Les Dieux ont soif

Chapitre 7

 

 

Usant d’une très vieille façon de dire, la citoyenne veuveGamelin l’avait annoncé « A force de manger des châtaignes, nousdeviendrons châtaignes ». Ce jour-là, 13 juillet, elle et son filsavaient dîné, à midi, d’une bouillie de châtaignes. Comme ilsachevaient cet austère repas, une dame poussa la porte et emplitsoudain l’atelier de son éclat et de ses parfums. Évariste reconnutla citoyenne Rochemaure. Croyant qu’elle se trompait de porte etcherchait le citoyen Brotteaux, son ami d’autrefois, il pensaitdéjà lui indiquer le grenier du ci-devant ou appeler Brotteaux,pour épargner à une femme élégante de grimper par une échelle demeunier; mais il parut dès l’abord que c’était au citoyen ÉvaristeGamelin qu’elle avait affaire, car elle se déclara heureuse de lerencontrer et de se dire sa servante.

Ils n’étaient point tout à fait étrangers l’un à l’autre ilss’étaient vus plusieurs fois dans l’atelier de David, dans unetribune de l’assemblée, aux Jacobins, chez le restaurateur Vénua;elle l’avait remarqué pour sa beauté, sa jeunesse, son airintéressant.

Portant un chapeau enrubanné comme un mirliton et empanachécomme le couvre-chef d’un représentant en mission, la citoyenneRochemaure était emperruquée, fardée, mouchetée, musquée, la chairfraîche encore sous tant d’apprêts ces artifices violents de lamode trahissaient la hâte de vivre et la fièvre de ces joursterribles aux lendemains incertains. Son corsage à grands revers età grandes basques, tout reluisant d’énormes boutons d’acier, étaitrouge sang, et l’on ne pouvait discerner, tant elle se montrait àla fois aristocrate et révolutionnaire, si elle portait lescouleurs des victimes ou celles du bourreau. Un jeune militaire, undragon, l’accompagnait.

La longue canne de nacre à la main, grande, belle, ample, lapoitrine généreuse, elle fit le tour de l’atelier, et, approchantde ses yeux gris son lorgnon d’or à deux branches, elle examina lestoiles du peintre, souriant, se récriant, portée à l’admiration parla beauté de l’artiste, et flattant pour être flattée.

– Qu’est-ce, demanda la citoyenne, que ce tableau si noble et sitouchant d’une femme douce et belle près d’un jeunemalade?

Gamelin répondit qu’il fallait y voir Oreste veillé par Électresa sœur, et que, s’il l’avait pu achever, ce serait peut-être sonmoins mauvais ouvrage.

– Le sujet, ajouta-t-il, est tiré de l’Oreste d’Euripide.J’avais lu, dans une traduction déjà ancienne de cette tragédie,une scène qui m’avait frappé d’admiration: celle où la jeuneÉlectre, soulevant son frère sur son lit de douleur, essuie l’écumequi lui souille la bouche, écarte de ses yeux les cheveux quil’aveuglent et prie ce frère chéri d’écouter ce qu’elle lui va diredans le silence des Furies. En lisant et relisant cette traduction,je sentais comme un brouillard qui me voilait les formes grecqueset que je ne pouvais dissiper. Je m’imaginais le texte originalplus nerveux et d’un autre accent. Éprouvant un vif désir de m’enfaire une idée exacte, j’allai prier M. Gail, qui professait alorsle grec au Collège de France (c’était en 91), de m’expliquer cettescène mot à mot. Il me l’expliqua comme je le lui demandais et jem’aperçus que les anciens sont beaucoup plus simples et plusfamiliers qu’on ne se l’imagine. Ainsi, Électre dit à Oreste « Frèrechéri, que ton sommeil m’a causé de joie! Veux-tu que je t’aide àte soulever? » Et Oreste répond « Oui, aide-moi, prends-moi, etessuie ces restes d’écume attachés autour de ma bouche et de mesyeux. Mets ta poitrine contre la mienne et écarte de mon visage machevelure emmêlée car elle me cache les yeux…  » Tout plein de cettepoésie si jeune et si vive, de ces expressions naïves et fortes,j’esquissai le tableau que vous voyez, citoyenne.

