Scène II
Éraste,Mélite
Éraste
Quoi ! seule et sans Tircis !vraiment c’est un prodige ;
Et ce nouvel amant déjà trop vous néglige,
Laissant ainsi couler la belle occasion
De vous conter l’excès de son affection.
Mélite
Vous savez que son âme en est fortdépourvue.
Éraste
Toutefois, ce dit-on, depuis qu’il vous avue,
Il en porte dans l’âme un si douxsouvenir,
Qu’il n’a plus de plaisirs qu’à vousentretenir.
Mélite
Il a lieu de s’y plaire avec quelquejustice.
L’amour ainsi qu’à lui me paraît unsupplice ;
Et sa froideur, qu’augmente un si lourdentretien,
Le résout d’autant mieux à n’aimer jamaisrien.
Éraste
Dites : à n’aimer rien que la belleMélite.
Mélite
Pour tant de vanité j’ai trop peu demérite.
Éraste
En faut-il tant avoir pour ce nouveauvenu ?
Mélite
Un peu plus que pour vous.
Éraste
De vrai, j’ai reconnu,
Vous ayant pu servir deux ans, etdavantage,
Qu’il faut si peu que rien à toucher moncourage.
Mélite
Encor si peu que c’est vous étant refusé,
Présumez comme ailleurs vous serezméprisé.
Éraste
Vos mépris ne sont pas de grandeconséquence,
Et ne vaudront jamais la peine que j’ypense ;
Sachant qu’il vous voyait, je m’étais biendouté
Que je ne serais plus que fort mal écouté.
Mélite
Sans que mes actions de plus prèsj’examine,
À la meilleure humeur je fais meilleuremine ;
Et s’il m’osait tenir de semblablesdiscours,
Nous romprions ensemble avant qu’il fût deuxjours.
Éraste
Si chaque objet nouveau de même vousengage,
Il changera bientôt d’humeur et delangage.
Caressé maintenant aussitôt qu’aperçu
Qu’aurait-il à se plaindre, étant si bienreçu ?
Mélite
Éraste, voyez-vous, trêve dejalousie ;
Purgez votre cerveau de cettefrénésie :
Laissez en liberté mes inclinations.
Qui vous a fait censeur de mesaffections ?
Est-ce à votre chagrin que j’en dois rendreconte ?
Éraste
Non, mais j’ai malgré moi pour vous un peu dehonte,
De ce qu’on dit partout du trop deprivauté
Que déjà vous souffrez à sa témérité.
Mélite
Ne soyez en souci que de ce qui voustouche.
Éraste
Le moyen, sans regret, de vous voir sifarouche
Aux légitimes vœux de tant de gensd’honneur,
Et d’ailleurs si facile à ceux d’unsuborneur ?
Mélite
Ce n’est pas contre lui qu’il faut en maprésence
Lâcher les traits jaloux de votremédisance.
Adieu. Souvenez-vous que ces mots insensés
L’avanceront chez moi plus que vous nepensez.