Scène première
Éraste
Je l’avais bien prévu que ce cœur infidèle
Ne se défendrait point des yeux de macruelle,
Qui traite mille amants avec mille mépris,
Et n’a point de faveurs que pour le dernierpris.
Sitôt qu’il l’aborda, je lus sur sonvisage
De sa déloyauté l’infaillibleprésage ;
Un inconnu frisson dans mon corps épandu
Me donna les avis de ce que j’ai perdu.
Depuis, cette volage évite ma rencontre,
Ou, si malgré ses soins le hasard me lamontre,
Si je puis l’aborder, son discours seconfond,
Son esprit en désordre à peine merépond ;
Une réflexion vers le traître qu’elle aime
Presque à tous moments le ramène enlui-même ;
Et tout rêveur qu’il est, il n’a point desoucis
Qu’un soupir ne trahisse au seul nom deTircis.
Lors, par le prompt effet d’un changementétrange,
Son silence rompu se déborde en louange.
Elle remarque en lui tant de perfections,
Que les moins éclairés verraient sespassions ;
Sa bouche ne se plaît qu’en cetteflatterie,
Et tout autre propos lui rend sa rêverie.
Cependant, chaque jour aux discoursattachés,
Ils ne retiennent plus leurs sentimentscachés ;
Ils ont des rendez-vous où l’amour lesassemble ;
Encor hier sur le soir je les surprisensemble ;
Encor tout de nouveau je la vois quil’attend.
Que cet œil assuré marque un espritcontent !
Perds tout respect, Éraste, et tout soin delui plaire :
Rends, sans plus différer, ta vengeanceexemplaire ;
Mais il vaut mieux t’en rire, et pour derniereffort
Lui montrer en raillant combien elle a detort.