Le peintre, qui, d’ordinaire, parlait si discrètement de sesœuvres, ne tarissait pas sur celle-là. Encouragé par un signe quelui fit la citoyenne Rochemaure en soulevant son lorgnon, ilpoursuivit

– Hennequin a traité en maître les fureurs d’Oreste. Mais Orestenous émeut encore plus dans sa tristesse que dans ses fureurs.Quelle destinée que la sienne! C’est par piété filiale, parobéissance à des ordres sacrés qu’il a commis ce crime dont lesDieux doivent l’absoudre, mais que les hommes ne pardonnerontjamais. Pour venger la justice outragée, il a renié la nature, ils’est fait inhumain, il s’est arraché les entrailles. Il reste fiersous le poids de son horrible et vertueux forfait. C’est ce quej’aurais voulu montrer dans ce groupe du frère et de lasœur.

Il s’approcha de la toile et la regarda aveccomplaisance.

– Certaines parties, dit-il, sont à peu près terminées; la têteet le bras d’Oreste, par exemple.

– C’est un morceau admirable. Et Oreste vous ressemble, citoyenGamelin.

– Vous trouvez? fit le peintre avec un sourire grave.

Elle prit la chaise que Gamelin lui tendait. Le jeune dragon setint debout à son côté, la main sur le dossier de la chaise où elleétait assise. A quoi l’on pouvait voir que la Révolution étaitaccomplie, car, sous l’ancien régime, un homme n’eût jamais, encompagnie, touché seulement du doigt le siège où se trouvait unedame, formé par l’éducation aux contraintes, parfois assez rudes,de la politesse, estimant d’ailleurs que la retenue gardée dans lasociété donne un prix singulier à l’abandon secret et que, pourperdre le respect, il fallait l’avoir.

Louise Masché de Rochemaure, fille d’un lieutenant des chassesdu roi, veuve d’un procureur et, durant vingt ans, fidèle amie dufinancier Brotteaux des Ilettes, avait adhéré aux principesnouveaux. On l’avait vue, en juillet 1790, bêcher la terre du Champde Mars. Son penchant décidé pour les puissances l’avait portéefacilement des feuillants aux girondins et aux montagnards, tandisqu’un esprit de conciliation, une ardeur d’embrassement et uncertain génie d’intrigue l’attachaient encore aux aristocrates etaux contre-révolutionnaires. C’était une personne très répandue,fréquentant guinguettes, théâtres, traiteurs à la mode, tripots,salons, bureaux de journaux, antichambres de comités. La Révolutionlui apportait nouveautés, divertissements, sourires, joies,affaires, entreprises fructueuses. Nouant des intrigues politiqueset galantes, jouant de la harpe, dessinant des paysages, chantantdes romances, dansant des danses grecques, donnant à souper,recevant de jolies femmes, comme la comtesse de Beaufort etl’actrice Descoings, tenant toute la nuit table de trente et un etde biribi et faisant rouler la rouge et la noire, elle trouvaitencore le temps d’être pitoyable à ses amis. Curieuse, agissante,brouillonne, frivole, connaissant les hommes, ignorant les foules,aussi étrangère aux opinions qu’elle partageait qu’à celles qu’illui fallait répudier, ne comprenant absolument rien à ce qui sepassait en France, elle se montrait entreprenante, hardie et toutepleine d’audace par ignorance du danger et par une confianceillimitée dans le pouvoir de ses charmes.

Le militaire qui l’accompagnait était dans la fleur de lajeunesse. Un casque de cuivre garni d’une peau de panthère, et lacrête ornée de chenille ponceau, ombrageait sa tête de chérubin etrépandait sur son dos une longue et terrible crinière. Sa vesterouge, en façon de brassière, se gardait de descendre jusqu’auxreins pour n’en pas cacher l’élégante cambrure. Il portait à laceinture un énorme sabre, dont la poignée en bec d’aigleresplendissait. Une culotte à pont, d’un bleu tendre, moulait lesmuscles élégants de ses jambes, et des soutaches d’un bleu sombredessinaient leurs riches arabesques sur ses cuisses. Il avait l’aird’un danseur costumé pour quelque rôle martial et galant, dansAchille à Scyros ou les Noces d’Alexandre, par un élève de Davidattentif à serrer la forme.

Gamelin se rappelait confusément l’avoir déjà vu. C’était eneffet le militaire qu’il avait rencontré, quinze jours auparavant,haranguant le peuple sur les galeries du Théâtre de laNation.

La citoyenne Rochemaure le nomma:

– Le citoyen Henry, membre du Comité révolutionnaire de lasection des Droits de l’Homme.

Elle l’avait toujours dans ses jupes, miroir d’amour etcertificat vivant de civisme.

