Les Dieux ont soif

Chapitre 19

 

 

Pendant que le Père Longuemare et la fille Athénaïs étaientinterrogés à la section, Brotteaux fut conduit entre deux gendarmesau Luxembourg, où le portier refusa de le recevoir, alléguant qu’iln’avait plus de place. Le vieux traitant fut mené ensuite à laConciergerie et introduit au greffe, pièce assez petite, partagéeen deux par une cloison vitrée. Pendant que le greffier inscrivaitson nom sur les registres d’écrou, Brotteaux vit à travers lescarreaux deux hommes qui, chacun sur un mauvais matelas, gardaientune immobilité de mort et, l’œil fixe, semblaient ne rien voir. Desassiettes, des bouteilles, des restes de pain et de viandecouvraient le sol autour d’eux. C’étaient des condamnés à mort quiattendaient la charrette.

Le ci-devant des Ilettes fut conduit dans un cachot où, à lalueur d’une lanterne, il entrevit deux figures étendues, l’unefarouche, mutilée, hideuse, l’autre gracieuse et douce. Ces deuxprisonniers lui offrirent un peu de leur paille pourrie et pleinede vermine, pour qu’il ne couchât pas sur la terre souilléed’excréments. Brotteaux se laissa choir sur un banc, dans l’ombrepuante, et demeura la tête contre le mur, muet, immobile. Sadouleur était telle qu’il se serait brisé la tête contre le mur,s’il en avait eu la force. Il ne pouvait respirer. Ses yeux sevoilèrent; un long bruit, tranquille comme le silence, envahit sesoreilles, il sentit tout son être baigner dans un néant délicieux.Durant une incomparable seconde, tout lui fut harmonie, clartésereine, parfum, douceur. Puis il cessa d’être.

Quand il revint à lui, la première pensée qui s’empara de sonesprit fut de regretter son évanouissement et, philosophe jusquedans la stupeur du désespoir, il songea qu’il lui avait falludescendre dans un cul de basse-fosse, en attendant la guillotine,pour éprouver la sensation de volupté la plus vive que ses senseussent jamais goûtée. Il s’essayait à perdre de nouveau lesentiment, mais sans y réussir, et, peu à peu, au contraire, ilsentait l’air infect du cachot apporter à ses poumons, avec lachaleur de la vie, la conscience de son intolérablemisère.

Cependant ses deux compagnons tenaient son silence pour unecruelle injure. Brotteaux, qui était sociable, essaya de satisfaireleur curiosité; mais, quand ils apprirent qu’il était ce que l’onappelait un politique un de ceux dont le crime léger était deparole ou de pensée, ils n’éprouvèrent pour lui ni estime nisympathie. Les faits reprochés à ces deux prisonniers avaient plusde solidité: le plus vieux était un assassin, l’autre avaitfabriqué de faux assignats. Ils s’accommodaient tous deux de leurétat et y trouvaient même quelques satisfactions. Brotteaux se prità songer soudain qu’au-dessus de sa tête tout était mouvement,bruit, lumière et vie, et que les jolies marchandes du Palaissouriaient derrière leur étalage de parfumerie, de mercerie, aupassant heureux et libre, et cette idée accrut sondésespoir.

La nuit vint, inaperçue dans l’ombre et le silence du cachot,mais lourde pourtant et lugubre. Une jambe étendue sur son banc etle dos contre la muraille, Brotteaux s’assoupit. Et il se vit assisau pied d’un hêtre touffu, où chantaient les oiseaux; le soleilcouchant couvrait la rivière de flammes liquides et le bord desnuées était teint de pourpre. La nuit se passa. Une fièvre ardentele dévorait et il buvait avidement, à même sa cruche, une eau quiaugmentait son mal.

Le lendemain, le geôlier, qui apporta la soupe, promit àBrotteaux de le mettre à la pistole, moyennant finance, dès qu’ilaurait de la place, ce qui ne tarderait guère. En effet, lesurlendemain, il invita le vieux traitant à sortir de son cachot. Achaque marche qu’il montait, Brotteaux sentait rentrer en lui laforce et la vie, et quand sur le carreau rouge d’une chambre il vitse dresser un lit de sangle recouvert d’une méchante couverture delaine, il pleura de joie. Le lit doré où se becquetaient descolombes, qu’il avait jadis fait faire pour la plus jolie desdanseuses de l’Opéra, ne lui avait pas paru si agréable ni promisde telles délices.

