L’Iliade et l’Odyssée

L’Odyssée – Scène 11 : Le radeaud’Ulysse

Zeus, l’Assembleur de nuées, donna enfin desordres pour que se terminent les malheurs d’Ulysse. Il envoya sonmessager Hermès à l’île de Calypso. Chaussé de ses sandales d’or,rapide comme le vent, Hermès vola par-dessus la terre et la mer,droit vers la grotte de la nymphe.

Il la trouva chez elle, la nymphe charmante,ses longs cheveux flottant sur ses épaules. Dans la cheminéebrûlait un grand feu, embaumant le cèdre et le thuya. Calypso étaitassise à côté, et chantait en faisant courir la navette sur sonmétier.

Calypso leva les yeux et reconnut Hermès toutde suite : car les immortels se connaissent entre eux. Ellel’invita à s’asseoir sur une chaise brillante et plaça à ses côtésune table chargée d’ambroisie et d’une coupe de nectar. Puis ellelui dit, sans tarder :

« C’est un grand honneur pour moi,Hermès. Je ne peux que me demander ce qui t’amène ici. Dis-moi ceque je puis faire pour toi. »

« C’est Zeus qui m’envoie, lui réponditHermès. Je ne serais jamais venu sans cela, sois-en sûre. Toutecette étendue d’eau à traverser, sans une ville, sans une âme pourfaire monter un agréable sacrifice sur monpassage ! »

« Mais Zeus m’a dit que tu avais ici unmortel, qui a eu beaucoup plus que sa part de malheurs depuis qu’ila quitté les murs ruinés de Troie. Il te demande de le relâchermaintenant, car son destin n’est pas de finir sa vie sur cette îlelointaine. Non, il doit revoir son foyer, sa maison, dans son paysnatal. »

Calypso frémit à ces paroles.

« J’ai sauvé cet homme des flots encourroux, et je l’ai chéri, dit-elle. J’ai même voulu lui donner lajeunesse éternelle. Mais nul ne peut s’opposer à la volonté dutout-puissant Zeus. Qu’il s’en aille, qu’il traverse la mer !Je n’ai ni navire ni matelots à lui donner. Je ne puis letransporter chez lui. Mais je l’aiderai autant que je le pourrai,si c’est la volonté de Zeus. »

« Alors, fais-le partir tout desuite », dit Hermès, et il disparut.

Dès qu’il fut parti, Calypso sortit à larecherche d’Ulysse. Elle le trouva assis sur le rivage, les yeuxmouillés de larmes, comme toujours. C’était ainsi qu’il passait sesjournées, à se lamenter sur son retour.

Calypso vint près de lui.

« Infortuné, ne pleure plus, dit-elle. Jevais t’aider à quitter cet endroit. Si tu veux couper des arbrespour te faire un radeau, je l’approvisionnerai de pain, d’eau et devin, et de tout ce que tu me demanderas, pour que tu ne meures pasde faim. Je te donnerai de chauds habits et un bon vent, ce qui tepermettra de rentrer chez toi sain et sauf s’il plaît auxdieux. »

Ulysse frémit à ces paroles.

« Sûrement, lui dit-il, tu as autre choseen tête que de me faire rentrer chez moi sain et sauf. Cettetraversée est déjà difficile avec un navire, et tu veux que jeprenne un radeau ! Je voudrais que tu me jures solennellementque ce n’est pas un complot contre ma vie, avant que je ne prennece risque. »

La belle Calypso lui sourit, et le flatta dela main.

« Tu es méchant de penser cela, dit-elle.Par la Terre et le Ciel et le Styx – et c’est le plus grand sermentque je connaisse – je jure que mon intention est de t’aider, et nonpas de te perdre. Après tout, je n’ai pas un coeur depierre ! » Et sur ces mots, elle s’éloigna.

Le lendemain, quand l’Aurore aux doigts derose eut touché l’Orient, Ulysse était debout et habillé. Calypsos’enveloppa d’une robe blanche comme neige, mit une ceinture doréeautour de sa taille, et un voile sur sa tête. Puis elle pensa à latâche d’Ulysse.

Elle lui donna une grande hache, à doubletranchant de bronze et à manche d’olivier. Puis elle lui donna unedoloire polie, et le conduisit à un bosquet de grands arbres :aulnes, peupliers et sapins.

Ulysse se mit au travail. Il abattit vingtarbres, ceux qui étaient secs et sans sève, et qui flotteraientbien. Avec des tarières que lui donna Calypso, il perça des trous,et réunit les troncs ensemble pour faire un large plancher.

Il plaça des traverses, et un pont au-dessus,et il fabriqua un mât. Il fit aussi un gouvernail, et une vergue,et Calypso lui apporta de l’étoffe pour une voile. Quand il euttressé tous les cordages pour le gréement, il poussa son vaisseausur des rouleaux jusqu’à la mer tranquille.

À la fin du quatrième jour, tout fut fini. Etle matin du cinquième, Calypso l’accompagna une dernière fois surla plage, baigné, habillé de neuf et bien muni de vin et d’eau, deviande et de pain. Elle lui procura aussi un bon vent, et Ulyssedéploya sa voile, le coeur plein de joie. Puis il s’assit augouvernail, et quand vint la nuit il se guida aux étoiles fidèles.Pendant dix-sept jours il parcourut la mer. Et le dix-huitième ilvit devant lui les collines sombres de la terre des Phéaciens, quisemblait un bouclier sur la mer.

Mais alors Poséidon, celui qui ébranle laterre, revenait d’Éthiopie. Il aperçut Ulysse sur la mer et sentitbouillonner sa colère. Il savait que le destin d’Ulysse était derentrer chez lui, mais il ne put résister au plaisir de frapper undernier coup.

Aussi il rassembla les nuages et bouleversa lamer de son trident. Il ordonna à la nuit de descendre du ciel etaux vagues de disperser les troncs du robuste radeau d’Ulysse,comme le vent disperse des brins de paille.

Alors Ulysse s’écria : « Heureuxceux qui sont tombés devant les murs de Troie ! Au moins, ilsont eu des tombeaux et des rites funéraires, tandis que je mourraiseul, sans personne pour me pleurer, ici, sur la merdéchaînée. »

Mais quand Athéna vit Ulysse agrippé à unepoutre, crachant l’eau salée qui lui ruisselait sur le visage, elleeut pitié de lui. Elle calma tous les vents, sauf celui du Nord, etce dernier poussa Ulysse à travers les grosses lames, vers lerivage lointain.

Le matin du troisième jour, il aperçut enfinla terre. Cependant il n’était pas encore sauvé. Le rivage étaitbordé de rochers pointus qui lui auraient brisé tous les os. MaisAthéna lui donna l’idée de longer la côte à la nage, hors duressac, jusqu’à l’embouchure d’un cours d’eau rapide.

Alors il pria la rivière d’avoir pitié de lui,et elle arrêta son courant et aplanit ses eaux. Et c’est ainsiqu’Ulysse, meurtri et brisé de fatigue, atteignit enfin le rivage.Il resta étendu parmi les roseaux à l’embouchure de la rivière,trop faible pour remuer ou pour parler. Mais il courba la tête etbaisa la terre, en signe de reconnaissance.

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