La citoyenne félicita Gamelin de ses talents et lui demanda s’ilne consentirait pas à dessiner une carte pour une marchande demodes à qui elle s’intéressait. Il y traiterait un sujet appropriéune femme essayant une écharpe devant une psyché, par exemple, ouune jeune ouvrière portant sous son bras un carton àchapeau.

Comme capables d’exécuter un petit ouvrage de ce genre, on luiavait parlé du fils Fragonard, du jeune Ducis et aussi d’un nomméPrudhomme; mais elle préférait s’adresser au citoyen ÉvaristeGamelin. Toutefois elle n’en vint, sur cet article, à rien deprécis, et l’on sentait qu’elle avait mis cette commande en avantuniquement pour engager la conversation. En effet, elle était venuepour tout autre chose. Elle réclamait du citoyen Gamelin un bonoffice sachant qu’il connaissait le citoyen Marat, elle venait luidemander de l’introduire chez l’Ami du peuple, avec qui elledésirait avoir un entretien.

Gamelin répondit qu’il était un trop petit personnage pour laprésenter à Marat, et que, du reste, elle n’avait que taire d’unintroducteur: Marat, bien qu’accablé d’occupations, n’était pasl’homme invisible qu’on avait dit.

Et Gamelin ajouta:

– Il vous recevra, citoyenne, si vous êtes malheureuse car songrand cœur le rend accessible à l’infortune et pitoyable à toutesles souffrances. Il vous recevra si vous avez quelque révélation àlui faire intéressant le salut public il a voué ses jours àdémasquer les traîtres.

La citoyenne Rochemaure répondit qu’elle serait heureuse desaluer en Marat un citoyen illustre, qui avait rendu de grandsservices au pays, qui était capable d’en rendre de plus grandsencore, et qu’elle souhaitait mettre ce législateur en rapport avecdes hommes bien intentionnés, des philanthropes favorisés par lafortune et capables de lui fournir des moyens nouveaux desatisfaire son ardent amour de l’humanité.

– Il est désirable, ajouta-t-elle, de faire coopérer les richesà la prospérité publique.

De vrai, la citoyenne avait promis au banquier Morhardt de lefaire dîner avec Marat.

Morhardt, Suisse comme l’Ami du peuple, avait lié partie avecplusieurs députés à la Convention, Julien (de Toulouse), Delaunay(d’Angers) et l’ex-capucin Chabot pour spéculer sur les actions dela Compagnie des Indes. Le jeu, très simple, consistait à fairetomber ces actions à six cent cinquante livres par des motionsspoliatrices, afin d’en acheter le plus grand nombre possible à ceprix et de les relever ensuite à quatre mille ou cinq mille livrespar des motions rassurantes. Mais Chabot, Julien, Delaunay étaientpercés à jour. On suspectait Lacroix, Fabre d’ÉgIantine et mêmeDanton. L’homme de l’agio, le baron de Batz, cherchait de nouveauxcomplices à la Convention et conseillait au banquier Morhardt devoir Marat.

Cette pensée des agioteurs contre-révolutionnaires n’était pasaussi étrange qu’elle semblait tout d’abord. Toujours ces gens-làs’efforçaient de se liguer avec les puissances du jour, et, par sapopularité, par sa plume, par son caractère, Marat était unepuissance formidable. Les girondins sombraient; les dantonistes,battus par la tempête, ne gouvernaient plus. Robespierre, l’idoledu peuple, était d’une probité jalouse, soupçonneux et ne selaissait point approcher. Il importait de circonvenir Marat, des’assurer sa bienveillance pour le jour où il serait dictateur, ettout présageait qu’il le deviendrait: sa popularité, son ambition,son empressement à recommander les grands moyens. Et peut-être,après tout, que Marat rétablirait l’ordre, les finances, laprospérité. Plusieurs fois il s’était élevé contre les énergumènesqui renchérissaient sur lui de patriotisme; depuis quelque temps,il dénonçait les démagogues presque autant que les modérés. Aprèsavoir excité le peuple à pendre les accapareurs dans leur boutiquepillée, il exhortait les citoyens au calme et à la prudence; ildevenait un homme de gouvernement.