Ce lit de sangle était dans une grande salle, assez propre, quien contenait dix-sept autres, séparés par de hautes planches. Lacompagnie qui habitait là, composée d’ex-nobles, de marchands, debanquiers, d’artisans, ne déplut pas au vieux publicain, quis’accommodait de toutes sortes de personnes. Il observa que ceshommes, privés comme lui de tout plaisir et exposés à périr par lamain du bourreau, montraient de la gaieté et un goût vif pour laplaisanterie. Peu disposé à admirer les hommes, il attribuait labonne humeur de ses compagnons à la légèreté de leur esprit, quiles empêchait de considérer attentivement leur situation. Et il seconfirmait dans cette idée en observant que les plus intelligentsd’entre eux étaient profondément tristes. Il s’aperçut bientôt que,pour la plupart, ils puisaient dans le vin et l’eau-de-vie unegaieté qui prenait à sa source un caractère violent et parfois unpeu fou. Ils n’avaient pas tous du courage; mais tous enmontraient. Brotteaux n’en était pas surpris il savait que leshommes avouent volontiers la cruauté, la colère, l’avarice même,mais jamais la lâcheté, parce que cet aveu les mettrait, chez lessauvages et même dans une société polie, en un danger mortel. C’estpourquoi, songeait-il, tous les peuples sont des peuples de héroset toutes les armées ne sont composées que de braves.

Plus encore que le vin et l’eau-de-vie, le bruit des armes etdes clefs, le grincement des serrures, l’appel des sentinelles, letrépignement des citoyens à la porte du Tribunal enivraient lesprisonniers, leur inspiraient la mélancolie, le délire ou lafureur. Il y en avait qui se coupaient la gorge avec un rasoir ouse jetaient par une fenêtre.

Brotteaux logeait depuis trois jours à la pistole, quand ilapprit, par le porte-clefs, que le Père Longuemare croupissait surla paille pourrie, dans la vermine, avec les voleurs et lesassassins. Il le fit recevoir à la pistole, dans la chambre qu’ilhabitait et où un lit était devenu vacant. S’étant engagé à payerpour le religieux, le vieux publicain, qui n’avait pas sur lui ungrand trésor, s’ingénia à faire des portraits à un écu l’un. Il seprocura, par l’intermédiaire d’un geôlier, de petits cadres noirspour y mettre de menus travaux en cheveux qu’il exécutait assezadroitement. Et ces ouvrages furent très recherchés dans uneréunion d’hommes qui songeaient à laisser des souvenirs.

Le Père Longuemare tenait haut son cœur et son esprit. Enattendant d’être traduit devant le Tribunal révolutionnaire, ilpréparait sa défense. Ne séparant point sa cause de celle del’Église, il se promettait d’exposer à ses juges les désordres etles scandais causés à l’Épouse de Jésus-Christ par la constitutioncivile du clergé; il entreprenait de peindre la fille ainée del’Église faisant au pape une guerre sacrilège, le clergé françaisdépouillé, violenté, odieusement soumis à des laïques; lesréguliers, véritable milice du Christ, spoliés et dispersés. Ilcitait saint Grégoire le Grand et saint Irénée, produisait desarticles nombreux de droit canon et des paragraphes entiers desdécrétales.

Toute la journée, il griffonnait sur ses genoux, au pied de sonlit, trempant des tronçons de plumes usées jusqu’aux barbes dansl’encre, dans la suie, dans le marc de café, couvrant d’uneillisible écriture papiers à chandelle, papiers d’emballage,journaux, gardes de livres, vieilles lettres, vieilles factures,cartes à jouer, et songeant à y employer sa chemise après l’avoirpassée à l’amidon. Il entassait feuille sur feuille, et, montrantl’indéchiffrable barbouillage, il disait :

– Quand je paraîtrai devant mes juges, je les inonderai delumière.

Et, un jour, jetant un regard satisfait sur sa défense sanscesse accrue et pensant à ces magistrats qu’il brûlait deconfondre, il s’écria :

– Je ne voudrais pas être à leur place !

