Mémoires de Vidocq – Tome IV

CHAPITRE LI.

 

Une tournée à Rouen. – Le dégoût du monde. – Fantaisies d’unmisanthrope. – Le choix d’une solitude. – Les poètes et les ermitesnam secessum… et otia quœrunt. – Projet d’excursion. – Étrangescrupule. – L’amour du bien patrimonial. – Le départ simulé. – Ledanger de dîner à Paris. – Les empreintes et les fausses clés. – Ilne revient pas. – À qui donc se fier ?

 

Capdeville, après avoir dépouillé la veuve,était allé à Rouen ; mais il ne tarda pas à se rapprocher deParis. Toutefois, il n’y choisît pas sa résidence ; en proie àdes chagrins domestiques, dégoûté du monde et de ses perfidies,mécontent de sa santé, de lui-même et des autres, Capdeville est unmisanthrope qui veut à toute force s’enterrer à la campagne ;dans ce but il parcourt les environs de la capitale. À Belleville,il remarque une maison dont l’isolement convient à son amour pourla solitude ; c’est sous les ombrages de ces lieux qu’il vadésormais promener sa mélancolie et exhaler les soupirs d’une âmesouffrante. Capdeville loue un appartement dans l’habitation surlaquelle ses regards se sont affectueusement reposés : mais unmisanthrope ne saurait long-temps supporter l’abri du même toit quedes êtres humains : il lui faut une demeure où il puisseignorer qu’il n’est pas seul sur la terre ; il exprime, enconséquence, le désir de se la procurer, n’importe à quelprix : pourvu qu’il ne voie plus vestige de cette société dontil a tant à se plaindre, il s’accommodera de tout, d’un châteaucomme d’une chaumière. Capdeville annonce hautement l’intentiond’aller à la découverte de l’ermitage où s’écouleront ses vieillesannées. Il s’enquiert de toutes les propriétés rurales qui sont envente dans un rayon de dix lieues ; bientôt il est denotoriété publique qu’il se propose de faire une acquisition. Onconnaît bien dans le pays quelque chose qui ferait son affaire,mais il ne veut que d’un bien patrimonial. « Eh bien !dit-on, puisqu’il est si scrupuleux, qu’il cherche. » C’est,en effet, le parti qu’il prend. Déterminé à faire une tournée, afind’examiner ce qui pourrait être à sa convenance, il s’occupeostensiblement des préparatifs de son départ ; il ne seraabsent que trois à quatre jours ; mais avant de s’éloigner, ilest bien aise de savoir s’il n’y a point de danger à laisser dansun secrétaire quelques dix mille francs qu’il souhaiterait ne pastraîner avec lui. On le rassure sur ce point, et, plein desécurité, il n’hésite plus à se mettre en voyage.

Capdeville ne va pas loin : durant sonséjour dans la maison qu’il vient de quitter, il a eu le loisir deprendre toutes les empreintes dont il a besoin pour pénétrer dansle logement du propriétaire ; il a en outre observé que cedernier est dans l’habitude de dîner à Paris, et qu’il ne rentreque très avant dans la nuit. En revenant à la brune, Capdeville estdonc certain d’avoir devant lui tout le temps nécessaire pouropérer. Le soleil couché, à la faveur des ténèbres, il passeinaperçu dans Belleville, et s’étant introduit dans la maison, àl’aide de fausses clés, il ouvre l’appartement du propriétaire,dont il emporte jusqu’au linge.

Vers la fin du cinquième jour, on commença às’inquiéter de ce que le misanthrope ne reparaissait pas ; lelendemain, on conçut des soupçons. Vingt-quatre heures plus tard,il n’y avait plus sur son compte qu’une seule opinion : ilétait le voleur. Après un pareil tour, fiez-vous aux misanthropes.À qui donc se fier ? aux philanthropes ? pasdavantage.

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