Malgré certains bruits qu’on semait sur lui comme sur tous lesautres hommes de la Révolution, ces écumeurs d’or ne le croyaientpas corruptible, mais ils le savaient vaniteux et crédule; ilsespéraient le gagner par des flatteries et surtout par unefamiliarité condescendante, qu’ils croyaient de leur part la plusséduisante des flatteries. Ils comptaient, grâce à lui, souffler lefroid et le chaud sur toutes les valeurs qu’ils voudraient acheteret revendre, et le pousser à servir leurs intérêts en croyantn’agir que dans l’intérêt public.

Grande appareilleuse, bien qu’elle fut encore dans l’âge desamours, la citoyenne Rochemaure s’était donné la mission de réunirle législateur journaliste au banquier, et sa folle imagination luireprésentait l’homme des caves, aux mains encore rougies du sang deSeptembre, engagé dans le parti des financiers dont elle étaitl’agent, jeté par sa sensibilité même et sa candeur en plein agio,dans ce monde, qu’elle chérissait, d’accapareurs, de fournisseurs,d’émissaires de l’étranger, de croupiers et de femmesgalantes.

Elle insista pour que le citoyen Gamelin la conduisît chez l’Amidu peuple, qui habitait non loin, dans la rue des Cordeliers, prèsde l’église. Après avoir fait un peu de résistance, le peintre cédaau vœu de la citoyenne. Le dragon Henry, invité à se joindre à eux,refusa, alléguant qu’il entendait garder sa liberté, même à l’égarddu citoyen Marat, qui, sans doute, avait rendu des services à laRépublique, mais maintenant faiblissait: n’avait-il pas, dans safeuille, conseillé la résignation au peuple de Paris?

Et le jeune Henry, d’une voix mélodieuse, avec de longs soupirs,déplora la République trahie par ceux en qui elle avait mis sonespoir: Danton repoussant l’idée d’un impôt sur les riches,Robespierre s’opposant à la permanence des sections, Marat dont lesconseils pusillanimes brisaient l’élan des citoyens…

– Oh! s’écria-t-il, que ces hommes paraissent faibles auprès deLeclerc et de Jacques Roux! Roux! Leclerc! vous êtes les vrais amisdu peuple!

Gamelin n’entendit point ces propos, qui l’eussent indigné; ilétait allé dans la pièce voisine passer son habit bleu.

– Vous pouvez être fière de votre fils, dit la citoyenneRochemaure à la citoyenne Gamelin. Il est grand par le talent etpar le caractère.

La citoyenne veuve Gamelin donna, en réponse, un bon témoignagede son fils, sans toutefois s’enorgueillir de lui devant une damede haut parage, car elle avait appris dans son enfance que lepremier devoir des petits est l’humilité envers les grands. Elleétait encline à se plaindre, n’en ayant que trop sujet et trouvantdans ses plaintes un soulagement à ses peines. Elle révélaitabondamment ses maux à ceux qu’elle croyait capables de lessoulager, et madame de Rochemaure lui semblait de ceux-là. Aussi,mettant à profit l’instant favorable, elle conta tout d’une haleinela détresse de la mère et du fils, qui tous deux mouraient de faim.On ne vendait plus de tableaux la Révolution avait tué le commercecomme avec un couteau. Les vivres étaient rares et hors deprix.

Et la bonne dame expédiait ses lamentations avec toute lavolubilité de ses lèvres molles et de sa langue épaisse, afin deles avoir dépêchées toutes quand reparaîtrait son fils, dont lafierté n’eût point approuvé de telles plaintes. Elle s’efforçaitd’émouvoir dans le moins de temps possible une dame qu’elle jugeaitriche et répandue, et de l’intéresser au sort de son enfant. Etelle sentait que la: beauté d’Évariste conspirait avec elle pourattendrir une femme bien née. En effet, la citoyenne Rochemauremontra de la sensibilité elle s’émut à l’idée des souffrancesd’Évariste et de sa mère et rechercha les moyens de les adoucir.Elle ferait acheter les ouvrages du peintre par des hommes richesde ses amis.

– Car, dit-elle en souriant, il y a encore de l’argent enFrance, mais il se cache.

Mieux encore puisque l’art était perdu, elle procurerait àÉvariste un emploi chez Morhardt ou chez les frères Perregaux, ouune place de commis chez un fournisseur aux armées.

Puis elle songea que ce n’était pas cela qu’il fallait à unhomme de ce caractère; et, après un moment de réflexion, elle fitsigne qu’elle avait trouvé:

– Il reste à nommer plusieurs jurés au Tribunal révolutionnaire.Juré, magistrat, voilà ce qui convient à votre fils. Je suis enrelation avec les membres du Comité de Salut public; je connaisRobespierre l’aîné; son frère soupe très souvent chez moi. Je leurparlerai. Je ferai parler à Montané, à Dumas, à Fouquier.