Les prisonniers que le sort avait réunis dans ce cachot étaientou royalistes ou fédéralistes; il s’y trouvait même un jacobin; ilsdifféraient entre eux d’opinion sur la manière de conduire lesaffaires de l’État, mais aucun d’eux ne gardait le moindre reste decroyances chrétiennes. Les feuillants, les constitutionnels, lesgirondins trouvaient, comme Brotteaux, le bon Dieu fort mauvaispour eux-mêmes et excellent pour le peuple. Les jacobinsinstallaient à la place de Jéhovah un dieu jacobin, pour fairedescendre de plus haut le jacobinisme sur le monde; mais, comme ilsne pouvaient concevoir ni les uns ni les autres qu’on fût assezabsurde pour croire à aucune religion révélée, voyant que le PèreLonguemare ne manquait pas d’esprit, ils le prenaient pour unfourbe. Afin, sans doute, de se préparer au martyre, il confessaitsa foi en toute rencontre, et, plus il montrait de sincérité, plusil semblait un imposteur.

En vain Brotteaux se portait garant de la bonne foi dureligieux; Brotteaux passait lui-même pour ne croire qu’une partiede ce qu’il disait. Ses idées étaient trop singulières pour ne pasparaître affectées, et ne contentaient personne entièrement. Ilparlait de Jean-Jacques comme d’un plat coquin. Par contre, ilmettait Voltaire au rang des hommes divins, sans toutefois l’égalerà l’aimable Helvétius, à Diderot, au baron d’Holbach. A son sens,le plus grand génie du siècle était Boulanger. Il estimait beaucoupaussi l’astronome Lalande et Dupuis, auteur d’un Mémoire surl’origine des constellations. Les hommes d’esprit de la chambréefaisaient au pauvre barnabite mille plaisanteries dont il nes’apercevait jamais: sa candeur déjouait tous les pièges.

Pour écarter les soucis qui les rongeaient et échapper auxtourments de l’oisiveté, les prisonniers jouaient aux dames, auxcartes et au trictrac. Il n’était permis d’avoir aucun instrumentde musique. Après souper, on chantait, on récitait des vers. LaPucelle de Voltaire mettait un peu de gaieté au cœur de cesmalheureux, qui ne se lassaient pas d’en entendre les bonsendroits. Mais, ne pouvant se distraire de la pensée affreuseplantée au milieu de leur cœur, ils essayaient parfois d’en faireun amusement et, dans la chambre des dix-huit lits, avant des’endormir, ils jouaient au Tribunal révolutionnaire. Les rôlesétaient distribués selon les goûts et les aptitudes. Les unsreprésentaient les juges et l’accusateur; d’autres, les accusés oules témoins, d’autres le bourreau et ses valets. Les procèsfinissaient invariablement par l’exécution des condamnés, qu’onétendait sur un lit, le cou sous une planche. La scène étaittransportée ensuite dans les enfers. Les plus agiles de la troupe,enveloppés dans des draps, faisaient des spectres. Et un jeuneavocat de Bordeaux, nommé Dubosc, petit, noir, borgne, bossu,bancal, le Diable boiteux en personne, venait, tout encorné, tirerle Père Longuemare, par les pieds, hors de son lit, lui annonçantqu’il était condamné aux flammes éternelles et damné sans rémissionpour avoir fait du créateur de l’univers un être envieux, sot etméchant, un ennemi de la joie et de l’amour.

– Ah! ah! ah! criait horriblement ce diable, tu as enseigné,vieux bonze, que Dieu se plaît à voir ses créatures languir dans lapénitence et s’abstenir de ses dons les plus chers. Imposteur,hypocrite, cafard, assieds-toi sur des clous et mange des coquillesd’œufs pour l’éternité!

Le Père Longuemare se contentait de répondre que, dans cediscours, le philosophe perçait sous le diable et que le moindredémon de l’enfer eût dit moins de sottises, étant un peu frotté dethéologie et certes moins ignorant qu’un encyclopédiste.

Mais, quand l’avocat girondin l’appelait capucin, il se fâchaittout rouge et disait qu’un homme incapable de distinguer unbarnabite d’un franciscain ne saurait pas voir une mouche dans dulait.

