Les Coups d’épée de M. de la Guerche

Chapitre 35UN VOYAGE D’AGRÉMENT

Cependant le courrier que la baronne d’Igomeravait dépêché à M. de Chaufontaine n’était pas le seulqu’elle eût fait monter à cheval. Un second, porteur égalementd’une lettre, était chargé de découvrir Jean de Werth. La baronnene savait heureusement pas alors où se trouvait l’aventureuxcapitaine, et un bon nombre de jours pouvaient s’écouler avantqu’il fût mis au courant de ce qui se passait chez l’alliéeinconnue que lui envoyait la fatalité. C’était une chance de pluspour Armand-Louis et Renaud, mais ils ignoraient également et cettechance et le péril nouveau que l’arrivée subite du général destroupes bavaroises devait faire courir aux prisonnières.

La baronne d’Igomer parvint sous milleprétextes à retenir Diane et Adrienne chez elle pendant quatre oucinq jours. On n’avait pas obtenu de renseignements suffisants unepremière fois ; le lendemain, ceux qu’on avait obtenus neparaissaient pas exacts ; le jour suivant, le temps était à lapluie. Les caresses et les cajoleries ne manquaient pas. Cen’étaient que prévenances et petits soins. Quand la baronne jugeaqu’elle ne pouvait pas prolonger ce jeu sans éveiller des soupçons,elle annonça un matin que la nouvelle positive du retour de lareine à Stralsund lui étant parvenue, on partirait sans plustarder.

On se mit en route en effet dans la journée.Mme d’Igomer chevauchait à côté deMlle de Souvigny et deMlle de Pardaillan, ne voulant pas,disait-elle, abandonner ses jeunes amies jusqu’à ce qu’elle les eûtmises en mains sûres. Qu’elle avait le sourire joli en parlantainsi ! Des serviteurs nombreux l’accompagnaient, si bien que,à l’aspect de cette cavalcade, guidée par des écuyers et protégéepar des hommes d’armes, les bourgeois saluaient et les manants desvillages s’attroupaient pour en voir le défilé comme au passaged’une princesse.

À la première couchée, un des Suédois quiservaient d’escorte personnelle àMlle de Pardaillan tomba malade, et on futobligé de l’abandonner dans l’auberge. Ce fut encore ainsi à lacouchée prochaine ; un troisième Suédois suivit bientôt sesdeux camarades.

« Voilà qui est singulier, pensal’écuyer ; on n’a jamais vu des hommes si robustes devenirtout à coup si faibles. »

Mlle de Souvigny, qui nepouvait se défendre d’une certaine préoccupation, s’étonnait decette épidémie qui sévissait sur les Suédois de leur escorte ;elle remarquait, en outre, que de nouveaux serviteurs augmentaientchaque jour la troupe de Mme d’Igomer, tandis quecelle de Mlle de Pardaillan diminuait. Tousces cavaliers inconnus qu’on apercevait tour à tour étaient armésjusqu’aux dents. On aurait dit des flibustiers partant pour laconquête d’un royaume.

– Cela ne te paraît-il pas étrange ?dit-elle un soir à Diane. C’est à qui, parmi nos gens, aura lafièvre, et personne ne l’a parmi ceux deMme d’Igomer.

– C’est qu’apparemment les siens seportent mieux, ou qu’ils sont faits au climat de l’Allemagne.

– Mais pourquoi, aussitôt que l’un desnôtres se met au lit, voit-on un nouveau visage apparaître dans labande qui marche derrière la baronne ?

– C’est afin de rétablir l’équilibre.

– Pourquoi encore ces sabres, cespistolets, ces pertuisanes ?

– Mme d’Igomer est unepersonne qui a le culte de la précaution ; elle ne veut pasqu’un cheveu tombe de ta charmante tête, ni qu’une dentelles’échappe de mon ajustement.

