Les Coups d’épée de M. de la Guerche

Chapitre 28CONFESSIONS ET PETITS PROJETS

Peud’instants après, Armand-Louis et Renaud se trouvaient ensemblesous la même tente, devant un jambon que Magnus avait servinoblement entre deux honnêtes flacons de vins de France.

– Encore des compatriotes, et non pas lesmoins aimables ! dit Renaud qui remplit son verre.

Un sourd gémissement se fit entendre à laporte.

– Tiens ! Carquefou ! quej’avais perdu ! s’écria Renaud.

Carquefou entra plus maigre, plus sec, plusdévasté, plus long et plus blême encore qu’au temps où ilguerroyait contre les loups.

– Monsieur, dit-il en s’adressant àM. de la Guerche, c’est une pitié… mes os ne tiennentplus à mon corps que par des fils. Il n’est pas bien sûr que je nesois pas mort ! Mon maître m’a laissé l’autre jour dans unehôtellerie où l’on comptait plus de coquins autour des brocs que depoulets le long des broches. Comment m’en suis-je tiré ? monsaint patron le sait. Sans le secours de sainte Estocade, je neserais plus vivant. C’est dans ces occasions funèbres qu’on sesouvient avec attendrissement des broches qui tournaient chezM. de Pardaillan et des honnêtes figures qu’on voyaitautour de ces broches !

La vue du jambon et d’un canard sauvage cuit àpoint que Magnus apportait sur un plat fumant arrêta courtl’homélie de Carquefou. Il sourit.

– Je vois, reprit-il, que les bonnestraditions sont revenues.

Armand-Louis se tourna vers Magnus.

– Voilà, dit-il, en lui montrantCarquefou, un honnête garçon que je te recommande ; il al’estomac plus creux qu’il n’a les bras longs.

– Et le cœur timide, ajoutaCarquefou.

– Cependant, tel qu’il est, j’y tiens.Veille à ce qu’on ne me le casse pas, dit Renaud.

– C’est bon, répliqua Magnus, Balivernele prendra sous sa protection.

Seuls et commodément assis en face de la mer,qu’on voyait à une petite distance, toute couverte de navires detoutes grandeurs, et réjouis par le son des tambours et destrompettes, Armand-Louis et Renaud se regardèrent.

– Çà ! m’expliqueras-tu comment ilse fait que je te retrouve en Suède, après t’avoir laissé sur lechemin du château de Mireval, vers lequel t’attiraient deux beauxyeux ? dit M. de la Guerche.

– Ah ! mon ami, tu sais si jetravaillais sincèrement à faire pénitence ! Je dois rendre àClotilde cette justice, qu’elle m’y aidait de tout son pouvoir.Mais voilà qu’un brave homme d’oncle, qui soignait ses vieuxrhumatismes à Mireval, me parla de rendre visite à la chapelle duchâteau.

– C’était un homme consciencieux.

– Consciencieux et désagréable. Unepénitence perpétuelle, cela me parut exagéré. Je tirai ma révérenceaux tourelles de Mireval, et, suivi de Carquefou, qui avait presqueengraissé, je m’acheminai vers Paris. On me fit bon accueil à laCour ; mais, vois mon malheur ! le souvenir deMlle de Pardaillan me poursuivait encore aumenuet du roi.

– Tu as, j’en suis sûr, combattu cesouvenir par le jeûne et la macération ?

– Oui, mon parpaillot, par le jeûne etles yeux verts de Mme de Sérioles.

– Ah ! des yeux verts !

– J’avais eu affaire à des yeux noirs età des yeux bleus. Il faut mortifier son corps par le changement.Mme de Sérioles était une personne decondition qui avait quelque réputation de beauté au Louvre. Je doisavouer qu’elle la méritait.

– Si bien, que tu ne tardas guère à luiconfier le soin de ta guérison ?

– Les âmes courageuses n’hésitent pas.Aurore – elle s’appelait Aurore – eut pitié de mon martyre. Cettenouvelle épreuve dura bien quinze jours. Mais rien ne prévautcontre la malice de l’esprit noir. Au plus fort de la cure, voilàqu’un jour, inspiré par le diable, je m’avise de soupirer le nom deDiane en baisant la main d’Aurore…Mme de Sérioles négligea désormais des’employer à me guérir.

– Ces dames de la Cour ont despréjugés !

– C’est là ce qui l’excuse à mes yeux. Enquittant Paris, je me rendis à Bruxelles. Je ne sais quel filmystérieux me tirait du côté du nord. Je ne te dirai pas quellestentatives diverses j’ai faites en Flandre et dans les Pays-Baspour assainir mon âme éprise d’une hérétique. J’essayai même decombattre l’hérésie par l’hérésie : la Suédoise par uneHollandaise élevée dans l’erreur. Hélas ! le remède étaithéroïque.

