L’Iliade et l’Odyssée

L’Iliade – Scène 14 : Le rachatd’Hector

Achille continuait de pleurer son amiPatrocle. Chaque jour à l’aube, après une nuit d’insomnie, ilattelait ses chevaux à son char. Trois fois de suite, il traînaitle corps d’Hector autour du tertre de Patrocle, puis le laissaitétendu, le front dans la poussière.

Apollon cependant préservait le corps de toutedégradation, et beaucoup parmi les dieux prenaient Hector en pitié.Seules Héra et Athéna ne voulaient pas pardonner à Troie et à lafamille de Priam, à cause du choix fatal que Pâris avait fait.

Mais quand vint le douzième jour, Apollondemanda avec insistance qu’on fît quelque chose pour Hector.

Aussi, Zeus envoya-t-il un message à Achille,par l’intermédiaire de sa mère Thétis : qu’il accepte larançon du cadavre, quand Priam la lui offrirait.

Entre temps, Zeus envoya Iris vers Priam.Quand le roi entendit à son oreille la voix de la déesse, iltrembla de crainte. Mais il n’hésita pas. Il ordonna immédiatementà ses fils d’équiper un chariot à mules, et d’attacher dessus unecorbeille. Il alla lui-même dans la chambre haute, en bois decèdre, qui contenait maints objets précieux.

Il prit dans ses coffres douze belles robes,douze manteaux, autant de tapis, de châles et de tuniques. Il pritdix lingots d’or, deux trépieds luisants, quatre chaudrons et unecoupe magnifique.

Puis il pressa ses fils de charger sur lechariot l’immense rançon d’Hector.

À ce moment, la reine Hécube apporta du vindans une coupe d’or pour faire une libation à Zeus. En réponse,Zeus envoya son aigle : l’oiseau, heureux présage, apparut surla droite.

Aussitôt Priam monta sur son char à chevaux etle poussa dans la plaine. Devant lui, un guerrier troyen conduisaitle chariot à mules. Quand ils s’arrêtèrent pour faire boire muleset chevaux dans le fleuve, Zeus envoya Hermès, sous les traits d’unjeune prince : le dieu les conduisit, sans que personne lesaperçût, à la baraque d’Achille.

Puis Hermès s’en retourna vers l’Olympe,tandis que Priam entrait dans la maison. Achille était assis avecdeux serviteurs.

Priam lui saisit les genoux et lui baisa lesmains – ces mains qui avaient tué tant de ses fils. Achille et seshommes se regardèrent, stupéfaits.

Priam se mit alors à supplier Achille. Ilrappela au héros le souvenir de son vieux père. Achille tout émuécarta doucement le vieillard, puis les deux hommes éclatèrent ensanglots. Priam, prostré aux pieds d’Achille, pleurait Hector.Achille pleurait tantôt son père, et tantôt Patrocle.

Quand il eut bien pleuré, Achille prit levieillard par la main et le releva.

« Malheureux, dit-il, que de maux tu asendurés ! Et quel courage tu as de venir ainsi, tout seul, aucamp des Grecs ! Console-toi : je vais te rendre tonfils. »

Achille fit enlever du chariot l’immenserançon d’Hector. Il ordonna aux servantes de laver le corps, del’oindre et de l’envelopper, en plus de la tunique, d’une bellepièce de lin. Puis il retourna à sa baraque et dit àPriam :

« Ton fils t’est rendu, comme tu ledemandais. Il est étendu sur un lit. Quand viendra l’aube, tu leverras, en l’emmenant. Pour l’instant, songeons à manger. Plustard, tu pourras encore pleurer ton fils, lorsque tu l’auras ramenéà Troie. »

Achille tua ensuite un mouton blanc. Seshommes l’écorchèrent et le découpèrent ; ils embrochèrent lesmorceaux, et les firent rôtir avec soin. Ils servirent le pain àtable, dans de riches corbeilles, et Achille lui-même partagea laviande.

Bientôt Priam dit à Achille :« Donne-moi maintenant un lit, car depuis que mon fils a perdula vie, je n’ai pas fermé la paupière. Et je n’avais pris, avant cerepas, ni nourriture ni boisson. »

Achille ordonna qu’on mît un lit sous leporche, avec des couvertures de pourpre, des tapis par-dessus, etdes manteaux épais pour s’envelopper. Les servantes apprêtèrent celit à la lueur des torches.

« Et maintenant, dit Achille, combien dejours désires-tu pour les funérailles d’Hector ? Je veux,pendant ce temps, arrêter le combat. »

« Si tu permets que j’accomplisse lesfunérailles d’Hector, je t’en saurai beaucoup de gré, lui réponditPriam. Nous pourrions le pleurer neuf jours ; le dixième, nousl’ensevelirions et ferions le banquet funèbre. Le onzième, nous luiélèverions un tombeau. Et le douzième, nous reprendrons la lutte,s’il le faut. »

« Il en sera comme tu le désires, » luidit Achille, en prenant au poignet la main du vieillard. Puis Priams’étendit pour dormir.

Tandis que tous les autres – dieux et hommes –étaient endormis, Hermès vint dire à Priam de se lever et de s’enaller avant l’aube. Priam s’éveilla et fit lever son compagnon.Hermès les conduisit lui-même à travers le camp, puis il lesquitta, et ils se dirigèrent vers la ville, tandis que l’Aurore enrobe de safran s’épandait sur toute la terre.

Cassandre, fille de Priam, fut la première àreconnaître le vieillard. Elle était montée en haut de la citadelleet de là elle vit son père, debout sur son char, et Hector, étendusur le lit que portaient les mules.

« Troyens et Troyennes, s’écria-t-elle,vous qui naguère avez accueilli Hector revenant vivant du combat,venez le voir maintenant. »

Bientôt il ne resta plus dans la ville nihomme ni femme. Ils sortirent tous pour aller rencontrer près desportes celui qui ramenait le mort.

Ils reconduisirent Hector dans son palais, etl’y déposèrent sur un lit ajouré. À ses côtés, ils placèrent deschanteurs qui entonnèrent leur chant funèbre, tandis que les femmesleur répondaient par des sanglots.

Puis ce fut Andromaque qui, aux femmes, donnale signal des plaintes. « O mon époux, tu meurs bien jeune, melaissant veuve en ta maison. Et il est bien petit, notrefils ! Je ne crois pas qu’il arrive à l’âge d’homme,maintenant que tu es mort, toi le défenseur de la ville. »

Hécube, à son tour, se lamenta sur son fils.Hélène aussi pleura Hector, car il était le seul Troyen, hormisPriam, qui ne lui eût jamais adressé un mot de blâme. Et toute laville gémissait à leur suite.

Puis le vieux Priam donna des ordres à sonpeuple. Ils attelèrent des mules et des bœufs à leurs chariots, etpendant neuf jours ils amenèrent de la montagne une énorme quantitéde bois. À l’aube du dixième jour, ils portèrent le corps duvaillant Hector sur le bûcher et y mirent le feu.

Le lendemain, le peuple s’assembla à nouveauautour du bûcher. On éteignit avec du vin les dernières flammes.Puis les frères d’Hector et ses compagnons recueillirent ses blancsossements, les déposèrent dans un coffret d’or, qu’ils recouvrirentde voiles de pourpre. Ils déposèrent tout cela dans une fosseprofonde, qu’ils recouvrirent de grosses pierres et surmontèrentd’un tertre.

Ils retournèrent ensuite à la ville, où ungrand banquet funèbre fut donné dans le palais du roi Priam.

Ainsi célébra-t-on les funéraillesd’Hector.

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