Les Paysans

Chapitre 8Vertus champêtres

A la nuit, Marie Tonsard était vers Soulanges, assise sur lamarge d’un pontceau de la route, attendant Bonnébault, qui avaitpassé, suivant son habitude, la journée au café. Elle l’entendit deloin, et son pas lui indiqua qu’il était ivre et qu’il avait perdu,car il chantait quand il avait gagné.

– Est-ce toi, Jacques ?

– Oui, petite… ..

– Qu’as-tu ?

– Je dois vingt-cinq francs, et l’on me torderait bienvingt-cinq fois le cou avant que je les trouve.

– Eh bien, nous pourrons en avoir cinquante, lui dit-elle àl’oreille.

– Oh ! il s’agit de tuer quelqu’un ; mais je veuxvivre… ..

– Eh non, Vaudoyer nous les donne, si tu fais prendre ta mère àun arbre.

– J’aime mieux tuer un homme que de vendre ma mère. Toi, tu asta grand’mère, la Tonsard, pourquoi ne la livres-tu pas ?….

– Si ça se faisait, mon père empêcherait les farces !

– C’est vrai : c’est égal ; ma mère n’ira pas enprison ; pauvre vieille ! elle me cuit mon pain, elle metrouve des hardes, et cela pour moi… Aller en prison ; jen’aurais point de coeur ! Et de peur qu’on ne la vende, je vaslui dire ce soir de ne pas cercler les arbres…

– Hé bien, mon père fera ce qu’il voudra, je lui dirai qu’il y acinq cents francs à gagner, et il demandera à ma grand’mère si ellele veut. C’est qu’on ne mettra jamais une femme de soixante-dix ansen prison ! D’ailleurs, elle y sera mieux que dans songrenier.

– Cinq cents francs ! J’en parlerai à ma mère, ditBonnébault ; au fait, si ça l’arrange de me les donner, je luien laisserai quelque chose pour vivre en prison ; elle filera,elle s’amusera, elle n’aura pas plus de soucis qu’à Couches.Acteurs [ Acteurs : mauvaise lecture probable pour adieu (N.d.E.)], à demain.

Le lendemain, à cinq heures du matin, au petit jour, Bonnébaultet sa mère frappaient à la porte du Grand-I-Vert, où la vieillemère Tonsard seule, était levée.

– Marie ? cria Bonnébault, l’affaire est faite.

– Est-ce l’affaire d’hier pour les arbres, dit la vieilleTonsard ; c’est moi qui la prends.

– Mon garçon a promesse d’un arpent pour ce prix-là, de monsieurRigou… ..

Les deux vieilles se disputèrent à qui serait vendue par sesenfants. Au bruit de la querelle, la maison s’éveilla. Tonsard etBonnébault prirent chacun parti pour leurs mères.

– Tirez à la courte paille, dit madame Tonsard.

La courte paille décida pour le cabaret. Trois jours après, aupoint du jour, les gendarmes emmenèrent, du fond de la forêt àLa-Ville-aux-Fayes, la vieille Tonsard surprise en flagrant délit,par les gardes et le garde-champêtre, avec une mauvaise lime quiservait à déchirer l’arbre et un chasse-clou avec lequel lesdélinquants lissaient cette hachure annulaire, comme l’insectelisse son chemin. On constata dans le procès-verbal, l’existence decette perfide opération sur soixante arbres, dans un rayon de cinqcents pas. La vieille Tonsard fut transférée à Auxerre ; lecas était de la juridiction de la cour d’assises.

Quand Michaud vit au pied de l’arbre la vieille Tonsard, il neput s’empêcher de dire :

– Voilà les gens sur qui monsieur et madame la comtesse versentleurs bienfaits !… Ma foi ! s’il m’écoutait, il nedonnerait point de dot à la petite Tonsard, elle vaut encore moinsque sa grand’mère…

La vieille leva vers Michaud ses yeux gris et lui lança unregard de vipère. En effet, en apprenant quel était l’auteur de cecrime, le comte défendit à sa femme de rien donner à CatherineTonsard.