– Désespéré !

– C’est ce que je voulais dire. Ehbien ! Gretchen ne put rien contre Diane ! Le diable nelâchait pas sa victime. Un matin, tout en larmes, je me trouvai enAllemagne ; mon cheval s’en allait du côté de la Suède enprenant le chemin du Danemark ; j’étais si découragé que je nele retins pas. D’ailleurs, il venait de ce pays un vent de guerrequi me réconfortait. Ah ! mon pauvre ami, quels hommes bardésde fer n’ai-je pas rencontrés partout ? Quels régiments, quelsescadrons : des Hessois, des Saxons, des Croates, desAutrichiens, des Polonais, des Hongrois, des Espagnols, desBohémiens ; dix armées qui faisaient rage ! Ons’endormait au bruit de la fusillade, on se réveillait au bruit ducanon. Et l’on avait la nuit des incendies pour éclairer lepaysage. Ma foi, quand on m’eut appris que le roi Gustave-Adolpheréunissait des troupes pour guerroyer contre l’Empire, j’ai donnéun coup d’éperon à mon cheval, et un matin un navire de Hambourg,qui faisait voile pour Stockholm, m’a jeté en Suède.

– Prends garde,Mlle de Pardaillan ne t’a pas oublié.

– Ah ! c’est le dernier coup !répondit Renaud joyeux.

Il y avait comme une sorte d’ententesilencieuse entre Diane et Renaud ; et le traître, quifeignait la surprise, le savait bien. Il n’y a pas de jeune fillequi ne soit un peu femme, et c’est par là que toutes établissentqu’elles sont issues de notre commune mère Ève. C’est pourquoiMlle de Pardaillan avait deviné quel sentimentelle inspirait à M. de Chaufontaine avant même quecelui-ci en eût conscience. Le trouble, l’embarras d’un homme sibrave ne lui déplurent pas ; de plus, il avait dans l’air duvisage et dans la tournure de l’esprit, quelque chose qui étaitsympathique à sa nature hardie et loyale. Elle estimait que c’étaitun homme de cœur en voyant qu’il ne cherchait pas, lui gentilhommesans fortune, à circonvenir le père d’une des plus richeshéritières de la Suède. Il ne faisait rien non plus pour surprendreson cœur, et les témoignages secrets qu’il lui donnait d’un amourspontané, c’était la force de la jeunesse qui les lui arrachait.Jamais de flatterie à M. de Pardaillan, jamais decomplaisance marquée par trop d’empressement ; mais, aucontraire, une noble fierté qui éclatait en toutes choses. Par là,il montrait suffisamment qu’il avait l’âme haute ; et par là,il entra plus avant dans les bonnes grâces deMlle de Pardaillan.

Sûre de lui, Diane lui vint en aide par cesfinesses de langage dont les jeunes gens et les jeunes femmes quise comprennent à demi-mot ont le secret.

Ce fut ainsi queMlle de Pardaillan lui fit comprendre, sansavoir l’air de lui parler, quelle route était la meilleure pourarriver à l’obtenir.

Il ne fallait pas d’abord queM. de Pardaillan se doutât queM. de Chaufontaine aimât sa fille, pour laquelle il avaitune affection excessive ; et, en agissant ainsi qu’il l’avaitfait jusqu’alors, sa délicatesse l’avait mieux servi que la plusextrême habileté. Il fallait tout laisser à l’initiative du vieuxgentilhomme, que Diane, sans paraître y toucher, se chargeaitd’inspirer et de conduire ; se signaler en outre par quelqueaction d’éclat, si l’occasion s’en présentait, et surtout être bienassuré que vouloir brusquer les événements c’était évidemment lesreculer.

Le principal était de savoir que la recherchede M. de Chaufontaine n’irritait pasMlle de Pardaillan.

Le brusque départ deM. de Chaufontaine pour courir au siège de La Rochelle,au moment où Armand-Louis quitta la Suède, n’avait pas laisséd’étonner Diane ; mais rien n’embarrassait Renaud.

– J’ai lu dans l’histoire, dit-ilhardiment devant M. de Pardaillan, que mon homonyme,Renaud de Montauban, avait quelque temps oublié dans les jardinsd’Armide qu’il portait une épée ; j’ai toujours cet exemplefameux devant les yeux. Or il me paraît que le château deSaint-Wast est un lieu où toute chose tient de la magie : labonne chère, la chasse et la musique. Puisque aucun enchanteur neme vient en aide, je fuis. Quand vous me reverrez, monsieur lemarquis, j’aurai donné et reçu force coups.

