Mémoires de Vidocq – Tome IV

CHAPITRE LXVIII. – VOLEURS ET VOLEUSESSOUS COMPTOIR.

 

Des vis-à-vis. – L’horloger et le chapelier. – Dupes etcomplices. – La Connarde. – La dispute.

 

Le vol sous comptoir est d’uneinvention toute moderne ; il importe, dans l’intérêt ducommerce, de signaler comment il s’effectue. Des individus, ce sontplus particulièrement des femmes vêtues en domestiques, cherchentdans une rue un peu large, deux magasins situés presque en facel’un de l’autre ; supposons que les deux établissementsappartiennent, le premier à un horloger, le second à unchapelier : la voleuse entre chez le chapelier, on la charged’acheter un chapeau, celui qu’elle choisit n’est jamais prêt, onva le lui garnir, c’est l’affaire d’une heure ; en attendant,elle va et vient, rentre dans la boutique du chapelier, se faitvoir sur la porte, et quand elle est bien sûre d’avoir été aperçuede l’horloger, elle traverse rapidement la rue, se présente à cedernier et lui dit : « Monsieur un tel (elle donne le nomdu chapelier), vous prie de me confier deux montres d’or du prix decent vingt à cent trente francs, c’est un cadeau que je désirefaire à mon frère, mais monsieur veut choisir. » L’horlogerreconnaît la domestique, il est plein de sécurité, il lui remet lesmontres, elle les emporte ; de son comptoir l’horloger peutvoir qu’elle rentre en effet chez le chapelier, il assiste presqueà l’examen des objets, il les voit passer des mains du bourgeoisdans celles des garçons, il ne peut avoir qu’une seule crainte,c’est qu’on ne s’en accommode pas. Un instant après, la garnituredu chapeau est terminée, la domestique le prend, et se renddirectement chez l’horloger. « Monsieur, lui dit-elle, onprendra celle de cent trente francs ; je vais à deux pasporter ce chapeau, à mon retour je viendrai m’arranger avec vous,mais il faudrait me diminuer quelque chose. – C’est bon, c’est bon,répond l’horloger. » Une heure, deux heures, trois heures sepassent, personne ne revient, alors il se décide à aller chez lechapelier, et tout s’éclaircit.

Souvent les deux marchands sont volés par lamême personne. Une de ces soi-disant domestiques, nommée laConnarde, se présente chez une lingère et la prie devouloir bien lui remettre quelques coupes de dentelles, pour lafemme de l’orfèvre en face ; la lingère n’hésite pas à les luidonner : la Connarde, le carton à la main, va chez l’orfèvreet demande deux chaînes d’or pour sa maîtresse, qui est vis-à-vis,puis sortant immédiatement sans laisser le carton, elle revientchez la lingère. « Madame lui dit-elle, ma bourgeoisedésirerait faire voir les dentelles à une de ses amies. – À sonaise, qu’elle ne se gêne pas. » Aussitôt elle retourne chezl’orfèvre. « Madame, dit-elle, va examiner vos chaînes, etlorsque je serai revenue de ma commission, je m’arrangerai aussid’une petite pour moi. » La domestique disparaît ; desdeux côtés on pense qu’elle va en course ; enfin la lingères’impatiente la première ; elle se rend chez sa voisine. –« Eh bien ! comment trouvez-vous les dentelles ? jevous assure que vous feriez bien de tout garder. – Croyez-vous, queje vous prendrai des dentelles pour les chaînes ? – Ne vous enai-je pas envoyé un carton ce matin, par votre domestique ? –C’est-à-dire que c’est votre bonne qui est venue chercher pour vousdeux chaînes à condition. – Mais voisine, vous rêvez, sansdoute ? – C’est plutôt vous qui voulez prendre votre café. –Il s’agit bien de café, je ne plaisante pas, il s’agit de mesdentelles. – Je ne plaisante pas non plus, il s’agit de chaînesd’or, et vous en avez deux à moi. » De part et d’autre oncommençait à se dire de gros mots, et la dispute allaits’échauffer, lorsque le mari de l’orfèvre arriva fort à propos pourapprendre aux deux dames qu’elles avaient été volées.

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