Scène VIII
Mélite,Tircis
Mélite
Eh bien ! qu’avez-vous fait de votrecompagnie ?
Tircis
Je ne puis rien juger de ce qui l’abannie :
À peine ai-je eu loisir de lui dire deuxmots.
Qu’aussitôt le fantasque, en me tournant ledos,
S’est échappé de moi.
Mélite
Sans doute il m’aura vue,
Et c’est de là que vient cette fuiteimprévue.
Tircis
Vous aimant comme il fait, qui l’eût jamaispensé ?
Mélite
Vous ne savez donc rien de ce qui s’estpassé ?
Tircis
J’aimerais beaucoup mieux savoir ce qui sepasse,
Et la part qu’a Tircis en votre bonnegrâce.
Mélite
Meilleur aucunement qu’Éraste ne voudroit.
Je n’ai jamais connu d’amant simaladroit ;
Il ne saurait souffrir qu’autre que luim’approche.
Dieux ! qu’à votre sujet il m’a fait dereproche !
Vous ne sauriez me voir sans ledésobliger.
Tircis
Et de tous mes soucis c’est là le plusléger.
Toute une légion de rivaux de sa sorte
Ne divertirait pas l’amour que je vousporte,
Qui ne craindra jamais les humeurs d’unjaloux.
Mélite
Aussi le croit-il bien, ou je me trompe.
Tircis
Et vous ?
Mélite
Bien que cette croyance à quelque erreurm’expose,
Pour lui faire dépit, j’en croirai quelquechose.
Tircis
Mais afin qu’il reçût un entier déplaisir,
Il faudrait que nos cœurs n’eussent plus qu’undésir,
Et quitter ces discours de volontéssujettes,
Qui ne sont point de mise en l’état où vousêtes.
Vous-même consultez un moment vosappas ;
Songez à leurs effets, et ne présumez pas
Avoir sur tous les cœurs un pouvoir sisuprême,
Sans qu’il vous soit permis d’en user survous-même.
Un si digne sujet ne reçoit point de loi,
De règle, ni d’avis, d’un autre que desoi.
Mélite
Ton mérite, plus fort que ta raisonflatteuse,
Me rend, je le confesse, un peu moinsscrupuleuse.
Je dois tout à ma mère, et pour tout autreamant
Je voudrais tout remettre à soncommandement ;
Mais attendre pour toi l’effet de sapuissance,
Sans te rien témoigner que par obéissance,
Tircis, ce serait trop ; tes raresqualités
Dispensent mon devoir de ces formalités.
Tircis
Que d’amour et de joie un tel aveu medonne !
Mélite
C’est peut-être en trop dire, et me montrertrop bonne ;
Mais par là tu peux voir que mon affection
Prend confiance entière en ta discrétion.
Tircis
Vous la verrez toujours dans un respectsincère
Attacher mon bonheur à celui de vousplaire,
N’avoir point d’autre soin, n’avoir pointd’autre esprit ;
Et si vous en voulez un serment par écrit,
Ce sonnet que pour vous vient de tracer maflamme,
Vous fera voir à nu jusqu’au fond de monâme.
Mélite
Garde bien ton sonnet, et pensequ’aujourd’hui
Mélite veut te croire autant et plus quelui.
Je le prends toutefois comme un précieuxgage
Du pouvoir que mes yeux ont pris sur toncourage.
Adieu : sois-moi fidèle en dépit dujaloux.
Tircis
Ô ciel ! jamais amant eut-il un sort plusdoux !