– Hum ! nos cheveux et nos dentelleslui sont bien reconnaissants ! Mais, dis-moi, si mes étudesgéographiques ne me trompent pas, Stralsund est une petite villesituée vers le nord, par rapport à Berlin ?

– Sans doute.

– D’où vient alors que nous marchons versle sud ? Comme nous approchions du bourg, où nous devionsprendre gîte hier au soir, j’ai cherché des yeux la grandeOurse ; elle brillait d’un éclat superbe.

– Tant mieux ; mais après ?

– Nous lui tournions le dos.

– C’est que la route fait un coude,répondit Diane.

– Il y a des coudes dont je me méfie,répondit Adrienne.

Le jour d’après, elle interrogea l’écuyerauquel M. de Pardaillan avait confié sa fille :lui-même était inquiet. Il avait acquis la certitude, dans la nuit,qu’on était plus loin de Stralsund qu’au moment du départ. Adrienneen parla résolument à Mme d’Igomer qui rougit unpeu.

– Je ne voulais pas vous en instruire,répondit celle-ci, les chemins sont remplis de batteursd’estrade ; j’ai dû prendre une route de traverse. Elle nouséloigne d’abord, mais nous arriverons plus sûrement.

Chaque soir la baronne recevait, étant seule,un messager blanc de poussière ou noir de boue, qui repartaitbientôt après. Pour une femme qui avait une peur si terrible desbatteurs d’estrade, il semblait àMlle de Souvigny que la baronne était enrelation avec des émissaires à mines bien farouches. Le moinssuspect avait le visage patibulaire d’un homme que, la veille, onaurait décroché de la potence.

– Pourquoi tous ces gens-là ? disaitMlle de Souvigny ; je n’en vois pas unque je n’aie le frisson.

– Ils n’ont pas la figure des séraphins,j’en conviens, répondaitMlle de Pardaillan ; mais siMme d’Igomer a besoin de coureurs adroits pours’assurer des routes libres, penses-tu que les saints et les angess’accommoderaient de ce métier ?

Il arriva un instant où l’écuyer, quirépondait des deux cousines sur sa vie, n’eut plus autour de luique quatre ou cinq hommes valides. Il en fit part à samaîtresse.

– Il est de mon devoir de déclarer,ajouta-t-il, qu’à présent vous êtes entièrement à la discrétion deMme la baronne d’Igomer. Si quelque danger que jene prévois pas survenait, je puis mourir, mais non vous sauver.

Mlle de Pardaillanconnaissait l’écuyer de longue date et le savait un homme résoluqui ne s’émouvait pas facilement ; en l’entendant parlerainsi, elle eut un léger frisson.

– Sérieusement, craignez-vous quelquechose ? dit-elle.

– Rien de positif encore ne m’autorisemême à penser que la baronne qui vous a offert une si magnifiquehospitalité soit animée contre vous etMlle de Souvigny de sentiments hostiles ;mais nous sommes loin de toute garnison suédoise, et nous voyageonsdans un pays où les figures suspectes naissent sous les pieds deschevaux.

– Et nous tournons toujours le dos à lagrande Ourse, ajouta Adrienne.

Mme d’Igomer surprit les deuxcousines en ce moment. Elle avait le visage radieux.

– J’ai de bonnes nouvelles, dit-elle enembrassant Diane, la route est libre, nous pouvons quitter lechemin de traverse et pousser vers Stralsund directement. Je nevous quitterai que lorsque nous toucherons au but du voyage ;mais quelle tristesse alors !

Diane lui rendit son baiser.

– Eh bien ! dit-elle tout bas en setournant vers Adrienne, que penses-tu de tes folles terreurs ?Me parleras-tu encore de la grande Ourse ?

Sur ces entrefaites, un courrier dont lecheval, blanc d’écume et tout tremblant sur ses jarrets, semblaitavoir fourni une longue traite, entra dans l’hôtellerie.Mme d’Igomer quitta précipitamment les deuxcousines et courut le recevoir.

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