Le Tribunal révolutionnaire vidait les prisons, que les comitésremplissaient sans relâche en trois mois la chambre des dix-huitfut à moitié renouvelée. Le Père Longuemare perdit son diablotin.L’avocat Dubosc, traduit devant le Tribunal révolutionnaire, futcondamné à mort comme fédéraliste et pour avoir conspiré contrel’unité de la République. Au sortir du Tribunal, il repassa, commetous les autres condamnés, par un corridor qui traversait la prisonet donnait sur la chambre qu’il avait animée trois mois de sagaieté. En faisant ses adieux à ses compagnons, il garda le tonléger et l’air joyeux qui lui étaient habituels.

– Excusez-moi, monsieur, dit-il au Père Longuemare, de vousavoir tiré par les pieds dans votre lit. Je n’y reviendraiplus.

Et, se tournant vers le vieux Brotteaux :

– Adieu, je vous précède dans le néant. Je livre volontiers à lanature les éléments qui me composent, en souhaitant qu’elle enfasse, à l’avenir, un meilleur usage, car il faut reconnaîtrequ’elle m’avait fort mal réussi.

Et il descendit au greffe, laissant Brotteaux affligé et le PèreLonguemare tremblant et vert comme la feuille, plus mort que vif devoir l’impie rire au bord de l’abîme.

Quand germinal ramena les jours clairs, Brotteaux, qui étaitvoluptueux, descendit plusieurs fois par jour dans la cour quidonnait sur le quartier des femmes, près de la fontaine où lescaptives venaient, le matin, laver leur linge. Une grille séparaitles deux quartiers; mais les barreaux n’en étaient pas assezrapprochés pour empêcher les mains de se joindre et les bouches des’unir. Sous la nuit indulgente, des couples s’y pressaient. AlorsBrotteaux, discrètement se réfugiait dans l’escalier et, assis surune marche, tirait de la poche de sa redingote puce son petitLucrèce, et lisait, à la lueur d’une lanterne, quelques maximessévèrement consolatrices Sic ubi non erimus. Quand nous auronscessé de vivre, rien ne pourra nous émouvoir, non pas même le ciel,la terre et la mer confondant leurs débris. Mais, tout en jouissantde sa haute sagesse, Brotteaux enviait au barnabite cette folie quilui cachait l’univers.

La terreur, de mois en mois, grandissait. Chaque nuit, lesgeôliers ivres, accompagnés de leurs chiens de garde, allaient decachot en cachot, portant des actes d’accusation, hurlant des nomsqu’ils estropiaient, réveillaient les prisonniers et pour vingtvictimes désignées en épouvantaient deux cents. Dans ces corridors,pleins d’ombres sanglantes, passaient chaque jour, sans uneplainte, vingt, trente, cinquante condamnés, vieillards, femmes,adolescents, et si divers de condition, de caractère, de sentiment,qu’on se demandait s’ils n’avaient pas été tirés au sort.

Et l’on jouait aux cartes, on buvait du vin de Bourgogne, onfaisait des projets, on avait des rendez-vous, la nuit, à lagrille. La société, presque entièrement renouvelée, étaitmaintenant composée en grande partie d’ exagérés et d’ enragés.Toutefois la chambre des dix-huit lits demeurait encore le séjourde l’élégance et du bon ton, hors deux détenus qu’on y avait mis,récemment transférés du Luxembourg à la Conciergerie, et qu’onsuspectait d’être des moutons c’est-à-dire des espions, lescitoyens Navette et Bellier, il ne s’y trouvait que d’honnêtesgens, se témoignaient une confiance réciproque. On y célébrait, lacoupe à la main, les victoires de la République. Il s’y rencontraitplusieurs poètes, comme il s’en voit dans toute réunion d’hommesoisifs. Les plus habiles d’entre eux composaient des odes sur lestriomphes de l’armée du Rhin et les récitaient avec emphase. Ilsétaient bruyamment applaudis. Brotteaux seul louait mollement lesvainqueurs et leurs chantres.

– C’est, depuis Homère, une étrange manie des poètes, dit-il unjour, que de célébrer les militaires. La guerre n’est point un art,et le hasard décide seul du sort des batailles. De deux généraux enprésence, tous deux stupides, il faut nécessairement que l’un d’euxsoit victorieux. Attendez-vous à ce qu’un jour un de ces porteursd’épée que vous divinisez vous avale tous comme la grue de la fableavale les grenouilles. C’est alors qu’il sera vraiment dieu. Carles dieux se connaissent à l’appétit.

