Scène II
Éraste,Mélite,Tircis
Éraste
De deux amis, madame, apaisez la querelle.
Un esclave d’amour le défend d’un rebelle,
Si toutefois un cœur qui n’a jamais aimé,
Fier et vain qu’il en est, peut être ainsinommé.
Comme, dès le moment que je vous aiservie,
J’ai cru qu’il était seul la véritablevie,
Il n’est pas merveilleux que ce peu derapport
Entre nos deux esprits sème quelquediscord.
Je me suis donc piqué contre sa médisance
Avec tant de malheur, ou tantd’insuffisance,
Que des droits si sacrés et si pleinsd’équité
N’ont pu se garantir de sa subtilité,
Et je l’amène ici, n’ayant plus querépondre,
Assuré que vos yeux le sauront mieuxconfondre.
Mélite
Vous deviez l’assurer plutôt qu’iltrouverait,
En ce mépris d’amour, qui le seconderait.
Tircis
Si le cœur ne dédit ce que la boucheexprime,
Et ne fait de l’amour une plus hauteestime,
Je plains les malheureux à qui vous endonnez,
Comme à d’étranges maux par leur sortdestinés.
Mélite
Ce reproche sans cause avec raisonm’étonne :
Je ne reçois d’amour et n’en donne àpersonne.
Les moyens de donner ce que je n’eusjamais ?
Éraste
Ils vous sont trop aisés ; et par vousdésormais
La nature pour moi montre son injustice
À pervertir son cours pour me faire unsupplice.
Mélite
Supplice imaginaire, et qui sent sonmoqueur.
Éraste
Supplice qui déchire et mon âme et moncœur.
Mélite
Il est rare qu’on porte avec si bon visage
L’âme et le cœur ensemble en si tristeéquipage.
Éraste
Votre charmant aspect suspendant mesdouleurs,
Mon visage du vôtre emprunte les couleurs.
Mélite
Faites mieux ; pour finir vos maux etvotre flamme,
Empruntez tout d’un temps les froideurs de monâme.
Éraste
Vous voyant, les froideurs perdent tout leurpouvoir ;
Et vous n’en conservez que faute de vousvoir.
Mélite
Eh quoi ! tous les miroirs ont-ils defausses glaces ?
Éraste
Penseriez-vous y voir la moindre de vosgrâces ?
De si frêles sujets ne sauraient exprimer
Ce que l’amour aux cœurs peut lui seulimprimer ;
Et quand vous en voudrez croire leursimpuissances,
Cette légère idée et faible connaissance
Que vous aurez par eux de tant de raretés
Vous mettra hors de pair de toutes lesbeautés.
Mélite
Voilà trop vous tenir dans unecomplaisance
Que vous dussiez quitter, du moins en maprésence,
Et ne démentir pas le rapport de vos yeux,
Afin d’avoir sujet de m’entreprendremieux.
Éraste
Le rapport de mes yeux, aux dépens de meslarmes,
Ne m’a que trop appris le pouvoir de voscharmes.
Tircis
Sur peine d’être ingrate, il faut de votrepart
Reconnaître les dons que le ciel vousdépart.
Éraste
Voyez que d’un second mon droit sefortifie.
Mélite
Voyez que son secours montre qu’il s’endéfie.
Tircis
Je me range toujours d’avec la vérité.
Mélite
Si vous la voulez suivre, elle est de moncôté.
Tircis
Oui, sur votre visage, et non en vosparoles.
Mais cessez de chercher ces refuitesfrivoles ;
Et prenant désormais des sentiments plusdoux,
Ne soyez plus de glace à qui brûle pourvous.
Mélite
Un ennemi d’amour me tenir celangage !
Accordez votre bouche avec votrecourage ;
Pratiquez vos conseils, ou ne m’en donnezpas.
Tircis
J’ai connu mon erreur auprès de vos appas.
Il vous l’avait bien dit.
Éraste
Ainsi donc, par l’issue
Mon âme sur ce point n’a point étédéçue ?
Tircis
Si tes feux en son cœur produisaient mêmeeffet,
Crois-moi, que ton bonheur serait bientôtparfait.
Mélite
Pour voir si peu de chose aussitôt vousdédire,
Me donne à vos dépens de beaux sujets derire ;
Mais je pourrais bientôt à m’entendreflatter
Concevoir quelque orgueil qu’il vaut mieuxéviter.
Excusez ma retraite.
Éraste
Adieu, belle inhumaine,
De qui seule dépend, et ma joie, et mapeine.
Mélite
Plus sage à l’avenir, quittez ces vainspropos,
Et laissez votre esprit et le mien enrepos.