Scène VI
Philandre,Chloris
Chloris
Quoi ! tu passes, Philandre, et sans meregarder ?
Philandre
Pardonne-moi, de grâce ; une affaireimportune
M’empêche de jouir de ma bonnefortune ;
Et son empressement, qui porte ailleurs mespas,
Me remplissait l’esprit jusqu’à ne te voirpas.
Chloris
J’ai donc souvent le don d’aimer plus qu’on nem’aime ;
Je ne pense qu’à toi, j’en parlais enmoi-même.
Philandre
Me veux-tu quelque chose ?
Chloris
Il t’ennuie avec moi ;
Mais, comme de tes feux, j’ai pour garant tafoi,
Je ne m’alarme point. N’était ce qui tepresse,
Ta flamme un peu plus loin eût porté latendresse,
Et je t’aurais fait voir quelques vers deTircis
Pour le charmant objet de ses nouveauxsoucis.
Je viens de les surprendre, et j’y pourraisencore
Joindre quelques billets de l’objet qu’iladore ;
Mais tu n’a pas le temps : toutefois, situ veux
Perdre un demi-quart d’heure à les lire nousdeux…
Philandre
Voyons donc ce que c’est, sans plus longuedemeure ;
Ma curiosité pour ce demi-quart d’heure
S’osera dispenser.
Chloris
Aussi tu me promets,
Quand tu les auras lus, de n’en parlerjamais ?
Autrement, ne crois pas…
Philandre, reconnaissantles lettres.
Cela s’en va sans dire :
Donne, donne-les-moi, tu ne les sauraislire ;
Et nous aurions ainsi besoin de trop detemps.
Chloris, lesresserrant.
Philandre, tu n’es pas encore où tuprétends ;
Quelque hautes faveurs que ton mériteobtienne,
Elles sont aussi bien en ma main qu’en latienne ;
Je les garderai mieux, tu peux en assurer
La belle qui pour toi daigne se parjurer.
Philandre
Un homme doit souffrir d’une fille encolère ;
Mais je sais comme il faut les ravoir de tonfrère ;
Tout exprès je le cherche, et son sang ou lemien…
Chloris
Quoi ! Philandre est vaillant, et je n’ensavais rien !
Tes coups sont dangereux quand tu ne veux pasfeindre,
Mais ils ont le bonheur de se faire peucraindre ;
Et mon frère, qui sait comme il s’en fautguérir,
Quand tu l’aurais tué, pourrait n’en pasmourir.
Philandre
L’effet en fera foi, s’il en a le courage.
Adieu. J’en perds le temps à parlerdavantage.
Tremble.
Chloris
J’en ai grand lieu, connaissant ta vertu,
Pourvu qu’il y consente, il sera bienbattu.