– Monsieur le comte fera d’autant mieux, dit Sibilet, que j’aisu que le champ que Godain a acheté, c’était trois jours avant queCatherine vînt parler à madame. Ainsi ces deux gens-là avaientcompté sur l’effet de cette scène et sur la compassion de madame.Elle est bien capable, Catherine, de s’être mise dans le cas oùelle était, pour avoir un motif d’avoir la somme, car Godain n’estpour rien dans l’affaire…

– Quelles gens ! dit Blondet, les mauvais sujets de Parissont des saints…

– Ah ! monsieur, dit Sibilet, l’intérêt fait commettre deshorreurs partout. Savez-vous qui a trahi la Tonsard ?

– Non !

– Sa (petite-)fille Marie ; elle était jalouse du mariagede sa soeur, et pour s’établir…

– C’est épouvantable ! dit le comte ; mais ilsassassineraient donc pour…

– Oh ! dit Sibilet, pour peu de chose ; ils tiennentsi peu à la vie, ces gens-là ; ils s’ennuient de toujourstravailler. Oh ! monsieur il ne se passe pas, au fond descampagnes, des choses plus belles que dans Paris ; mais vousne le croiriez pas.

– Soyez donc bons et bienfaisants ! dit la comtesse.

Le soir de l’arrestation, Bonnébault vint au cabaret duGrand-I-Vert, où toute la famille était joyeuse.

– Oui, oui, réjouissez-vous, dit-il, je viens d’apprendre parVaudoyer, que pour vous punir, la comtesse retire les mille francspromis à la Godain ; son mari ne veut pas.

– C’est Michaud qui le lui a conseillé, dit Tonsard, ma mère l’aentendu, elle me l’a dit à La-Ville-aux-Fayes, où je suis allé luidonner de l’argent et toutes ses affaires. – Eh bien, qu’elle neles donne pas ; nos cinq cents francs aideront la Godain àpayer, et je me vengerai de ça, nous deux Godain… Ah ! Michaudse mêle de nos petites affaires ! Qu’est-ce que ça luifait ? ça (se) passe-t-il dans son bois ? C’est luiqu’est l’auteur de tout ce tapage-là ; c’est lui qu’adécouvert la mèche, le jour où ma mère a coupé le sifflet à sonchien. Et si je me mêlais des affaires du château, moi ! si jedisais au général que sa femme se promène le matin dans les boisavec un jeune homme, sans craindre la rosée ; faut avoir lespieds chauds pour ça…

– Le général, le général, dit Courtecuisse, on en ferait tout cequ’on voudrait, mais c’est Michaud qui lui monte la tête… unfaiseur d’embarras, il ne sait rien de son métier.

– Le fait est, dit Vaudoyer, que si Michaud n’y était plus nousserions tranquilles.

– Assez causé, dit Tonsard, nous parlerons de cela plus tard, auclair de lune, en plein champ.

Vers la fin d’octobre, la comtesse partit et laissa le généralseul pour une quinzaine ; elle ne voulait pas perdre lesreprésentations du théâtre italien, elle était d’ailleurs seuledepuis un mois, elle n’avait plus la société d’Emile qui l’aidait àpasser les moments où le général courait la campagne et allait àses affaires.

Novembre fut un vrai mois d’hiver, sombre et gris, entrecoupé defroids et de dégels, de neige et de pluie. L’affaire de la vieilleTonsard avait nécessité le voyage des témoins, et Michaud étaitallé déposer. Monsieur Rigou s’était intéressé à cette vieillefemme, il lui avait donné un avocat qui s’appuya de l’absence detout témoin autre que les intéressés ; mais les témoignages deMichaud et de ses gardes corroborés de ceux du garde-champêtre etde deux des gendarmes décidèrent la question ; la mère deTonsard fut condamnée à cinq ans de prison, et l’avocat dit àTonsard fils :

– C’est la déposition de Michaud qui nous vaut ça !

Mais ce qui influa le plus, fut la récidive et la méchancetépréméditée, attestée par les outils.

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