Scène IV
Tircis,Mélite
Tircis
Maintenant que le sort, attendri par nosplaintes,
Comble notre espérance et dissipe noscraintes,
Que nos contentements ne sont plustraversés
Que par le souvenir de nos malheurspassés,
Ouvrons toute notre âme à ces doucestendresses
Qu’inspirent aux amants les pleinesallégresses ;
Et d’un commun accord chérissons nosennuis,
Dont nous voyons sortir de si précieuxfruits.
Adorables regards, fidèles interprètes
Par qui nous expliquions nos passionssecrètes,
Doux truchements du cœur, qui déjà tant defois
M’avez si bien appris ce que n’osait lavoix,
Nous n’avons plus besoin de votreconfidence ;
L’amour en liberté peut dire ce qu’ilpense,
Et dédaigne un secours qu’en naissanteardeur
Lui faisaient mendier la crainte et lapudeur.
Beaux yeux, à mon transport pardonnez ceblasphème !
La bouche est impuissante où l’amour estextrême ;
Quand l’espoir est permis, elle a droit deparler ;
Mais vous allez plus loin qu’elle ne peutaller.
Ne vous lassez donc point d’en usurperl’usage ;
Et quoi qu’elle m’ait dit, dites-moidavantage.
Mais tu ne me dis mot, ma vie ! et quelssoucis
T’obligent à te taire auprès de tonTircis ?
Mélite
Tu parles à mes yeux, et mes yeux terépondent.
Tircis
Ah ! mon heur, il est vrai, si tes désirssecondent
Cet amour qui paraît et brille dans tesyeux,
Je n’ai rien désormais à demander auxdieux.
Mélite
Tu t’en peux assurer ; mes yeux, sipleins de flamme,
Suivent l’instruction des mouvements del’âme :
On en a vu l’effet, lorsque ta fausse mort
A fait sur tous mes sens un véritableeffort :
On en a vu l’effet, quand, te sachant envie,
De revivre avec toi j’ai pris aussil’envie :
On en a vu l’effet, lorsqu’à force depleurs
Mon amour et mes soins, aidés de mesdouleurs,
Ont fléchi la rigueur d’une mère obstinée
Et gagné cet aveu qui fait notrehyménée ;
Si bien qu’à ton retour ta chasteaffection
Ne trouve plus d’obstacle à sa prétention.
Cependant l’aspect seul des lettres d’unfaussaire
Te sut persuader tellement le contraire,
Que sans vouloir m’entendre, et sans me direadieu,
Jaloux et furieux tu partis de ce lieu.
Tircis
J’en rougis ; mais apprends qu’il n’étaitpas possible
D’aimer comme j’aimais, et d’être moinssensible ;
Qu’un juste déplaisir ne saurait écouter
La raison qui s’efforce à leviolenter ;
Et qu’après des transports de tellepromptitude,
Ma flamme ne te laisse aucune incertitude.
Mélite
Tout cela serait peu, n’était que ma bonté
T’en accorde un oubli sans l’avoir mérité,
Et que, tout criminel, tu m’es encoreaimable.
Tircis
Je me tiens donc heureux d’avoir étécoupable,
Puisque l’on me rappelle au lieu de mebannir,
Et qu’on me récompense au lieu de mepunir.
J’en aimerai l’auteur de cetteperfidie ;
Et si jamais je sais quelle main sihardie…