Brotteaux n’avait jamais été touché par la gloire des armes. Ilne se réjouissait nullement des triomphes de la République, qu’ilavait prévus. Il n’aimait point le nouveau régime qu’affermissaitla victoire. Il était mécontent. On l’eût été à moins.

Un matin, on annonça que les commissaires du Comité de sûretégénérale feraient des perquisitions chez les détenus, qu’onsaisirait assignats, objets d’or et d’argent, couteaux, ciseaux,que de telles recherches avaient été faites au Luxembourg et qu’onavait enlevé lettres, papiers, livres.

Chacun alors s’ingénia à trouver quelque cachette où mettre cequ’il avait de plus précieux. Le Père Longuemare porta, parbrassées, sa défense dans une gouttière. Brotteaux coula sonLucrèce dans les cendres de là cheminée.

Quand les commissaires, ayant au cou des rubans tricolores,vinrent opérer leurs saisies, ils ne trouvèrent guère que ce qu’onavait jugé convenable de leur laisser. Après leur départ, le PèreLonguemare courut à sa gouttière et recueillit de sa défense ce quel’eau et le vent en avaient laissé. Brotteaux retira de la cheminéeson Lucrèce tout noir de suie.

« Jouissons de l’heure présente, songea-t-il, car j’augure àcertains signes que le temps nous est désormais étroitement mesuré.»

Par une douce nuit de prairial, tandis qu’au-dessus du préau lalune montrait dans le ciel pâli ses deux cornes d’argent, le vieuxtraitant qui, à sa coutume, lisait Lucrèce sur un degré del’escalier de pierre, entendit une voix l’appeler, une voix defemme, une voix délicieuse, qu’il ne reconnaissait pas. Ildescendit dans la cour et vit derrière la grille une forme qu’il nereconnaissait pas plus que la voix et qui lui rappelait, par sescontours indistincts et charmants, toutes les femmes qu’il avaitaimées. Le ciel la baignait d’azur et d’argent. Brotteaux reconnutsoudain la jolie comédienne de la rue Feydeau, RoseThévenin.

– Vous ici, mon enfant ! La joie de vous y voir m’estcruelle. Depuis quand et pourquoi êtes-vous ici?

– Depuis hier.

Et elle ajouta très bas :

– J’ai été dénoncée comme royaliste. On m’accuse d’avoirconspiré pour délivrer la reine. Comme je vous savais ici, j’aitout de suite cherché à vous voir. Écoutez-moi, mon ami. car vousvoulez bien que je vous donne ce nom? Je connais des gens en place;j’ai, je le sais, des sympathies jusque dans le Comité de salutpublic. Je ferai agir mes amis ils me délivreront, et je vousdélivrerai à mon tour.

Mais Brotteaux, d’une voix qui se fit pressante :

– Par tout ce que vous avez de cher, mon enfant, n’en faitesrien! N’écrivez pas, ne sollicitez pas; ne demandez rien àpersonne, je vous en conjure, faites-vous oublier.

Comme elle ne semblait pas pénétrée de ce qu’il disait, il sefit plus suppliant encore :

– Gardez le silence, Rose, faites-vous oublier, là est le salut.Tout ce que vos amis tenteraient ne ferait que hâter votre perte.Gagnez du temps. Il en faut peu, très peu, j’espère, pour voussauver. Surtout n’essayez pas d’émouvoir les juges, les jurés, unGamelin. Ce ne sont pas des hommes, ce sont des choses: on nes’explique pas avec les choses. Faites-vous oublier. Si vous suivezmon conseil, mon amie, je mourrai heureux de vous avoir sauvé lavie.

Elle répondit :

– Je vous obéirai. Ne parlez pas de mourir.

Il haussa les épaules :

– Ma vie est finie, mon enfant. Vivez et soyezheureuse.

Elle lui prit les mains et les mit sur son sein :

– Écoutez-moi, mon ami. Je ne vous ai vu qu’un jour et pourtantvous ne m’êtes point indifférent. Et si ce que je vais vous direpeut vous rattacher à la vie, croyez-le je serai pour vous…tout ceque vous voudrez que je sois.

Et ils se donnèrent un baiser sur la bouche à travers la grille.

 

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