Chapitre 23
Évariste Gamelin était las et ne pouvait se reposer; vingt foisdans la nuit, il se réveillait en sursaut d’un sommeil plein decauchemars. C’était seulement dans la chambre bleue, entre les brasd’Élodie, qu’il pouvait dormir quelques heures. Il parlait etcriait en dormant et la réveillait; mais elle ne pouvait comprendreses paroles.
Un matin, après une nuit où il avait vu les Euménides, il seréveilla brisé d’épouvante et faible comme un enfant. L’aubetraversait les rideaux de la chambre de ses flèches livides. Lescheveux d’Évariste, mêlés sur son front, lui couvraient les yeuxd’un voile noir. Élodie, au chevet du lit, écartait doucement lesmèches farouches. Elle le regardait, cette fois, avec une tendressede sœur et, de son mouchoir, essuyait la sueur glacée sur le frontdu malheureux. Alors il se rappela cette belle scène de l’Orested’Euripide, dont il avait ébauché un tableau qui, s’il avait pul’achever, aurait été son chef-d’œuvre la scène où la malheureuseÉlectre essuie l’écume qui souille la bouche de son frère. Et ilcroyait entendre aussi Élodie dire d’une voix douce « Écoute-moi,mon frère chéri, pendant que les Furies te laissent maître de taraison. »
Et il songeait:
« Et pourtant, je ne suis point parricide. Au contraire, c’estpar piété filiale que j’ai versé le sang impur des ennemis de mapatrie. »