L’Iliade et l’Odyssée

L’Odyssée – Scène 17 : L’arcd’Ulysse

Le lendemain matin Ulysse sortit dans la couret pria Zeus, les mains levées. Car bien qu’Athéna lui fût apparuedans la nuit et lui eût promis le succès, il était inquiet ducombat inégal qui allait venir.

Eumée, le porcher, arriva bientôt, conduisanttrois beaux porcs ; il dit une parole cordiale à Ulysse. Lechef des pâtres, qui amenait des chèvres grasses, s’arrêta pourserrer la main du vieux mendiant et lui dire un mot aimable.

Moutons et chèvres grasses, pourceaux etgénisses furent bientôt abattus. Et la viande rôtie, avec descorbeilles de pain et du vin, fournit suffisamment de nourritureaux prétendants rassemblés.

Télémaque plaça un siège pour Ulysse près duseuil de la salle, et le servit là, lui promettant à haute voixprotection contre toute insulte.

Mais Athéna ne voulait pas que le repas sepasse tranquillement. Les prétendants se moquèrent d’Ulysse, et letournèrent cruellement en ridicule. Télémaque n’avait cure de leursparoles. Il attendait que son père donne le signal del’attaque.

Mais ce fut Pénélope qui intervint lapremière. Elle entra dans la grand-salle et s’arrêta près d’unecolonne, son voile fin devant le visage. Derrière elle venaient desserviteurs, portant le grand arc d’Ulysse, un carquois plein deflèches, et les douze haches qu’elle voulait utiliser dansl’épreuve qui déciderait de son choix.

« Écoutez-moi, hommes qui m’avez fait lacour – prétexte pour tenir des festins sans arrêt, d’un bout del’année à l’autre dans cette maison. Voici le grand arc d’Ulysse.Quiconque pourra le tendre et faire passer une flèche à travers lestrous de ces douze haches, avec lui j’irai, et je quitterai cettemaison qui renferme pour moi tant de souvenirs heureux. »

Télémaque parla alors : « Pourprouver que je suis un homme, et que je puis m’occuper de mesaffaires si ma mère se remarie et s’en va, je vais essayer debander cet arc. »

Il se leva, rejetant son manteau pourpre etson épée. Il creusa une tranchée, y plaça toutes les haches enligne droite, et foula bien la terre autour des manches.

Puis il essaya l’arc. Trois fois il se penchasur lui de tout son poids et le fit vibrer. Mais il ne put mettrela corde en place ; et à la fin Ulysse lui fit signe d’yrenoncer.

« Ah ! dit Télémaque, je serai donctoujours un homme sans vigueur ! Voyons si vous, qui êtes plusâgés et plus forts, pourrez tendre cet arc. »

Léodès l’aruspice, qui s’asseyait toujours aufond de la salle, s’avança le premier. Ses mains délicates nepurent même pas courber l’arc, et il retourna bientôt à saplace.

« Cet arc viendra à bout d’un plus fortque moi ! dit-il. Maint homme ici a espéré épouser Pénélope.Mais quand il aura essayé cet arc, il s’en ira faire la cour à uneautre femme, j’en suis sûr. »

« Sottise, dit Antinoos. Tout cela parceque toi, tu es incapable de tendre cet arc ! Allumons un grandfeu dans cette salle, approchons-y un bon siège recouvert d’unepeau. Puis apportons un gros morceau de suif ; nouschaufferons cet arc et le graisserons bien, et ce jeu sera bientôtfini. »

Le feu fut allumé ; on plaça le siège àcôté et l’on apporta le suif. Les jeunes hommes essayèrent tour àtour de réchauffer l’arc et de le tendre, mais aucun ne put lefaire plier. À la fin, seuls Antinoos et Eurymaque, les chefs de latroupe, n’avaient pas encore essayé.

Entre temps Eumée et le fidèle pâtre étaientsortis ensemble, et Ulysse, qui attendait cette occasion, lessuivit.

« Si Ulysse revenait, dit-il,prendriez-vous son parti, ou celui de cesprétendants ? »

Le pâtre répondit aussitôt : « ParZeus, fais-le rentrer chez lui ! Tu verras alors la force demon bras. » Et le porcher dit la même chose.

Sûr de leur loyauté, Ulysse leur dit :« C’est moi, Ulysse, qui suis de retour dans ma propre demeureaprès vingt ans. Vous pouvez voir cette cicatrice que m’a faite uncoup de défense de sanglier ; elle vous prouve que c’est bienmoi. Si vous voulez vraiment m’aider, attendez que je demande àessayer l’arc à mon tour. Les prétendants le refuserontcertainement. Alors toi, Eumée, tu me le donneras. Et si les dieuxnous accordent de détruire ces hommes, je vous établirai tous lesdeux dans de belles maisons et je vous donnerai à chacun uneépouse. »

Les deux loyaux serviteurs fondirent en larmeset se jetèrent au cou d’Ulysse. Mais il les envoya vite fermer lesportes extérieures et faire rentrer les femmes dans leursappartements. Puis il retourna dans la grand-salle.

C’était le tour d’Eurymaque qui chauffaitl’arc en tous sens devant le feu. Mais il ne put pas non plus lecourber.

« Malheur à moi, gémit-il. Ce n’est pasque je souffre de perdre Pénélope – il y a tant d’autres femmes.Mais nous sommes tous plus faibles qu’Ulysse, et nous faisonspiètre figure. »

« Sottise que tout cela, dit Antinoos.Aujourd’hui, c’est jour de fête. Mangeons et buvons et ne nousoccupons pas de cet arc. Nous pouvons laisser les haches en placeet finir notre partie demain. »

Tous l’approuvèrent. Mais Ulysse prit laparole.

« Puis-je vous demander, dit Ulysse, deme laisser essayer cet arc, pour voir si mes muscles ont toujoursleur force d’autrefois ? »

Ces paroles irritèrent les prétendants,surtout parce qu’ils craignaient que ce vieux ne pût vraimenttendre l’arc. Ils le raillèrent jusqu’à ce que Télémaqueintervînt.

« Je laisserai essayer qui je veux,dit-il, car je suis le maître dans cette maison. »

En dépit des railleries des prétendants, leporcher donna l’arc à Ulysse. Ulysse le tourna et le retourna dansses mains, pour être sûr que les vers ne l’avaient pas endommagépendant ses années d’absence.

« Hé ! murmurèrent les prétendantsentre eux, il semble qu’il connaît le maniement d’unarc ! »

Ulysse souleva le grand arc en exactéquilibre. Aussi facilement qu’un habile musicien met une nouvellecorde sur les chevilles d’une lyre, il plaça la corde de l’arc,puis la fit vibrer et elle résonna sous ses doigts d’une noteclaire.

Les prétendants étaient pâles de stupeur, etZeus dans le ciel fit retentir un coup de tonnerre comme un heureuxprésage.

Ulysse prit une flèche acérée et la posa surl’arc. Puis il saisit la flèche et la corde, et, sans se lever deson siège, visa et tira.

La flèche passa à travers les trous de toutesles haches, sans rien toucher, et ressortit de l’autre côté.

Se tournant vers son fils, Ulysse dit :« Télémaque, l’étranger ne t’a pas fait honte. Ma force esttoujours la même. Allons, préparons des réjouissances pour tous cesinvités, pendant qu’il fait encore jour. »

À ce signal qu’il attendait, Télémaque ceignitson épée tranchante, et s’avança tout armé aux côtés de sonpère.

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