Diane éprouva un rapide frisson ; mais leregardant :

– Frappez donc ; ne vous faites pastuer seulement, avait-elle dit.

Ces confidences échangées mirentM. de la Guerche au courant d’une situation qu’il neconnaissait qu’à demi.

– Allons ! dit Armand-Louis envidant le dernier flacon dans le verre de Renaud, je bois à tesamours et prétends dès aujourd’hui te ramener au bercail !

Une heure après on pouvait voirM. de Chaufontaine chez M. de Pardaillan, quile reçut les bras ouverts.

– Combien de géants occis, de princessesdélivrées, de malandrins décousus, d’aventures menées à bonnefin ? lui dit-il en souriant.

– Je ne compte pas, répondit gaiementRenaud.

L’entrevue du ligueur et de Diane eut lieudans le même instant. Renaud manqua rentrer sous terre en entendantla voix de Mlle de Pardaillan ; iln’avait plus la force de lui parler. C’était peut-être le meilleurcompliment qu’il pût lui adresser. Elle en fut si enchantée,qu’elle essaya de le réconforter par un regard qui acheva de luifaire perdre l’esprit.

Ce n’était pas tout cependant que d’avoirréuni une poignée de gentilshommes pour en faire un escadron, ilfallait encore les armer, et c’était là le plus difficile.Armand-Louis, malgré son titre pompeux d’ambassadeur de SonÉminence le premier ministre du roi Louis XIII, avait labourse plate ; Renaud, en sa qualité d’aventurier, ne l’avaitpas plus ronde. Les huguenots groupés autour d’eux étaient plusriches en noblesse et en courage qu’en argent comptant. Et on avaitun grand besoin de chevaux, d’armes, d’équipements, de munitions,tout ce qu’on possédait en choses de ce genre se ressentant deslongues traverses et de misères subies par les proscrits.

Le soin de parer au mal commun incombait àM. de la Guerche. Capitaine de l’escadron, il en était letuteur.

S’adresser au roi semblait tout d’abord leplus simple ; mais le roi devait trop au sauveur deMarguerite ; il répugnait à Armand-Louis de demander unservice à qui ne pouvait rien lui refuser. De plus, les huguenots,en s’adressant à Gustave-Adolphe, n’auraient-ils pas eu l’air defaire payer leurs services à qui déjà leur avait donné un asile,une patrie, un drapeau ?

Le temps pressait ; lorsqueM. de la Guerche parlait de son embarras à Renaud,celui-ci tordait innocemment ses moustaches.

– Cherche, lui disait-il ; tout celane me regarde pas, je suis soldat.

Et il se faufilait du côté où il espéraittrouver Diane.

Magnus non plus ne se préoccupait pas dudénouement, il avait foi dans la Providence. Elle ne les avait pasconduits en Suède pour les abandonner.

Au plus fort de sa détresse, Armand-Louis sesouvint d’Abraham Cabeliau.

– Je lui dois la vie et celled’Adrienne ; je lui devrai tout, dit-il.

– Voilà ce que j’appelle une idée, ditMagnus. Avais-je raison de ne pas me tourmenter ?

– Une idée, une idée ! ce n’est pastoujours de l’argent ! reprit Armand-Louis.

– Monsieur, c’est quelquefois del’or.

Sans plus attendre, Armand-Louis frappa à laporte du calviniste et lui conta son embarras.

– Il s’agit d’armer et d’équiper enguerre cent cinquante ou deux cents hommes, tous de race noble,dit-il ; ils m’ont mis à leur tête, et nous avons juré desuivre le roi partout où il lui plaira de conduire le drapeau de laSuède. Vous plaît-il d’être mon trésorier ? Si nous sommesvainqueurs, tout est sauvé ; si nous sommes vaincus, tout estperdu !

– Dieu protège la Suède ! réponditAbraham.

Il prit une feuille de papier, écrivit son nomdessus, y posa son cachet et la présenta à M. de laGuerche.

– Allez, dit-il, il n’est aucun marchandde la Suède, du Danemark et de la Hollande qui ne connaisse ce nomet ce signe. Avec cela, vous aurez tout ce que vous voudrez. Ils’agit du service de la bonne cause, n’économisez pas.

De retour au camp d’Elfsnabe, Armand-Louisrencontra Renaud.

– J’ai cherché, j’ai trouvé, dit-il.

– Alors pense à Carquefou ; il abesoin d’une casaque de buffle neuve et d’un cheval frais.

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