La citoyenne Gamelin, émue et reconnaissante, mit un doigt sursa bouche Évariste rentrait dans l’atelier.

Il descendit avec la citoyenne Rochemaure l’escalier sombre,dont les degrés de bois et de carreaux étaient recouverts d’unecrasse antique.

Sur le Pont-Neuf, où le soleil, déjà bas, allongeait l’ombre dupiédestal qui avait porté le Cheval de Bronze et que pavoisaientmaintenant les couleurs de la nation, une foule d’hommes et defemmes du peuple écoutaient, par petits groupes, des citoyens quiparlaient à voix basse. La foule, consternée, gardait un silencecoupé par intervalles de gémissements et de cris de colère.Beaucoup s’en allaient d’un pas rapide vers la rue de Thionville,ci-devant rue Dauphine; Gamelin, s’étant glissé dans un de cesgroupes, entendit que Marat venait d’être assassiné.

Peu à peu la nouvelle se confirmait et se précisait il avait étéassassiné dans sa baignoire, par une femme venue exprès de Caenpour commettre ce crime.

Certains croyaient qu’elle s’était enfuie; mais la plupartdisaient qu’elle avait été arrêtée.

Ils étaient là, tous, comme un troupeau sans berger. Ilssongeaient

Marat, sensible, humain, bienfaisant, Marat n’est plus là pournous guider, lui qui ne s’est jamais trompé, qui devinait tout, quiosait tout révéler! Que faire, que devenir? Nous avons perdu notreconseiller, notre défenseur, notre ami. Ils savaient d’où venait lecoup, et qui avait dirigé le bras de cette femme. Ilsgémissaient

-Marat a été frappé par les mains criminelles qui veulent nousexterminer. Sa mort est le signal de l’égorgement de tous lespatriotes.

On rapportait diversement les circonstances de cette morttragique et les dernières paroles de la victime; on faisait desquestions sur l’assassin, dont on savait seulement que c’était unejeune femme envoyée par les traîtres fédéralistes. Montrant lesongles et les dents, les citoyennes vouaient la criminelle ausupplice et, trouvant la guillotine trop douce, réclamaient pour cemonstre le fouet, la roue, l’écartèlement, et imaginaient destortures nouvelles.

Des gardes nationaux en armes traînaient à la section un homme àl’air résolu. Ses vêtements étaient en lambeaux des filets de sangcoulaient sur sa face pâle. On l’avait surpris disant que Maratavait mérité son sort en provoquant sans cesse au pillage et aumeurtre. Et ç’avait été à grand-peine que les miliciens l’avaientsoustrait à la fureur populaire. On le désignait du doigt comme uncomplice de l’assassin, et des menaces de mort s’élevaient sur sonpassage.

Gamelin restait stupide de douleur. De maigres larmes séchaientdans ses yeux ardents. A sa douleur filiale se mêlaient unesollicitude patriotique et une piété populaire qui ledéchiraient.

Il songeait:

« Après Le Peltier, après Bourdon, Marat! Je reconnais le sortdes patriotes massacrés au Champ de Mars, à Nancy, à Paris, ilspériront tous. Et il songeait au traître Wimpfen qui naguèreencore, à la tête d’une horde de soixante mille royalistes,marchait sur Paris, et qui, s’il n’avait été arrêté à Vernon parles braves patriotes, eût mis à feu et à sang la ville héroïque etcondamnée.

Et combien de périls encore, combien de projets criminels,combien de trahisons, que la sagesse et la vigilance de Maratpouvaient seules connaître et déjouer Qui saurait après luidénoncer Custine oisif dans le camp de César et refusant dedébloquer Valenciennes, Biron inactif dans la Basse-Vendée,laissant prendre Saumur et assiéger Nantes, Dillon trahissant lapatrie dans l’Argonne?.

Cependant, autour de lui, de moment en moment,, grandissait laclameur sinistre

-Marat est mort; les aristocrates l’ont tué 1

Comme, le cœur gros de douleur, de haine et d’amour, il s’enallait rendre un hommage funèbre au martyr de la. liberté, unevieille paysanne qui portait la coiffe limousine s’approcha de luiet lui demanda si ce monsieur Marat, qui avait été assassiné,n’était pas monsieur le curé Mara, de Saint-Pierre-de-Queyroix.

 

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer