.

J’aurais pu la détromper d’un mot ; maisje ne sais quelle sotte vanité me retint… Alors, voyant que je nelui répondais pas, Mlle Pierrotte se tourna de mon côté et, levantses grands cils qu’elle avait tenus baissés jusqu’alors, elle meregarda… Je mens. Ce n’est pas elle qui me regarda ; mais lesyeux noirs tout mouillés de larmes et chargés de tendres reproches.Ah ! ces chers yeux noirs, délices de mon âme ! Ce ne futqu’une apparition. Les longs cils se baissèrent presque tout desuite, les yeux noirs disparurent ; et je n’eus plus à côté demoi que Mlle Pierrotte. Vite, vite, sans attendre une nouvelleapparition, je me mis à parler de Jacques. Je commençai par direcombien il était bon, loyal, brave, généreux.

Je racontai ce dévouement qui ne se lassaitpas, cette maternité toujours en éveil, à rendre une vraie mèrejalouse. C’est Jacques qui me nourrissait, m’habillait, me faisaitma vie. Dieu sait au prix de quel travail, de quelles privations.Sans lui, je serais encore là-bas, dans cette prison noire deSarlande, où j’avais tant souffert, tant souffert…

À cet endroit de mon discours, Mlle Pierrotteparut s’attendrir, et je vis une grosse larme glisser le long de sajoue. Moi, bonnement, je crus que c’était pour Jacques et je me disen moi-même : « Allons ! voilà qui va bien. »Là-dessus, je redoublai d’éloquence. Je parlai des mélancolies deJacques et de cet amour profond, mystérieux qui lui rongeait lecœur. Ah ! trois et quatre fois heureuse la femme qui…

Ici la petite rose rouge que Mlle Pierrotteavait dans les cheveux glissa je ne sais comment et vint tomber àmes pieds. Tout juste, à ce moment, je cherchais un moyen délicatde faire comprendre à la jeune Camille qu’elle était cette femmetrois et quatre fois heureuse dont Jacques s’était épris. La petiterose rouge en tombant me fournit ce moyen. Quand je vous disaisqu’elle était fée, cette petite rose rouge.

– Je la ramassai lestement, mais je me gardaibien de la rendre. « Ce sera pour Jacques, de votrepart », dis-je à Mlle Pierrotte avec mon sourire le plus fin.– « Pour Jacques, si vous voulez », répondit MllePierrotte, en soupirant ; mais au même instant, les yeux noirsapparurent et me regardèrent tendrement de l’air de me dire :« Non ! pas pour Jacques, pour toi ! » Et sivous aviez vu comme ils disaient bien cela, avec quelle candeurenflammée, quelle passion pudique et irrésistible ! Pourtantj’hésitais encore, et ils furent obligés de répéter deux ou troisfois de suite : « Oui !… pour toi… pour toi. »Alors je baisai la petite rose rouge et je la mis dans mapoitrine.

Ce soir-là, quand Jacques revint, il me trouvacomme à l’ordinaire penché sur l’établi aux rimes et je lui laissaicroire que je n’étais pas sorti de la journée. Par malheur, en medéshabillant, la petite rose rouge que j’avais gardée dans mapoitrine roula par terre au pied du lit : toutes ces fées sontpleines de malice. Jacques la vit, la ramassa, et la regardalonguement. Je ne sais pas qui était le plus rouge de la rose ou demoi.

« Je la reconnais, me dit-il, c’est lafleur du rosier qui est là-bas sur la fenêtre du salon. » Puisil ajouta en me la rendant :

« Elle ne m’en a jamais donné, àmoi. » Il dit cela si tristement que les larmes m’en vinrentaux yeux.

« Jacques, mon ami Jacques, je te jurequ’avant ce soir… », Il m’interrompit avec douceur :« Ne t’excuse pas, Daniel, je suis sûr que tu n’as rien faitpour me trahir… Je le savais, je savais que c’était toi qu’elleaimait. Rappelle-toi ce que je t’ai dit : “Celui qu’elle aimen’a pas parlé, il n’a pas eu besoin de parler pour êtreaimé.” » Là-dessus, le pauvre garçon se mit à marcher de longen large dans la chambre. Moi, je le regardais, immobile, ma roserouge à la main. « Ce qui arrive devait arriver, reprit-il aubout d’un moment. Il y a longtemps que j’avais prévu tout cela.

« Je savais que, si elle te voyait, ellene voudrait jamais de moi… Voilà pourquoi j’ai si longtemps tardé àt’amener là-bas. J’étais jaloux de toi par avance.

« Pardonne-moi, je l’aimais tant !…Un jour, enfin, j’ai voulu tenter l’épreuve, et je t’ai laissévenir. Ce jour-là, mon cher, j’ai compris que c’était fini. Au boutde cinq minutes, elle t’a regardé comme jamais elle n’a regardépersonne. Tu t’en es bien aperçu, toi aussi.

« Oh ! ne mens pas, tu t’en esaperçu. La preuve, c’est que tu es resté plus d’un mois sansretourner là-bas ; mais, pécaire ! cela ne m’a guèreservi… Pour les âmes comme la sienne, les absents n’ont jamaistort, au contraire… Chaque fois que j’y allais, elle ne faisait queme parler de toi, et si naïvement, avec tant de confiance etd’amour… C’était un vrai supplice.

« Maintenant c’est fini… J’aime mieuxça. » Jacques me parla ainsi longuement avec la même douceur,le même sourire résigné. Tout ce qu’il disait me faisait peine etplaisir à la fois. Peine, parce que je le sentais malheureux ;plaisir, parce que je voyais à travers chacune de ses paroles lesyeux noirs qui me luisaient, tout pleins de moi. Quand il eut fini,je m’approchai de lui, un peu honteux, mais sans lâcher la petiterose rouge : « Jacques, est-ce que tu ne vas plus m’aimermaintenant ? » Il sourit, et me serrant contre soncœur : « T’es bête, je t’aimerai bien davantage. »C’est une vérité. L’histoire de la rose rouge ne changea rien à latendresse de ma mère Jacques, pas même à son humeur. Je crois qu’ilsouffrit beaucoup, mais il ne le laissa jamais voir. Pas un soupir,pas une plainte, rien. Comme par le passé, il continua d’allerlà-bas le dimanche et de faire bon visage à tous. Il n’y eut queles nœuds de cravate de supprimés. Du reste, toujours calme etfier, travaillant à se tuer, et marchant courageusement dans lavie, les yeux fixés sur un seul but, la reconstruction du foyer… OJacques ! ma mère Jacques !

Quant à moi, du jour où je pus aimer les yeuxnoirs librement, sans remords, je me jetai à corps perdu dans mapassion… Je ne bougeais plus de chez Pierrotte. J’y avais gagnétous les cœurs ; – au prix de quelles lâchetés, grandDieu ? Apporter du sucre à M. Lalouette, faire la partiede la dame de grand mérite, rien ne me coûtait…

Je m’appelais Désir-de-plaire dans cettemaison-là…

En général, Désir-de-plaire venait vers lemilieu de la journée. À cette heure, Pierrotte était au magasin, etMlle Camille toute seule en haut, dans le salon, avec la dame degrand mérite. Dès que j’arrivais, les yeux noirs se montraient bienvite, et presque aussitôt la dame de grand mérite nous laissaitseuls. Cette noble dame de compagnie se croyait débarrassée de toutservice quand elle me voyait là. Vite, vite à l’office avec lacuisinière, et en avant les cartes.

Je ne m’en plaignais pas ; pensezdonc ! en tête-à-tête avec les yeux noirs.

Dieu ! les bonnes heures que j’ai passéesdans ce petit salon jonquille ! Presque toujours j’apportaisun livre, un de mes poètes favoris, et j’en lisais des passages auxyeux noirs, qui se mouillaient de belles larmes ou lançaient deséclairs, selon les endroits.

Pendant ce temps, Mlle Pierrotte brodait prèsde nous des pantoufles pour son père ou nous jouait ses éternellesRêveries de Rosellen ; mais nous la laissions bien tranquille,je vous assure. Quelquefois cependant, à l’endroit le pluspathétique de nos lectures, cette petite bourgeoise faisait à hautevoix une réflexion saugrenue, comme : « Il faut que jefasse venir l’accordeur… » ou bien encore : « J’aideux points de trop à ma pantoufle » Alors de dépit je fermaisle livre et je ne voulais pas aller plus loin ; mais les yeuxnoirs avaient une certaine façon de me regarder qui m’apaisait toutde suite, et je continuais.

Il y avait sans doute une grande imprudence ànous laisser ainsi toujours seuls dans ce petit salon jonquille.Songez qu’à nous deux – les yeux noirs et Désir-de-plaire – nous nefaisions pas trente-quatre ans… Heureusement que Mlle Pierrotte nenous quittait jamais, et c’était une surveillance très sage, trèsavisée, très éveillée, comme il en faut à la garde des poudrières…Un jour – je me souviens – nous étions assis, les yeux noirs etmoi, sur un canapé du salon, par un tiède après-midi du mois demai, la fenêtre entrouverte, les grands rideaux baissés et tombantjusqu’à terre. On lisait Faust, ce jour-là !… La lecturefinie, le livre me glissa des mains ; nous restâmes un momentl’un contre l’autre, sans parler, dans le silence et le demi-jour…Elle avait sa tête appuyée sur mon épaule. Par la guimpeentrebâillée, je voyais de petites médailles d’argent quireluisaient au fond de la gorgerette… Subitement, Mlle Pierrotteparut au milieu de nous. Il faut voir comme elle me renvoya bienvite à l’autre bout du canapé – et quel grand sermon !« Ce que vous faites là est très mal, chers enfants, nousdit-elle… Vous abusez de la confiance qu’on vous montre… Il fautparler au père de vos projets… Voyons ! Daniel, quand luiparlerez-vous ? » Je promis de parler à Pierrotte trèsprochainement, dès que j’aurais fini mon grand poème. Cettepromesse apaisa un peu notre surveillante ; mais c’estégal ! depuis ce jour, défense fut faite aux yeux noirs des’asseoir sur le canapé, à côté de Désir-de-plaire.

Ah ! c’était une jeune personne trèsrigide, cette demoiselle Pierrotte. Figurez-vous que, dans lespremiers temps, elle ne voulait pas permettre aux yeux noirs dem’écrire ; à la fin, pourtant, elle y consentit, à l’expressecondition qu’on lui montrerait toutes les lettres. Malheureusement,ces adorables lettres pleines de passion que m’écrivaient les yeuxnoirs, Mlle Pierrotte ne se contentait pas de les relire ;elle y glissait souvent des phrases de son cru comme ceci parexemple :

«… Ce matin, je suis toute triste. J’ai trouvéune araignée dans mon armoire. Araignée du matin, chagrin. »Ou, bien encore :

« On ne se met pas en ménage avec desnoyaux de pêche… » Et puis l’éternel refrain :

« Il faut parler au père de vosprojets… » À quoi je répondais invariablement :

« Quand j’aurai fini monpoème !…»

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