Miss Harriet

Chapitre 12La mère sauvage

1.

Je n’étais point revenu à Virelogne depuis quinze ans. J’yretournai chasser, à l’automne, chez mon ami Serval, qui avaitenfin fait reconstruire son château, détruit par les Prussiens.

J’aimais ce pays infiniment. Il est des coins du monde délicieuxqui ont pour les yeux un charme sensuel. On les aime d’un amourphysique. Nous gardons, nous autres que séduit la terre, dessouvenirs tendres pour certaines sources, certains bois, certainsétangs, certaines collines, vus souvent et qui nous ont attendris àla façon des événements heureux. Quelquefois même la penséeretourne vers un coin de forêt, ou un bout de berge, ou un vergerpoudré de fleurs, aperçus une seule fois, par un jour gai, etrestés en notre cœur comme ces images de femmes rencontrées dans larue, un matin de printemps, avec une toilette claire ettransparente, et qui nous laissent dans l’âme et dans la chair undésir inapaisé, inoubliable, la sensation du bonheur coudoyé.

À Virelogne, j’aimais toute la campagne, semée de petits bois ettraversée par des ruisseaux qui couraient dans le sol comme desveines, portant le sang à la terre. On pêchait là-dedans desécrevisses, des truites et des anguilles ! Bonheurdivin ! On pouvait se baigner par places, et on trouvaitsouvent des bécassines dans les hautes herbes qui poussaient surles bords de ces minces cours d’eau.

J’allais, léger comme une chèvre, regardant mes deux chiensfourrager devant moi. Serval, à cent mètres sur ma droite, battaitun champ de luzerne. Je tournai les buissons qui forment la limitedu bois des Saudres, et j’aperçus une chaumière en ruines.

Tout à coup, je me la rappelai telle que je l’avais vue pour ladernière fois, en 1869, propre, vêtue de vignes, avec des poulesdevant la porte. Quoi de plus triste qu’une maison morte, avec sonsquelette debout, délabré, sinistre ?

Je me rappelai aussi qu’une bonne femme m’avait fait boire unverre de vin là-dedans, un jour de grande fatigue, et que Servalm’avait dit alors l’histoire des habitants. Le père, vieuxbraconnier, avait été tué par les gendarmes. Le fils, que j’avaisvu autrefois, était un grand garçon sec qui passait également pourun féroce destructeur de gibier. On les appelait les Sauvage.

Était-ce un nom ou un sobriquet ?

Je hélai Serval. Il s’en vint de son long pas d’échassier.

Je lui demandai :

« Que sont devenus les gens de là ? »

Et il me conta cette aventure.

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